Aimer ou être aimé
Les (D)RH déclarent aimer l'humain, mais rares sont les collaborateurs qui disent du bien de leurs RH. Au point que personne ne les aime? Par le biais d'expériences vécues, Gaspard Tertrais et Rébecca Renverseau lèvent le voile sur l'exercice d'un métier parfois rude, mais si enthousiasmant. Avec un parti pris: chercher à transformer la défiance en opportunité de réinvention.

Gaspard Tertrais et Rébecca Renverseau, coauteurs de «Personne n'aime les RH - et il est temps que ça change!». (Photo: Tomorrow Theory)
Comment est née cette idée de consacrer un livre à une fonction RH que vous décrivez comme mal-aimée?
Gaspard Tertrais: Tous deux, nous venons de milieux complètement différents des RH. Le projet est né d’un déjeuner durant lequel nous nous étions amusés à partager les relations antérieures que nous avons eues avec les RH et qui n’ont pas été terribles d’un point de vue de l’expérience collaborateur. Les hasards de la vie nous ont conduits à rencontrer Jérémy Lamri et à travailler ensemble sur la fonction RH. On s’est rendu compte qu’il y avait plein de boulot à faire, mais que la fonction était... géniale.
Rébecca Renverseau: Travailler dans les RH alors que nous avions eu de mauvaises expériences avec eux est assez paradoxal à mes yeux. En nous racontant nos expériences — Gaspard me raconte les siennes, je lui raconte les miennes —, à un moment, il me dit: ‘De toute façon, personne n’aime les RH’. Nous avions le titre du bouquin! On s’est dit qu’on allait raconter nos histoires, mais aussi les histoires d’autres personnes. Pas pour faire du RH-bashing, mais plutôt pour dire: ça suffit, maintenant. Essayons de comprendre ce qui se passe et d’apporter un nou- veau regard. Il y a plein de personnes géniales dans les RH et qui font de leur mieux. Comment se fait-il alors qu’on en pense tant de mal?
Comment avez-vous procédé?
RR: Nous avons réalisé pas mal d’interviews de responsables RH et d’influenceurs, mais aussi et surtout nous sommes allés à la rencontre de collaborateurs, notamment via un questionnaire en ligne pour collecter des témoignages anonymes. Nous nous sommes en effet rendu compte que tout le monde ne voulait ou ne pouvait pas parler ouvertement.
GT: Au départ de plus de 200 histoires écrites ou racontées, nous avons ensuite créé 18 récits — chacun autour d’une thématique particulière —, mélangés mais résonnant avec les expériences authentiques ainsi collectées.
Votre travail apporte une pièce supplémentaire à un cheminement initié en 2005 dans un article publié par Fast Company, «Why we hate HR?», sous la plume de Keith Hammonds. Quel diagnostic posez-vous sur les raisons de ce manque d’amour ou, à tout le moins, d’appréciation à l’égard des RH?
RR: Bien entendu, il y a de tout. Il y a des RH qui ne devraient pas être RH. Et il y a des RH qui sont faits pour être RH. Mais, globalement, lorsque vous parlez avec des (D)RH, vous rencontrez le plus souvent des professionnels engagés, disant aimer l’humain, qui œuvrent pour améliorer le quotidien au travail, accompagner les parcours professionnels et bâtir des organisations plus inclusives. Alors, dans ce désamour, est-ce que ce sont les RH qui fautent? Ou alors est-ce que ce sont les collaborateurs qui se trompent? Ou y a-t-il autre chose au milieu? Il est clair que la position des RH n’est pas facile, car ils sont une fonction de contrôle et de soumission et au service de l’humain, avec dès lors un conflit de loyauté entre la direction et le collaborateur. Du côté de l’expérience collaborateur, ce qui pèche, c’est le biais de l’esprit humain qui retient majoritairement ce qui s’est mal passé. La fonction RH tient la relation humaine au sein de l’entreprise. Dès qu’il y a un élément qui coince, elle prend beaucoup plus que les autres. Tous les mois sortent des fiches de paie et tous les mois, les gens sont bien payés. Cela paraît normal. Le jour où il y a une erreur dans le calcul de la paie, c’est la fin du monde. Cette problématique touche d’autant plus une fonction qui a du mal à justifier un retour sur investissement. Celle-ci se retrouve donc à être le déversoir de toutes les autres.
GT: En menant notre investigation, nous avons souvent eu le sentiment que les RH ne s’aiment pas eux-mêmes. Or, comment peut-on se faire aimer des autres si on ne s’aime pas déjà un peu soi-même? Les RH devraient donc d’abord se transformer eux-mêmes, transformer la façon dont ils exercent leur fonction pour pouvoir être véritablement efficients et efficaces.
RR: Parmi les principaux reproches adressés aux RH, on retrouve un manque de vision stratégique et le fait de rester cantonnés à un rôle d’exécution; des approches trop administratives; une valeur ajoutée peu visible; une déconnexion au terrain et, parfois, un professionnalisme contesté. Mais, à l’inverse, nous sommes entrés dans une nouvelle culture du ‘consommateur-salarié’ et de l’individualisme, où certains veulent profiter des avantages sans contrepartie. D’autre part, et quelles que soient leurs intentions et leurs actions, les RH deviennent parfois le réceptacle de souffrances sociétales qu’ils n’ont pas causées et qu’ils ne peuvent pas apaiser.
Pour aller plus loin
Gaspard Tertrais et Rébecca Renverseau: Personne n'aime les RH - et il est temps que ça change!, éd. EMS, 204 pages.