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«Allô docteur, j’ai besoin d’un CMAT»

Plus besoin de consulter un médecin pour obtenir un certificat médical d’arrêt de travail (CMAT). Un coup de fil suffit. Cette prestation proposée par Medgate rencontre un certain succès.

C’est un petit bout de papier, mais il vaut de l’or. Chaque année, le certificat médical d’arrêt de travail (CMAT) permet de verser quatre milliards de francs d’indemnités aux employés empêchés de travailler pour cause de maladie ou d’accident. En comptant les coûts indirects (perte de rentabilité, frais administratifs, etc.), le montant de la facture pourrait dépasser les dix milliards.
 
Pour faciliter la délivrance des CMAT, la société bâloise Medgate a décidé de proposer leur délivrance sur simple appel téléphonique. Cette nouvelle prestation a été introduite à l’essai en 2014. Interrogée par hrtoday, Medgate affirme avoir établi depuis lors plus d’un millier de CMAT, et elle continue d’en octroyer une centaine par semaine.
 
L’intérêt est double. D’une part, toutes les maladies qui empêchent les gens de travailler ne justifient pas un rendez-vous chez le médecin, mais le CMAT reste indispensable pour pouvoir toucher son salaire. Une délivrance par téléphone permet donc d’éviter de consulter si ce n’est pas nécessaire d’un point de vue médical. D’autre part, cela soulage les médecins qui, en période d’épidémie grippale comme c’est le cas en ce moment, sont submergés de demandes et doivent «rédiger des CMAT à tour de bras au détriment de patients plus sérieusement atteints», selon le pédiatre bernois Ueli Bollag, auteur de l’une des rares recherches scientifiques suisses sur la délivrance de ces certificats.
 
Pratique traditionnelle qualifiée de «risible»
La prestation est particulièrement intéressante pour les travailleurs à qui l’employeur réclame un CMAT dès le premier jour d’arrêt de travail. Présidente de l’Association suisse des patients, la conseillère nationale saint-galloise Margrit Kessler (Vert/Libérale) a qualifié de «risible» la pratique traditionnelle qui oblige un travailleur à se rendre chez le médecin pour une simple grippe, simplement parce qu’il est tenu de justifier son absence.
 
Les économies potentielles sont importantes. En effet, toutes les consultations médicalement non justifiées mais nécessaires pour l’obtention d’un CMAT à des fins administratives sont facturées aux assureurs. Une étude réalisée en Suisse en 2006 par Ueli Bollag a confirmé que 63% des CMAT portent sur des absences ne dépassant pas quatre jours – autrement dit, des cas bagatelles. Une étude réalisée en France a confirmé que plus de 60% des grippés se voyaient délivrer un CMAT pour une durée de quelques jours seulement. Or, chaque cas traité en ambulatoire coûterait entre 200 et 500 euros. Et si un rendez-vous chez le médecin coûte facilement plus de 100 francs en Suisse, la consultation avec un expert de la centrale Medgate revient à une soixantaine de francs seulement, selon une estimation de la société de médecine du canton de Saint-Gall.
 
Craintes d’abus chez les employeurs 
Les milieux patronaux et les assureurs sont sceptiques. «S’il peut effectivement suffire de téléphoner à un médecin pour savoir comment se soigner, il en va autrement lorsque des prestations financières sont en jeu, ce qui est le cas ici», dit-on ainsi à la Société suisse des entrepreneurs (SSE). L’Association suisse des médecins d’entreprise des établissements de soins est également réservée: «Un peintre qui est empêché de peindre parce qu’il s’est blessé à un doigt, par exemple, peut éventuellement être affecté à une autre tâche dans son entreprise. Mais il est peu probable qu’un médecin puisse apprécier ces deux facteurs à distance.»
 
Medgate ne prétend pas que ce soit possible. Pour parer aux critiques, la société bâloise s’est volontairement imposé des garde-fous. Pas question d’entrer en matière en cas d’incapacité de travail partielle, puisqu’il faudrait examiner les possibilités de changement d’affectation. Pas question non plus de procurer un CMAT aux patients qui viennent d’être licenciés. De plus, seuls deux certificats peuvent être obtenus par patient et par année, et ce, pour une durée de deux à cinq jours chacun tout au plus. Enfin, par souci de transparence, il est clairement indiqué sur le document que la délivrance a eu lieu suite à une consultation téléphonique.
 
Les abus devraient rester marginaux
D’après Sophie Paschoud, secrétaire patronale au Centre patronal de Paudex, «le système mis en place par Medgate paraît bien cadré; les abus ne devraient donc pas être beaucoup plus nombreux qu’ils ne le sont déjà.» Dans la pratique, les CMAT se négocient déjà depuis longtemps sans rendez-vous en face à face. Cette pratique est tolérée par le code de déontologie de la Fédération des médecins suisses (FMH), mais celle-ci recommande à ses membres de faire preuve de «la plus grande prudence, malgré les prétextes plausibles invoqués par le patient».
 
Dans l’ensemble, les milieux patronaux rappellent que la validité d’un CMAT obtenu par téléphone peut être contestée. Si la fonction du CMAT est de prouver que l’employé est empêché de travailler, le médecin «ne peut attester de cette preuve sans avoir examiné le patient», relève Sophie Paschoud. L’utilité de document est donc de son point de vue «plus que limitée»: «Soit l’employeur a suffisamment confiance en son employé pour se fier à ses déclarations, auquel cas il n’a besoin d’aucune forme d’attestation d’incapacité, soit il nourrit des doutes quant à la réalité de l’empêchement de travailler, et il refusera un certificat établi sur la base d’un simple entretien téléphonique.»
 
«Il y a éventuellement une situation où ce certificat pourrait être utile, poursuit Sophie Pachoud. Il s’agit du cas où l’employeur aurait contracté une assurance perte de gain ne prévoyant pas de délai d’attente, ou un délai très court. Cela justifierait une consultation téléphonique pour gagner du temps. Encore faudrait-il que l’assurance en question accepte un certificat délivré de cette manière. L’hypothèse me paraît finalement assez peu probable.»
 

Un CMAT juste pour pouvoir toucher l’assurance-chômage

 
Les caisses cantonales de chômage voient passer de plus en plus de certificats médicaux disant qu’une personne est apte à travailler... mais pas chez son employeur actuel. Ces CMAT sont rédigés dans l’espoir de permettre au bénéficiaire de démissionner sans subir de pénalités de la part de la caisse de chômage. Il faut savoir que la loi sur l’assurance chômage prévoit des pénalités au niveau des indemnités pour celui qui se retrouve sans emploi par sa faute. Et, en principe, donner sa démission sans avoir trouvé un autre emploi est passible d’une sanction de durée variable.
 
Sur ces certificats, on lit par exemple: «Le médecin soussigné atteste que Monsieur X a quitté hier son travail pour des raisons de santé et qu’il ne peut plus travailler au garage et carrosserie Z.» Dans une attestation encore plus explicite, un médecin demande à qui de droit de «ne pas pénaliser» sa patiente puisque celle-ci «est en arrêt maladie et pour de bonnes raisons».
 
Pas plus valable qu’un simple témoignage
D’après Sophie Paschoud, ces certificats ne sont «pas corrects»: «Une incapacité de travail qui serait limitée à une entreprise en particulier ne peut qu’être la résultante de circonstances que le médecin ne connaît qu’à travers le récit du travailleur. En d’autres termes, ces certificats n’ont guère plus de valeur qu’un témoignage et le praticien qui les prescrit outrepasse à mon avis son rôle.» Pour la première fois, en 2011, le Tribunal fédéral s’est penché sur ce genre de certificats. Les juges ont tranché en défaveur de la patiente, qui avait démissionné en invoquant une mise en danger de son intégrité psychique. Un certificat précisait qu’elle demeurait apte à travailler dans une autre entreprise.
 
La Revue médicale suisse (RevMed) a publié un autre cas, celui d’une femme qui a demandé un CMAT à un psychiatre parce qu’elle se sentait incapable de retourner travailler. Le médecin s’est interrogé sur le sens exact de cette demande, car la jeune femme ne présentait «pas de symptômes psychiatriques majeurs». Lorsqu’il a refusé de délivrer le papier, elle a répondu qu’elle s’adresserait à un généraliste mieux disposé.

 

commenter 0 commentaires HR Cosmos

Typographe de premier métier, Francesca Sacco a publié son premier article à l’âge de 16 ans pour consacrer toute sa vie au journalisme. Elle obtient son titre professionnel en 1992, après une formation à l’Agence télégraphique suisse, à Berne. Depuis, elle travaille en indépendante pour une dizaine de journaux en Suisse, en France et en Belgique, avec une prédilection pour l’enquête.

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