On en parle

Allô, j'ai quelqu'un qui disjoncte dans mon équipe

La prévalence des troubles psychiques flambe. L’assurance-invalidité réagit en proposant des outils à l’intention des RH. Par exemple, une hotline pour les employeurs dans le canton de Vaud.

C’est le serpent qui se mord la queue: les recruteurs ne veulent pas engager de collaborateurs psychiquement instables, mais les troubles psychiques sont en train de prendre la dimension d’une épidémie. Donc, ils ont beau s’évertuer à écarter les candidats qui leur paraissent fragiles psychiquement, ils en ont forcément déjà engagé et continueront de le faire. Simplement, ils ne s’en rendent pas compte. En tout cas pas sur le moment.

1,4 million de personnes en Suisse

Aujourd’hui, on estime qu’un individu sur deux connaît des problèmes psychiques à un moment ou un autre de sa vie. En Suisse, plus de 1,4 million de personnes seraient concernées. Depuis une décennie, le nombre de rentes d’invalidité pour causes psychiques a augmenté six fois plus que celui des rentes octroyées en raison d’un handicap physique, pour représenter actuellement près de la moitié de tous les cas. Et la tendance ne semble pas sur le point de s’inverser. La prévalence de la dépression ne cesse de progresser dans les pays industrialisés. En 2020, les maladies psychiques seraient devenues l’une des premières causes de handicap dans le monde. Entre 2020 et 2021, l’Office fédéral de la statistique (OFS) a enregistré une hausse sans précédent – soit jusqu’à +26% d’augmentation selon les tranches d’âge – du nombre d’hospitalisations pour problèmes psychiatriques ou comportement. Au-delà des enjeux sociaux, les conséquences économiques sont colossales. Les pertes annuelles engendrées par les arrêts de travail sont estimées à plus de 20 milliards de francs en Suisse, à 92 milliards d’euros en Europe et à 1000 milliards de dollars au niveau mondial.

Licenciement dans 70-85% des cas

Des recherches suisses montrent que 75% des personnes atteintes dans leur santé psychique sont professionnellement actives. La plupart tentent de donner le change, avec plus ou moins de réussite. Lorsqu’il devient évident qu’elles souffrent d’un problème psychique, l’employeur est généralement pris au dépourvu. Selon l’expert Niklas Baer, chercheur à l’Unité de réadaptation des services psychiatriques cantonaux de Bâle-Campagne, les entreprises essaient le plus souvent de se débrouiller toutes seules, ce qui constitue d’ailleurs un facteur prédictif défavorable, car les ressources internes sont souvent déjà trop affaiblies pour gérer la situation. Dans 70-85% des cas, l’affaire se termine par un licenciement. Or, tant que le licenciement constituera la solution la plus fréquente, les travailleurs concernés viendront gonfler les rangs de l’assurance invalidité.

Oser demander l’aide de l’AI

En 2018, Niklas Baer nous confiait que «la prévention de l’invalidité ne fonctionne tout simplement pas, parce que les employeurs ne se tournent pas vers l’AI, ou trop tard». Il ajoutait: «Il est important qu’ils fassent des expériences positives avec l’AI pour rétablir la confiance en les compétences de l’assurance». (1) Confrontés à un collaborateur qui présente des troubles psychiques, les employeurs ne solliciteraient l’intervention de l’AI que dans 10% des cas, bien qu’ils aient la possibilité, depuis 2018, de demander une procédure de détection précoce. Par ailleurs, moins de 10% des entreprises suisses ont le réflexe de faire appel à un psychologue externe dans ce genre de situation, alors que cette proportion est de 25% en Europe. Enfin, si 80% des managers RH disent avoir déjà eu affaire à un collaborateur qui «dysfonctionnait», moins de 30% ont reçu une formation sur la manière de réagir. (2) Conclusion: il existe un grand besoin de formation et d’information.

Plusieurs initiatives en Suisse romande

C’est ici qu’intervient l’assurance-invalidité. Depuis quelques années, elle multiplie les offensives pour inciter les employeurs à oser demander de l’aide. Suivant l’exemple de son homologue zurichois, l’Office AI du canton de Berne a publié un «Guide éprouvé des 5D» expliquant les cinq étapes de la détection précoce des troubles psychiques au travail: dresser l’oreille, définir, dialoguer, diriger et dynamiser. Ce guide a rapidement été repris par d’autres offices. En 2020, l’Office cantonal genevois des assurances sociales (OCAS) emboîte le pas et publie un Dossier HRM intitulé Comment l’AI peut aider les RH. (3) Puis, le 1er décembre 2022, l’Office AI du canton de Vaud a lancé une campagne de sensibilisation et de prévention à l’intention des employeurs. Ce jour-là, dans ses locaux à Vevey, elle a accueilli plusieurs centaines de personnes intéressées par les troubles psychiques, pour un colloque organisé en collaboration avec l’association faîtière cantonale Insertion Vaud et la Chambre vaudoise du commerce et de l’industrie (CVCI).

Parmi les intervenants, il y avait du beau monde: la conseillère d’État vaudoise Rebecca Ruiz, tout d’abord, qui s’est fendue de l’allocution d’introduction, puis Marc Corbière, chercheur à l’Institut universitaire en santé mentale de Montréal, Danièle Spagnoli, psychologue et coordinatrice cantonale du Réseau de soutien et d’orientation vers le travail (Ressort), Anny Wahlen, psychologue du travail et des organisations, fondatrice de Salutis network et partenaire du Réseau de développement organisationnel Syllogos, et enfin Patrick Hunziker, directeur de l’Institut de médecine du travail à Baden, Oerlikon, Turgi, Birr et Pampigny.

Les conseils de ces experts?

Être attentif aux changements inhabituels. Les troubles psychiques sont presque toujours précédés de signes avant-coureurs: la personne a changé; il y a quelque chose d’inhabituel dans son comportement, son discours et/ou ses performances.

Tâchez de regarder la situation avec recul

C’est évidemment plus facile à dire qu’à faire, d’autant que la hiérarchie est généralement informée de la situation lorsque les choses sont devenues très difficiles à gérer. Comment prendre du recul? Tâchez de faire la part des choses entre votre ressenti, vos attentes et vos observations.

Votre ressenti: Demandez-vous comment vous allez, comment vous vous sentez, quels sont vos sentiments envers la personne (compassion, agacement?).

Vos observations: Notez-les en essayant de rester objectif. Essayez de vous en tenir toujours aux faits. Abordez le problème en parlant de manière simple, claire et en peu de mots. Rapportez vos observations et demandez l’avis de la personne.

Vos attentes: Demandez-vous quels sont vos objectifs. Les avez-vous écrits? Formulez et partagez-les avec la personne pendant l’entretien.

Rester ouvert, parler vrai et poser des limites

Il est important de donner des indications claires sur vos attentes, en impliquant la personne dans la réflexion. Discutez de ses besoins et proposez-lui votre soutien pour éventuellement adapter son environnement de travail et ses tâches; réfléchissez aux possibilités d’aménagements ou de changements de poste. Définissez ensemble les mesures qui peuvent être mises en place, qui doit être fait et par qui, en fixant des étapes. Assurez-vous d’obtenir l’accord de la personne.

Entamez le deuxième entretien en demandant à la personne comment elle a vécu le précédent. Que s’est-il passé entretemps? Qu’est-ce qui a été entrepris? Partagez vos impressions. Donnez à la personne un feedback sur son évolution. Dites-lui ce que vous remarquez de positif, mettez en avant les changements constructifs que vous avez observés et parlez des points qui restent à améliorer. N’oubliez pas qu’un changement peut prendre du temps et qu’il est important de continuer à soutenir la personne.

 

1 https://www.hrtoday.ch/fr/utcontent/une-folie-quotidienne
2 Der tägliche Wahnsinn, Psychisch auffällige Mitarbeitende und ihr Problemverlauf aus Sicht von Deutschschweizer Führungskräften, Niklas Baer, Ulrich Frick, Sarah Auerbach, Monica Basler, Psychiatrie Baselland, Hochschule Luzern, 2017.

 

La nouvelle boîte à outils des employeurs vaudois

  • Un guide pratique intitulé Santé mentale en entreprise, comment aborder la question? On y trouve des conseils pratiques, des explications et des témoignages. Il est possible de commander des exemplaires sur le site sme.aivd.ch.
  • Une ligne employeur permettant d'accéder directement au service Entreprises & Réinsertion de l'OAI Vaud pour poser leurs questions/ 021 925 24 14.
  • Des cours, des ateliers de sensibilisation et des workshops pour les cadres, les patrons d'entreprise et les managers RH intéréssés par la promotion de la santé mentale en entreprise.
  • Un cours de premiers secours en santé mentale (ensa), lancé en Suisse en 2019 par la Fondation Pro Mente Sana (PMS).
  • Et pour les petites entreprises: un check-up gratuit avec un spécialiste de l'AI pour faire un bilan de santé mentale de l'organisation.

 

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Typographe de premier métier, Francesca Sacco a publié son premier article à l’âge de 16 ans pour consacrer toute sa vie au journalisme. Elle obtient son titre professionnel en 1992, après une formation à l’Agence télégraphique suisse, à Berne. Depuis, elle travaille en indépendante pour une dizaine de journaux en Suisse, en France et en Belgique, avec une prédilection pour l’enquête.

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