«Amener plus de résultats passe par responsabiliser davantage»
Marie-Eve Tescari est la cheffe du service de stratégie RH à l'État de Genève. Elle revient ici sur le plan de lutte contre l'absence, la segmentation des populations et le changement de culture induit par la numérisation des services.
Marie-Eve Tescari, cheffe du service de stratégie RH à l'État de Genève (Photo: DR)
En juin 2022, le Conseil d’État tirait la sonnette d’alarme au sujet du taux d’absentéisme de 6% qui coûte 100 millions de francs par année à l’État de Genève. Où en êtes-vous aujourd’hui?
Marie-Eve Tescari: Le plan de lutte contre l’absence se déploie sur quatre axes: prévention et promotion de la santé; améliorer le suivi des absences; s’occuper des personnes présentes et un travail sur les absences perçues comme injustifiées. Le taux global a un peu diminué en 2023. Toutefois, il est encore trop tôt pour mesurer les effets concrets de ces actions, dont la mise en œuvre implique nécessairement un certain temps. À noter que nous avons nommé en janvier 2023 Alessia Cervone pour piloter ce plan.
Parmi ces 4 axes, l’État de Genève souhaite mieux s’occuper des personnes présentes. Que faites-vous concrètement?
Très souvent, les plans de lutte contre l’absence se concentrent sur les effectifs qui sont malades ou accidentés. Ils oublient les personnes qui restent en place et qui continuent à délivrer les prestations. Pour les offices ou les services qui en expriment le besoin, nous menons des analyses pour évaluer le climat de travail, ainsi que la capacité d’agir au niveau individuel, collectif et organisationnel. Mon service les accompagne pour mener ces enquêtes et élaborer avec eux des solutions concrètes pour le personnel en place, souvent surchargé.
Avez-vous des exemples?
Dans une situation, nous avons constaté un manque de communication entre le top management et l’encadrement intermédiaire. Il y a souvent un écart entre ce qui est demandé en haut (ce que l’on appelle le travail prescrit) et ce qui est réalisable sur le terrain (le travail concret). Sur ce sujet, j’apprécie l’approche de Michel Perrin, chef d’entreprise et membre du comité de la Fabrique de l’agilité: «Celui qui fait est celui qui sait». Il s’agit donc de donner une voix à celles et ceux qui sont sur le terrain. Ailleurs, ce sont des processus qui doivent être optimisés pour faciliter la vie des équipes. Cela peut aussi être de clarifier les rôles de chacun, de créer des espaces d’échanges ou de travailler sur les compétences.
Quels sont les autres enjeux RH qui remontent du terrain?
Par exemple, la conciliation vie privée-professionnelle. Nous avons d’ailleurs mené une enquête à ce sujet au sein d’un des départements de l’État, en nous focalisant sur trois populations distinctes: les femmes enceintes, les parents d’enfants de moins de 12 ans et les proches aidants.
Qu’allez-vous proposer aux femmes enceintes?
Les femmes enceintes sont souvent arrêtées pour des raisons de santé, un mois avant le terme. Nous réfléchissons donc à leur offrir la possibilité d’effectuer davantage de télétravail (la règle à l’Etat de Genève est 40% de télétravail pour un 100%, ndlr). Nous voulons aussi discuter en amont du remplacement plus systématique des congés maternités. Tous ces sujets sont discutés en parallèle avec les syndicats.
Quid des parents d’enfants de moins de 12 ans?
Les jeunes parents ont tendance à être plus absents (surtout avec des enfants de moins de 2 ans). La parentalité a un impact sur la vie; elle change les rôles et impacte fortement la conciliation entre vie privée et professionnelle. L’État-employeur doit être en mesure de les accompagner, pour qu’ils restent en bonne santé et engagés au travail. Nous réfléchissons donc aux manières d’adapter l’organisation, en nous basant sur les résultats de l’étude que j’ai mentionnée à propos de la conciliation entre vie-privée et professionnelle. Aux actions envisagées, s’ajouterait la rédaction d’un guide de la parentalité, qui recenserait également des organismes externes vers qui un collaborateur ou une collaboratrice pourrait se tourner afin d’obtenir du soutien.
Et pour les proches aidants?
Aujourd’hui, comme les femmes ont leurs enfants de plus en plus tard, elles doivent souvent cumuler leur emploi, leur rôle de mère, avec en supplément le fait de devoir soutenir leurs parents. C’est une triple charge mentale à gérer, qui concerne surtout les femmes. Mais le sujet est encore tabou et nous connaissons mal la situation réelle des personnes concernées. Nous collaborons avec le département de la cohésion sociale qui connaît bien cette thématique. C’est un enjeu de société, lié au vieillissement de la population. L’Office fédéral de la santé publique (OFSP) a aussi mené une recherche dans ce sens et proposé des mesures d’aménagements du travail liés à la proche-aidance.
Le changement de culture figure parmi vos axes stratégiques. Pouvez-vous nous en dire un peu plus?
Ce changement s’inscrit en partie dans la numérisation des services de l’État, notamment comment les nouvelles technologies peuvent faciliter le travail et la prestation aux usagers. Mettre en place, par exemple de l’IA générative, implique de travailler autrement. Cela induit de nouvelles manières de travailler, c’est-à-dire de fonctionner en mode itératif et d’expérimenter. Le changement de culture est donc aussi un nouvel état d’esprit: accepter de faire des erreurs, et donc de ne pas tout réussir tout de suite. Le déploiement des outils numériques implique cette ouverture d’esprit et cette remise en question de nos pratiques. Mais c’est un challenge car l’État est une structure de taille importante, ce qui implique une certaine lourdeur dans les manières de fonctionner, notamment en raison des nombreuses procédures et autres règlements qu’il s›agit de respecter. Nous souhaitons encourager plus d’agilité dans les mentalités. Amener plus de résultats passe également par responsabiliser davantage.
Comment amener cette agilité dans les pratiques?
Notamment en travaillant sur la sécurité psychologique dans les équipes pour favoriser les interactions et l’émergence du savoir. Il s’agit de créer des espaces d’échanges où les idées issues du terrain peuvent émerger et être testées.
Utilisez-vous de l’IA générative dans votre office?
Oui, nous sommes en période de test. Notre office développe un ChatGPT interne en collaboration avec l’Office cantonal des systèmes d’information et du numérique. Cet outil IA devrait faciliter la recherche de connaissance dans notre immense base de données, de règlements et de directives RH. Ce sera un outil pour nos clients internes, la filière RH. Si l’IA peut reprendre une partie de nos tâches administratives, nous pourrons mieux utiliser notre intelligence humaine.
Quel est le challenge le plus difficile à surmonter quand vous travaillez pour l’État?
C’est sans doute le fait de devoir répondre, en temps et en heure, aux attentes du politique, lequel est constitué de nombreuses parties prenantes.
Deux Masters et un Doctorat
Marie-Eve Tescari est la cheffe de service de la stratégie RH pour l’État de Genève depuis mai 2022. Dans ce rôle, elle dirige une équipe de 11 collaborateurs (conseillers en dynamique collective, en réinsertion professionnelle et référents du plan absences). La raison d’être du service est d’accompagner la transformation du travail et de favoriser la capacité d’agir de l’individu, du collectif et de l’organisation pour un meilleur service public et une meilleure qualité du travail. À l’État de Genève depuis 2014, Marie-Eve Tescari est titulaire d’un Master en marketing communication de l’ESC Reims, d’un doctorat en psychologie du travail (thèse sur le recrutement) de l’Université de Neuchâtel et d’un MAS RH de la heig-vd. Elle donne aussi des cours en formation continue à la HEG Genève sur les compétences sociales (intelligence collective) et réalise des assessments pour une institution parapublique.
Chiffres clés
19’674 collaborateurs
147 métiers
Moyenne d’âge: 45,2 ans
Pourcentage de temps partiel: 38,2%
Taux de rotation: 4,5%
Taux d’absence: 6,4%
Taux de femmes cadres: 43,1%