«Après la clientèle, c’est la ressource humaine qui exige le plus»
Patron d’une PME vaudoise en pleine croissance, Yan Bonzon revient ici sur son expérience de la gestion du personnel. La «ressource humaine – une appellation qu’il n’apprécie guère – ne peut pas se résumer à des profils de postes et des tableaux Excel», assure-t-il.
Yan Bonzon: "Je suis quelqu’un d’assez émotionnel. Et ce qui est très difficile dans les RH, c’est justement la dimension émotionnelle." Photo: Pierre-Yves Massot/arkive.ch
Etes-vous à l’aise avec la dimension «gestion du personnel» de votre fonction de dirigeant?
Yan Bonzon: Je le fais, mais ce n’est pas le domaine dans lequel je suis le plus à l’aise. Je suis quelqu’un d’assez émotionnel. Et ce qui est très difficile dans les RH, c’est justement la dimension émotionnelle
Etes-vous plutôt paternaliste ou distancé?
J’aurais tendance à être paternaliste, ce qui est paradoxal pour quelqu’un de la génération 1968 (rires). Mais c’est aussi l’image que j’ai reçue de mon père. Disons que je suis paternaliste dans le bon sens du terme.
Qu’entendez-vous par là?
Quelqu’un qui sait écouter ses collaborateurs, qui a une certaine compassion. Parce que la ressource humaine – et je n’aime pas ce terme – c’est surtout une question de compétence, de capacité et de potentiel humain. On ne peut pas dissocier ces aspects de la personne. Donc cela nécessite une implication et une écoute. D’autant plus dans une PME.
Sur quels sujets êtes-vous impliqué et avec quelle intensité?
Je m’investis beaucoup dans la sélection du personnel commercial et administratif, les deux départements que je dirige au quotidien. Ensuite viennent la gestion des conflits et la formation.
Les conflits, comment les abordez-vous?
C’est pour moi ce qu’il y a de plus difficile. Je m’implique très vite dans les relations et j’ai parfois de la difficulté à trancher.
Alors comment faites-vous?
Je fais souvent appel à un regard externe. Cela peut être un collègue d’un autre département ou alors une personne externe, un coach par exemple. A mon avis, la grande difficulté dans la PME, c’est d’être trop impliqué dans la relation, avec l’un et l’autre collaborateur. Et quand il faut trancher, cela devient très difficile. D’autant plus si l’on tient compte de toute la valeur ajoutée que peut avoir un collaborateur par rapport à un autre. Si on a la chance d’avoir des gens qui sont là depuis très longtemps, comme c’est le cas chez nous, et qui sont des vraies valeurs ajoutées, on se dit: «Si je tranche dans le vif et je perds une compétence à cause d’une intervention trop drastique, quelque part je pénalise tout le monde.» C’est l’intérêt commun qui prime, on a parfois tendance à l’oublier.
Avez-vous suivi des formations en ressources humaines?
Non. J’ai une formation d’architecte, avec un postgrade à l’IFCAM (Institut suisse pour la formation des cadres d’entreprise, ndlr), avec un cours sur les ressources humaines. Mais on ne peut pas résumer les RH à des tableaux Excel, à des profils de poste et à des questionnaires. Les RH c’est l’humain. C’est pour cela que j’ai de la peine avec la notion de ressource. Car pour moi, la ressource représente quelque chose d’inerte. L’humain évolue constamment.
Où allez-vous rechercher des ressources externes pour des questions plus délicates ?
Pour les conflits juridiques importants, nous allons chercher des compétences auprès des groupements patronaux, chez un conseil juridique externe ou auprès des caisses d’allocations ou d’assurances.
Et si vous avez un problème de gestion?
A mon avis, les ressources humaines, c’est un mélange de savoir-faire et de savoir-être. Là-aussi, on ne peut pas dissocier les deux. C’est assez facile d’agir sur le savoir-faire. Mais quand on est dans le savoir-être, c’est plus compliqué. Pour être très franc, on devrait – mais on ne le fait pas – travailler avec des psychologues. Il y a vraiment des cas qui relèvent de la psychologie et c’est clairement au-dessus de nos compétences. J’utilise des intervenants externes pour identifier quels sont les points dans le savoir-être d’une personne qui fait que tout d’un coup, elle n’est plus bien dans l’entreprise.
Quels sont les types de problèmes de savoir-être auxquels vous êtes confrontés?
Cela peut être des problèmes personnels, familiaux, la crise de la quarantaine, un divorce ou des problèmes avec les enfants. La personne aura besoin de plus d’attention et de compréhension pendant un moment. Mais si c’est une personne qui flanche, comme on a eu le cas récemment, il arrive un moment où l’on doit trancher. Une fois de plus, quel est l’intérêt commun? Avons-nous les compétences pour régler un cas qui peut être pathologique? En tant que chef d’entreprise, je peux donner mon appui, une écoute et une compréhension mais je ne peux pas le faire au détriment de la santé de l’entreprise.
Echangez-vous avec vos pairs?
Oui. Je fais partie d’un «club service» et de différentes associations. Dans ma clientèle aussi, je rencontre des personnes à des postes à responsabilité avec qui je peux échanger des expériences et des techniques. Mais en fin de compte, on a tous les mêmes problèmes. On est tous en train de se dire: «La ressource humaine, après la clientèle, c’est le domaine qui prend le plus d’énergie.»
Vous dites: «On a tous les même problèmes», lesquels sont-ils?
Le problème le plus récurrent est l’absentéisme. Les gens sont très vite absents. Je reçois des mails pour me dire qu’un collaborateur a mal dormi et ne peut pas venir travailler. Il y a vingt ans, vous recevez un mail comme cela, c’était plutôt: vous n’avez plus besoin de venir travailler (rires). Bon, cela dit, les choses ont évolué, heureusement peut-être, mais voilà, on sent que les mentalités et le monde du travail ont changé. Il y a, paradoxalement, des niveaux de tolérance qui s’inversent. Avec la protection de la vie privée et le respect de la personnalité, aujourd’hui en tant que patron on ne peut plus se permettre certaines choses.
Un autre casse-tête récurrent?
La motivation. Comment intéresser les collaborateurs? Comment les motiver dans leur plan de carrière, notamment auprès des jeunes qui ont beaucoup plus besoin de bouger?
Comment faites-vous pour rester attractif?
J’essaie d’être le plus franc possible. Je dis: «Voilà, on vous engage pour tel type d’activité, notre structure est la suivante, voici les avantages mais aussi les inconvénients». Quitte même à forcer le trait sur les points négatifs. Je ne veux pas qu’un candidat pense avoir été trompé sur la marchandise.
Et cette stratégie de l’honnêteté porte ses fruits?
Oui. On a trouvé quelques bons profils. Et quand cela n’a pas fonctionné, cela reste une expérience. Pour moi il n’y a pas d’échec. L’échec serait de poursuivre une expérience qui ne fonctionne pas et que tout le monde se fâche. Cela dit, j’ai fait des erreurs phénoménales. Car au début, on fait de la sélection de personnel sur un cahier de fonction très précis et on oublie le savoir-être. On découvre qu’on a engagé quelqu’un qui est très compétent, mais qui ne correspond pas du tout à l’équipe.
Et maintenant, comment procédez-vous?
Honnêtement, plus je vais de l’avant, plus je me fie à mon intuition. L’élément déclencheur qui va verrouiller l’engagement, c’est l’intuition. Dans les dix dernières années, chaque fois que je me suis trompé sur une personne, il y a eu un doute au départ. Je ne crois pas à ces dispositifs qui font passer les candidats par une batterie de tests et qui vous donnent un avis en fin de journée. L’être humain est plus complexe que cela. Vous ne savez jamais ce qui vous attend. Parfois les gens se révèlent. Il m’est arrivé d’engager une personne pour un défi technique précis et paf!, elle a explosé car le contexte professionnel lui convenait. Pareil avec des licenciements. En se séparant de certains collaborateurs, on a vu des collaborateurs s’épanouir.
De la bureautique aux imprimantes 3D
Yan Bonzon dirige la société Masset SA au Mont-sur-Lausanne, une entreprise familiale au chiffre d’affaires d’environ 14 millions de francs. Cette PME de 50 collaborateurs est spécialisée dans les systèmes d’impression. Masset SA, fondée en 1945 par André Masset, se lance d’abord dans la bureautique. Durant les années 1970, elle commercialise les premières photocopieuses de Suisse romande. En 1983, elle devient une société anonyme et Alexandre Bonzon, le père de l’actuel directeur, en devient un des associés. Après des études d’architecture à Genève, le fils Yan Bonzon entre chez Masset SA en 1992. En 1997, la PME acquiert la société Georges Maye (mobilier de bureau), puis Markor (Genève) et Buromat (Payerne) en 2005, deux petits acteurs locaux de la bureautique. En 2012, Masset SA rachète la société informatique Syspro (Mont-sur-Lausanne) et consolide sa position dans le marché très disputé de la bureautique. Son avenir est en train de se dessiner dans le segment de haute technologie des imprimantes 3D.