Marché du travail

Bienfait ou préjudice du changement de structure en Suisse

La restructuration prévue d'Alstom en Argovie par General Electric montre une fois de plus que l'économie suisse se trouve dans un processus d'adaptation complexe. L'activité dans l'industrie baisse, tandis qu'elle augmente dans le secteur tertiaire. Bienfait ou non: les avis des spécialistes divergent sur ce changement.

Berne (ats) Un coup de massue est tombé sur les employés et les politiciens. L'américain General Electric (GE) veut biffer "jusqu'à 1300 postes" en Argovie. Cette restructuration dans le domaine de l'industrie est un choc de plus pour le développement actuel du travail en Suisse: 31'360 places ont disparu entre 2008 et 2015.

Mais dans le même laps de temps, 261'700 places ont été créées dans le secteur tertiaire, soit une augmentation de 6,6%. Ces 178'500 nouveaux emplois sont apparus dans des domaines comme la santé, le social, l'éducation ou l'enseignement.

Compétitivité en danger

C'est un effet secondaire complètement normal pour les nations industrielles très développées et modernes, soutient George Sheldon, économiste du travail à l'Université de Bâle. Il ne déplore pas une désindustrialisation mais voit ce basculement positivement.

L'investissement dans le secteur de la formation est extrêmement important pour l'avenir de la Suisse, car celle-ci en raison de sa petite économie est dépendante de l'exportation. George Sheldon rappelle que le pays est traditionnellement très bien positionné sur les marchés de niche. "Pour rester dans cette posture compétitive, les entreprises suisses doivent être innovantes et pour l'être, un haut niveau de formation est nécessaire", conclut-il.

Daniel Lampart, économiste en chef de l'Union syndicale suisse (USS), ne partage pas l'optimisme du professeur en économie en ce qui concerne le changement structurel. "Nous observons que la part de la valeur ajoutée attribuable à l'industrie diminue en Suisse". Il faut se demander quels effets cela a sur l'ensemble du tableau, soit sur le PIB.

"Le danger est qu'à moyen terme, les entreprises ne puissent plus réaliser suffisamment de bénéfices pour pouvoir investir dans les moyens de production et la recherche", souligne le syndicaliste. Alors la Suisse perdrait en compétitivité sur les marchés mondiaux. "Lorsque dans une petite économie comme la Suisse, l'exportation s'érode, les revenus sont sous pression", argue-t-il.

Moins de collaborateurs nécessaires

Pour George Sheldon, si la restructuration en Argovie est, certes très douloureuse pour les collaborateurs concernés, elle s'inscrit toutefois dans le cours normal de l'histoire économique. Et l'économiste du travail de renvoyer à la différence entre emploi et croissance. Ce n'est pas parce qu'on déplace des postes d'un secteur à l'autre, que la croissance de la Suisse est en danger, soutient-il.

D'ailleurs, selon lui la croissance est générée dans les deux domaines, mais l'industrie a besoin de toujours moins d'employés pour y arriver, au contraire du secteur tertiaire.

Le problème du chômage

Cette vision professorale néglige toutefois la situation des travailleurs qui se retrouvent sans emploi. Et pour Daniel Lampart, le taux de chômage ne peut être balayé d'un revers de main.

Les chiffres, présentés par le Secrétariat à l'économie la semaine dernière, montrent qu'en moyenne un chômeur a besoin de 6,5 mois pour retrouver travail. Dans le détail, les jeunes sont de retour sur le marché de l'emploi après 3,5 mois contre 9 pour les plus âgés.

"L'âge est le facteur clé", précise Daniel Lampart. Et la situation ne sera pas différente pour les employés d'Alstom, selon lui. C'est pourquoi les travailleurs plus âgés ont besoin d'une protection contre le licenciement, indique-t-il faisant référence à la procédure de consultation en cours avec l'employeur GE.

Protection des collaborateurs limitée lors de renvois collectifs

Lors de licenciements collectifs, les entreprises suisses doivent se plier à de nombreuses dispositions formelles. Peu d'obstacles se dressent toutefois devant elles, si elles suivent le plan à la lettre.

Le premier critère est que les licenciements doivent être dus à des raisons industrielles ou à cause d'une cessation d'activité. Deuxièmement, le nombre de renvois entre également ligne de compte. Pour parler de licenciement collectif, il faut que 10% des effectifs soit mis en congé dans des entreprises comptant entre 100 et 299 employés. Pour les sociétés moins grandes, le seuil est fixé à 10 ou 30 collaborateurs, selon la taille.

Puis il s'agit d'informer les travailleurs. L'employeur doit effectuer une procédure de consultation durant laquelle les employés peuvent soumettre des propositions pour éviter les licenciements ou en réduire le nombre. Lorsqu'une entreprise comprend plus de 250 personnes et veut se séparer d'au moins trente d'entre elles, elle doit négocier un plan social avec le syndicat.

Si une société se tient exactement à cette feuille de route, rien n'empêchera un licenciement collectif. L'employeur a peu d'obstacles à surmonter, car la procédure de consultation n'est pas contraignante. Certes, l'entreprise doit évaluer les propositions de ses collaborateurs, mais elle peut les écarter sans fondement.

Les salariés ont toutefois davantage d'influence dès lors qu'un plan social doit être négocié. Dans un tel cas, un accord des partenaires sociaux est nécessaire. En cas de prises de position incompatibles, c'est un tribunal arbitral composé des deux parties qui tranche.

Avec ces dispositions légales inscrites dans le Code des obligations la Suisse a un cadre juridique comparable à celui de l'Union européenne. L'UE a édicté en 1998 des standards minimaux presque équivalents pour le débauchage collectif dans les pays membres. Ceux-ci disposent toutefois d'une marge de manoeuvre. L'Allemagne a ainsi abaissé ses seuils.

 

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