Vie et mort des RH

«C’est au directeur opérationnel d’assumer le rôle du DRH»

Le consultant François E. Clerc confie ici son analyse des dysfonctionnements des départements RH. Il propose ensuite de remanier la fonction de fond en comble. En confiant l’administratif à la finance, la responsabilité RH au directeur des opérations et en externalisant le conseil RH stratégique. Âmes sensibles s’abstenir.

Quel est, selon vous, le plus grand tabou qui entoure la fonction RH?

François E. Clerc: Sa valeur ajoutée est peu ou mal reconnue au sein de l’organisation. Dans les autres fonctions, elle est plus évidente: en informatique, par exemple, dès qu’il y a un problème, tout le monde le voit. Pour les RH, c’est quand la paie ne tombe pas le 25 du mois que chacun se rend compte de l’utilité de la fonction. Cependant, la valeur ajoutée existe, mais personne ne l’apprécie. Et ce manque de reconnaissance déclenche toutes sortes de comportements, comme l’autojustification ou l’autopromotion.

Donc quand les RH ne font pas leur travail correctement, personne ne le remarque?

Disons que la sanction n’est pas aussi rapide, à part pour la paie. Ce qui en dit long sur tout le reste.

Et ce tout le reste est...

Le conseil, la stratégie et l’accompagnement. Des contributions fortes, critiques, qui sont peu visibles. Il est regrettable que l’on ne voie pas l’impact des RH sur la stratégie.

Etes-vous en train de dire que la valeur ajoutée est là mais qu’elle prend du temps à se montrer?

(rires) Je l’aimerais bien. Je pense qu’elle est effectivement là. Mais où exactement? C’est toute la question. D’abord, est-ce que la fonction RH doit être la seule à proposer cette valeur ajoutée? Personnellement, je ne le pense pas.

Qu’entendez-vous par là?

Fondamentalement, le problème est lié à la fonction, et non à la justification de la fonction. Il y a des entreprises qui se portent très bien sans avoir des RH fortes. Et d’autres qui, si elles n’en avaient pas, n’iraient nulle part.

Quel est donc ce problème fondamental lié à la fonction?

Il faut revenir aux faits: en moyenne, 80 pour cent du temps des DRH est pris par de l’administration et 20 pour cent est dédié à éteindre des incendies. Ces mêmes DRH aimeraient pouvoir faire de la stratégie... Mais ils n’y parviennent pas.

Ont-ils les compétences pour y arriver?

On peut se poser la question. A mon avis, la plupart d’entre eux ne les ont pas. Et même s’ils en avaient les moyens, ils ne pourraient pas le faire. Car si vous faites 80 pour cent d’administration pendant un an, vous finissez par prendre un pli. J’entends de nombreux DRH se plaindre de ne pas avoir cette reconnaissance du business. Je leur dis ceci: cela fait 2, 3, 5 ans que vous êtes dans l’administratif. Et en parallèle, vous réglez des problèmes de mobbing, vous vous efforcez de baisser l’absentéisme, etc. Quel temps vous reste-t-il pour agir en stratège? Voilà la première partie du problème.

Car il y en a d’autres?

Le deuxième aspect est lié à la raison d’être de la fonction. La nécessité de s’occuper de l’aspect humain dans l’entreprise est indiscutable, il faut le reconnaître. Sauf qu’on crée des départements RH sur les modèles des départements finance, informatique ou juridique. Et considérer l’élément humain comme des éléments de la finance, de l’information ou des articles de loi n’est pas une erreur d’organisation, mais une faute de raisonnement. Fondamentalement, le problème vient du fait qu’on en a fait une «fonction» RH, justement. L’élément humain est partout dans l’organisation. Et une organisation qui vit a une direction. Une direction humaine. Ce qui me fait dire que le facteur humain est d’abord une affaire de direction d’équipe. Confier la responsabilité de tout ce qui touche à l’humain à un DRH, peu importe ses compétences, est une façon de déresponsabiliser tout le monde.

Isoler la dimension humaine dans un département était donc une erreur?

C’est mon avis. Et cela pose un autre problème. Comme les RH sont considérés comme les spécialistes de l’humain, les managers ont tendance à leur déléguer leurs problèmes de gestion du personnel. Mais en agissant de la sorte, les managers n’apprennent rien de ces situations. Au lieu d’offrir ce service RH, et de jouer au pompier, le discours RH devrait être le suivant: «Je viens t’aider mais je ne vais pas le faire à ta place. La gestion des gens – du recrutement au licenciement – est la chose la plus difficile à faire. Tu n’as jamais fini d’expérimenter, de te tromper et d’apprendre. Allons-y ensemble.»

C’est le rôle des HR Business Partners...

Du moins, c’est ce qu’on a essayé de faire avec ce concept. Dans les faits, ces soi-disant HR Business Partners ne font que se débrouiller, tant bien que mal. Ce qui hélas, parfois, contribue à renforcer l’image négative des RH.

Ces HR Business Partners n’ont pas toujours le niveau?

Comment le pourraient-ils? Car si les DRH partagent leur temps entre l’administration et l’extinction des feux, vous retrouvez le même état d’esprit aux niveaux inférieurs. Le paradigme est biaisé dès le départ. Ils sont souvent un peu légers au regard des problèmes qu’on leur demande de régler. Ils n’ont souvent pas suffisamment d’ascendant. Et ils sont de toute manière paralysés par la dimension administrative de leur fonction.

Imaginons qu’on enlève aux RH l’administratif et la paie, quel serait leur rôle?

A l’avenir, je conçois qu’il n’y ait plus de DRH. Non pas qu’ils ne servent à rien, mais ce modèle doit être revisité. Comment? Il faut revenir aux fondamentaux. Tout d’abord, il faut faire passer le message que les RH sont l’affaire des dirigeants. Dans une petite entreprise, si vous êtes le patron, la gestion RH c’est votre problème.

Les RH sont donc condamnés à disparaître?

Non. Car même si la responsabilité RH incombe aux dirigeants, les RH sont là pour les aider.

Mais comme vous le dites, ils n’ont pas la disponibilité pour donner ces conseils?

C’est pourquoi il faut les repenser. Cela commence par remettre tout ce qui relève de l’administratif – la paie, le recrutement au sens contrats et les assurances, etc. – à la finance. L’idée est de confier cette gestion administrative du personnel à une fonction compétente.

L’administratif pourrait aussi être externalisé?

A la rigueur, encore faut-il qu’il y ait un responsable compétent qui gère le contrat avec le prestataire. Le responsable ultime, à mon avis, reste la finance. Voilà donc le premier niveau, le socle. Le deuxième niveau – et là on reste encore
dans l’entreprise – concerne tout ce qui touche à l’opérationnel. Cela ne sert à rien de créer des organigrammes et des processus sans vision d’ensemble incluant l’élément humain. Cette responsabilité incombe au Chief Operating Officer (COO). Ce sera donc lui le nouveau DRH. Le CEO est responsable vis-à-vis des clients, des actionnaires et, d’une certaine façon, de son équipe de direction, mais il est tourné vers l’extérieur. Le COO, lui, doit faire tourner la maison avec des organisations, des processus, des changements et inévitablement des hommes et des femmes. Prenez l’exemple de la mise en place d’un nouveau système informatique. Dans les 20 millions que vous investirez pour l’infrastructure, il y en aura fatalement au moins 2 à 3 qui se surajouteront, en coûts cachés, imputables au facteur humain. Dans le modèle actuel, cela échappe à l’IT et aux RH.
 

Résumons. L’administration est donnée à la finance. La direction RH revient au COO. Et encore?

Reste une dernière dimension, qui est le conseil RH. Selon moi, ce conseil doit couvrir les trois domaines véritablement stratégiques. En premier lieu: le recrutement. Là aussi, j’observe qu’actuellement les RH sont trop souvent dans une logique transactionnelle.

C’est-à-dire?

Pour bien recruter, il ne suffit pas d’écouter les doléances internes et d’aller ensuite discuter avec les chasseurs de tête. Il faut s’assurer que la chaîne de valeur est bien alignée.

Quels sont les autres domaines stratégiques de la fonction RH?

La formation/développement. A ce propos, certaines pratiques actuelles m’étonnent. Quand j’observe que, dans certaines entreprises, 60 pour cent du budget de formation est dévolu à des cours de langues, je ne vois pas en quoi nous sommes dans des activités stratégiques?

Et le troisième domaine?

La rémunération. Et je ne parle pas de la paie. Mais plutôt d’une politique de rémunération équitable. Une rémunération qui fait que ceux qui travaillent bien gagnent plus que ceux qui travaillent moins bien. Et surtout qui valorise le travail d’équipe et qui n’utilise pas l’alibi du soi-disant marché pour cautionner la surenchère des salaires.

Ces tâches sont donc confiées au COO?

Selon moi, elles doivent être externalisées. Pourquoi? Car pour être de bon conseil, ce n’est pas l’intelligence qui compte, c’est la capacité à faire des comparaisons, du «benchmarking».

Le fait d’être extérieur permet de prendre de la hauteur pour mieux comparer?

Oui. C’est en tout cas mon expérience. Un jour, le patron d’une très grande entreprise est venu me voir. Il m’a dit: «Nous sommes sûrs que nous avons les meilleurs dirigeants – pour nous. Mais nous ne sommes pas certains d’avoir les meilleurs – du marché. Nous aimerions donc savoir comment pratiquent les autres entreprises que nous respectons.» Une telle attitude est non seulement remarquable mais juste.

Cette externalisation du conseil RH n’est donc pas une affaire de coût mais une question de perspective?

Oui. Parce qu’il faut en venir à la gestion du risque. Le poste de «Human Risk Officer» est à créer. Cette personne doit agir depuis l’extérieur de l’organisation et rapporter directement au conseil d’administration, avec un lien vers le CEO. Cette personne pourra ainsi donner l’alerte en cas de dysfonctionnements – burn-out, leader toxique, etc. Je crois qu’un Human Risk Officer aurait pu prévenir les 2 tragédies humaines de ces dernières semaines qui concernaient des dirigeants. Pas un DRH.

Mais aura-t-il toujours la sensibilité du business de l’entreprise s’il est placé à l’extérieur?

A ce niveau-là, la granularité fine n’est pas indispensable. Une fois les fondamentaux de l’opérationnel gérés, les grands enjeux stratégiques de la gestion humaine se ressemblent quel que soit le secteur d’activité. Sur l’idée du Compliance Officer, il s’agit de rappeler aux dirigeants qu’ils ont un devoir de pérennité vis-à- vis de l’entreprise. Ce devoir est de trouver les bons employés, de bien les former et de bien les rémunérer. Le défi est de faire juste dans les trois cas. Si on aspire à faire juste, on doit être ouvert à l’extérieur. L’autoréférence c’est comme l’endogamie: un facteur d’appauvrissement.

Un consultant tout terrain

François E. Clerc est le fondateur et le directeur du cabinet de conseils AdValorem Partners, basé à Genève, spécialisé dans le conseil de direction, la création de comités consultatifs et le recrutement de dirigeants. Après une licence en psychologie à l’Université de Genève, il a travaillé quinze ans dans l’informatique en RH, vente et marketing notamment chez Hewlett Packard, DEC et Compaq. Il a ensuite dirigé un bureau de distribution à Hong Kong. Revenu au pays, il a été pendant 11 ans senior partner chez Spencer Stuart. Il est aujourd’hui associé senior du cabinet de conseils DynamicsGroup.

 

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Marc Benninger ist Chefredaktor der französischen Ausgabe von HR Today.

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