Quels sont les autres désavantages de la flexibilité?
Ces modèles causent en général plus de charges adminis-tratives. Les plans ne sont pas réglés en début d’année une fois pour toutes, mais doivent être en permanence renégociés. Il faut donc éviter les règlements d’entreprise trop compliqués. Je crois aussi qu’on peut réduire ces complications en déléguant le planning aux équipes concernées. Mais notez que cette planification peut être une vraie source de conflits. Pendant les fêtes de fin d’année ou durant les vacances scolaires, personne ne veut travailler.
En quoi ces nouveaux modèles sont-ils le reflet de changements plus profonds que traverse notre société?
Les pressions augmentent à cause de l’accélération du cycle de vie des produits et de la concurrence, devenue globale. Ces facteurs participent à l’apparition de nouveaux modèles d’organisation du travail. Cela concerne le temps de travail, mais aussi les contrats d’indépendants, le travail temporaire, les jours de permanence et les auto-entrepreneurs. Nous analysons en ce moment des données sur ces auto-entrepreneurs (portofolio workers en anglais). Afin de comprendre comment leur activité professionnelle influence leur santé, leur satisfaction et les relations avec leurs proches.
La frontière entre vie privée et profes- sionnelle est en train de s’effacer, quels sont les défis de cette nouvelle réalité?
C’est vrai. Les temps de travail flexibles et les nouvelles technologies rendent la frontière entre privé et travail de plus en plus perméable. Il faudra trouver des solutions pour éviter trop d’effets négatifs sur la santé et la vie sociale.
Et ces solutions sont…?
Cela peut paraître élémentaire, mais un bon règlement aide beaucoup. Il faut des séparations plus explicites entre les deux domaines. Et il faudra aussi des règles individuelles. Certaines personnes décident de ne plus répondre au téléphone à partir de 20h00 ou de ne plus relever leurs mails après telle et telle heure.
Ces règles nécessitent une négociation entre collaborateurs et employeurs, ainsi qu’avec soi-même. Et c’est avec soi-même que la bataille décisive devra être menée. Il faut se fixer des limites et s’y tenir. Sinon, on risque de ne plus pouvoir récupérer ses forces correctement.
Et vous-même, quel est votre règlement personnel?
Ah! Le cordonnier est souvent le plus mal chaussé… (rires).
Qu’entreprennent les entreprises pour remédier à la perte de contact, à l’isolement et au risque de destructuration liés au télétravail?
Il faut fixer des heures de travail et surtout les enregistrer. La Fachhochschule Nordwestschweiz a bien montré les effets négatifs des horaires flexibles non contrôlés. En général, les gens travaillent plus et deviennent facilement insatisfaits. Les formations qui apprennent aux collaborateurs à s’organiser plus efficacement sont aussi utiles. Pour prévenir l’isolement social – qui baisse aussi la créativité – je recommande de planifier des rencontres régulières avec les collègues. Beaucoup d’entreprises le font déjà. Il faut aussi encourager les télétravailleurs à venir au bureau quelques jours par mois. Si les places de travail manquent, il existe d’autres solutions, comme les bureaux collectifs de type Betahaus à Berlin.
Le télétravail est-il une «voie de garage»? D’après certaines études, les télétravailleurs se plaignent souvent d’être privés d’opportunités de promotion...
Cela dépend de la manière. Si le contact physique est inexistant, le risque de «placardisation» est réel. Mais ce n’est pas une conséquence contraignante du télétravail. Notez aussi que les télétravailleurs sont aussi responsables de leur visibilité. Ils doivent en quelque sorte assurer leur auto-publicité. Ce qui est plus dangereux est de toujours sélectionner des groupes socialement vulnérables pour des modèles de télétravail. Les études montrent que ce sont très souvent les femmes, les migrants et ceux qui ont moins d’éducation qui sont choisis...
Petra Klumb
Professeur de psychologie du personnel à l’Université de Fribourg depuis 2004, Petra Klumb a mené toute sa carrière dans la recherche académique. Spécialiste du Work-Life Balance, elle a publié plusieurs études empiriques sur le sujet, dont une synopse sur les défis à surmonter pour les parents qui doivent jongler entre les tâches ménagères et les missions profes-sionnelles.