Comment lutter contre le stress quand tous les indicateurs passent au rouge
En période d’instabilité économique, le stress a tendance à augmenter dans les organisations. La peur du licenciement, la pression sur les coûts et la morosité générale se ressentent dans les équipes. Pour lutter contre ce stress, le grand spécialiste français du stress au travail Patrick Légeron propose un programme en trois axes. Il détaille pour HR Today ses recommandations.
Patrick Légeron, lors de l'inauguration de l'antenne lyonnaise de Stimulus, janvier 2009. Photo: Pierre-Yves Massot/arkive.ch
Le stress augmente dans les entreprises. Des milliers de postes passent à la trappe chaque semaine à travers le monde. Le 3 mars dernier, le Secrétariat d'Etat à l'économie (SECO) a annoncé officiellement que la Suisse est entrée en récession. Puisque la croissance a été négative les deux derniers trimestres de 2008 (- 0,1 pour cent et - 0,3 pour cent). Autre éclairage sur le moral des équipes: le taux d'absentéisme a baissé de manière significative depuis le début 2009, selon un indicateur de l'Institut de santé au travail de Lausanne (IST). La peur de perdre son emploi règne désormais dans les organisations. En plus du chômage technique, qui a atteint des sommets records, la pression sur les coûts est devenue l'objectif numéro un de la plupart des sociétés de Suisse romande. Conséquences: plusieurs contrats externes ne sont pas renouvelés; les intérimaires remerciés jusqu'à nouvel avis; et personne ne sait vraiment quand repartira la machine. Effets collatéraux de cette baisse de régime: plusieurs cadres de haut vol s'écroulent sous la pression. La clinique La Métairie à Nyon vient d'ouvrir une unité spéciale pour accueillir les managers en burnout. Du côté des départements RH, on s'inquiète désormais pour le moral des collaborateurs. Alors qu'il faudrait justement augmenter la performance. Les conseils de Patrick Légeron, grand spécialiste français du stress au travail* et co-auteur d'un rapport remis l'année passée au gouvernement Fillon sur les risques psychosociaux au travail.
Nous traversons une période de forte turbulence économique. Le stress augmente considérablement sur la place de travail. C'est la cause et l'effet?
Patrick Légeron: Oui, dans une certaine mesure. La crise économique attire l'attention des dirigeants sur le stress au travail. Mais cette prise de conscience ne doit pas être considérée comme un geste d'humanité de la part des dirigeants. Le stress au travail a toujours existé. Il n'a simplement pas été pris au sérieux, faute de connaissances et d'indicateurs fiables sur le sujet.
C'est donc une nouvelle culture à acquérir...
Oui, et cette prise de conscience doit démarrer au plus haut niveau de l'entreprise. Au Canada, chez Hydro-Québec (énergie, ndlr), entreprise modèle dans la gestion du stress, la stratégie «bien-être au travail» a la même force que les stratégies marketing, économiques et R&D. Mais cette pratique est rarissime de ce côté de l'Atlantique. En Europe, quand une entreprise décide de s'engager dans des changements, de créer une nouvelle façon de produire ou de réorganiser ses départements, elle effectue une étude de rendement et des études techniques. Très peu d'entreprises mesurent les effets psychosociaux de leurs décisions. Il faut donc intégrer une dimension «bien-être des employés» dans les grandes orientations économiques des sociétés.
Avec quel rôle pour les DRH?
Les responsables RH sont les interlocuteurs privilégiés pour piloter ces stratégies. Nous conseillons de les développer sur trois axes. Il faut d'abord instaurer une véritable culture du stress au travail. Prenez le cas de l'industrie, elle a développé une vraie culture de la sécurité. Aujourd'hui, du PDG à l'ouvrier, chacun sait que la sécurité est une priorité. Pareil pour le stress, il faut développer une culture. Le stress est souvent mal connu. Tout n'est pas stress. Il y a du bon et du mauvais stress. Et le mauvais stress peut avoir plusieurs origines suivant le contexte économique, le rang hiérarchique et le modèle économique. Il peut provenir d'une charge de travail trop lourde, de relations personnelles difficiles ou de problèmes de justice organisationnelle. Il faut sensibiliser les comités de direction et les managers à ces enjeux.
Pourquoi ne l'a-t-on pas fait avant?
Parce que beaucoup de patrons estiment qu'il y a des choses plus sérieuses à faire. Le stress est trop souvent un sujet tabou. Les salariés en parlent entre eux mais l'entreprise n'en parle pas. Il faut aussi former les managers, car ils sont souvent des causes de stress extrêmement importantes. Le manque de respect ou le fait de ne pas reconnaître les efforts fournis par les salariés par exemple. Aujourd'hui, on a un gros problème avec ces managers car ils sont beaucoup plus préoccupés par les résultats économiques que par les facteurs humains. C'est une erreur. Les résultats économiques sont meilleurs quand les gens se sentent bien au travail.
Et le deuxième axe?
Il faut mettre en place des indicateurs. Des outils qui permettent de mesurer à la fois l'état de stress des gens, et les causes de stress. Mais attention, il ne s'agit pas d'impressions du CEO glanées lors de sa tournée matinale. Il faut mettre en place des études basées sur des questionnaires validés. Cela permet de faire des diagnostics précis. Ce n'est pas forcément ceux qui crient le plus fort qui souffrent le plus. Il faut donc se méfier de l'a priori et des discours de façade. Et ces indicateurs permettront aussi de mesurer le progrès réalisé. Sans indicateurs, c'est difficile.
Développer une culture du stress, introduire des indicateurs, et encore?
Le troisième axe est le plus important: il faut agir sur les causes du stress. On constate parfois que le travail est mal réparti: certains ont beaucoup de boulot, d'autres pas assez. Dans certaines entreprises, il n'y a pas de justice organisationnelle: ce n'est pas forcément les meilleurs qui sont promus, il faut donc revoir la politique de promotion de carrière. Ailleurs, les gens participent très peu à la prise de décision, il faut donc leur redonner de l'autonomie, plus de responsabilité, plutôt que d'en faire des robots qui exécutent bêtement les tâches sans rien comprendre. C'est ce que nous appelons les actions de prévention primaire.
Il y en a d'autres?
Il faut ensuite protéger les gens contre les facteurs de stress. Cela passe souvent par de la formation. Apprendre à gérer la pression. Un téléopérateur, un guichetier face à des clients désagréables. On peut apprendre à ne pas souffrir de ces pressions par des techniques de relaxations assez simples. Après les actions organisationnelles, il faut faire en sorte que les gens atteints par le stress survivent. Il faut les repérer, les prendre en charge, leur offrir un conseil psychologique, de l'aide ou une prise en charge en clinique. C'est à ces trois niveaux qu'il faut agir.
Le problème des DRH, c'est qu'ils hésitent souvent à entrer dans la sphère privée des employés. Pareil chez les salariés, ils n'aiment pas dévoiler un problème, surtout en temps de crise...
Oui, je suis tout à fait d'accord. Les entreprises n'ont pas à entrer dans la sphère personnelle de leurs collaborateurs et les gens n'ont pas non plus à parler de tout leur ressenti. C'est le grand avantage des actions primaires. Elles traitent les conditions de travail. Ceci dit, il ne faut pas non plus être hypocrite. Les gens vont au travail avec les soucis de la maison et rentrent le soir avec les soucis du travail. Il n'y a pas de frontière nette. La limite entre vie personnelle et professionnelle doit être définie en fonction des cultures, des entreprises et des gens. J'ajouterais que les psychologues qui travaillent en entreprise ne sont pas des psychanalystes, qui vous font rentrer dans votre vie la plus intime. Mais ce sont des approches comportementales et cognitives, qui ne sont pas du tout intrusives. Les entreprises doivent savoir mettre des garde-fous importants.
Peu importent les causes de stress...
Les responsables d'entreprises ont trop longtemps cherché les causes d'une dépression ou d'une angoisse dans la vie privée des gens. Ce discours arrange le patronat. Car en fouillant bien, on trouve toujours des difficultés personnelles. Mais cela ne tient pas la route scientifiquement. Les études le montrent: la grande majorité des gens stressés ou déprimés le sont à cause de difficultés sur la place travail. L'entreprise ne peut pas nier cela. Car les conséquences peuvent être graves juridiquement. De plus en plus, les tribunaux vont condamner des entreprises pour ne pas avoir su protéger les salariés des situations dangereuses pour leur santé.
* Patrick Légeron: Le stress au travail, éd. Odile Jacob, 2007, 381 pages. Il est également coauteur du rapport: «La détermination, la mesure et le suivi des risques psychosociaux au travail», remis au Ministre du travail français Xavier Bertrand, en mars 2008.
L'intervenant