Comment soigner le blues du confinement
Plusieurs sondages soulignent le blues des salariés réduits au télétravail. Quels sont les meilleurs moyens pour y remédier? Les réponses de Noémie Le Menn, psychologue du travail, coach et conférencière.
Photo: Ben Blennerhassett / Unsplash
Selon un baromètre Opinion Way, près de la moitié des employés en télétravail interrogés rapporte des symptômes de mal-être et d’épuisement, 44 % se déclarent même en situation de détresse psychologique, particulièrement les femmes qui se disent en forte détresse (22%, contre seulement 14% des hommes). Ils ressentent aussi plus fortement que d’habitude un sentiment de tristesse (52%), surtout les femmes (60%), les jeunes (56%) et les personnes seules (54%). Le nombre de personnes touchées par un trouble dépressif serait en forte augmentation depuis septembre 2020. Les confinements successifs semblent plus difficiles à vivre psychologiquement que la première fois, si l’on juge par la proportion de personnes qui admettent ne pas avoir le moral: 28% en novembre 2020, contre 20% en avril de la même année et à peine 16% l’année précédente.
Le deuxième confinement aurait accru le nombre de personnes victimes d’anxiété (27%, soit une hausse de 7 points), de troubles du sommeil (38%, soit 6 points de plus), mais aussi de dépression (12%, soit une augmentation de 3 points).
Dépression ou troubles de l’adaptation? Ces chiffres sont basés sur des sondages d’opinion, ce qui signifie que les diagnostics sont autodéclarés. Or, les sentiments de tristesse imputables à l’isolement, à la surcharge mentale ou à la privation de la liberté (comme l'anxiété face à un avenir incertain) ne sont pas des symptômes de dépression...
La dépression est le trouble psychiatrique le plus fréquent: on estime qu’une personne sur 5 sera touchée au moins une fois au cours de sa vie, avec un ratio de 2 femmes pour 1 homme. D’après le Manuel diagnostique et statistique des troubles mentaux (DSM-IV- TR), qui fait office de référence en santé mentale, une dépression majeure suppose la présence d’au moins 5 symptômes parmi la liste ci-dessous, pendant au moins deux semaines, avec une souffrance importante mais sans lien avec une consommation de substances ou un autre diagnostic ou un deuil.
- Humeur dépressive présente toute la journée presque tous les jours. L’humeur dépressive se manifeste par la tendance à voir le monde, le futur, les autres et soi-même en mode pessimiste.
- Diminution marquée de l’intérêt ou du plaisir pour toutes ou presque toutes les activités pratiquement toute la journée presque tous les jours.
- Gain ou perte de poids significative (5%) en l’absence de régime, augmentation ou diminution de l’appétit presque quotidiennement.
- Insomnie ou hypersomnie presque toutes les nuits.
- Agitation ou ralentissement psychomoteur presque tous les jours créant des difficultés pour effectuer les tâches quotidiennes.
- Fatigue ou perte d’énergie presque tous les jours
- Sentiment de dévalorisation ou de culpabilité excessive ou inappropriée presque tous les jours.
- Diminution de l’aptitude à penser (dégradation des capacités cognitives) ou à se concentrer ou à prendre des décisions.
- Pensées de mort récurrente, idées suicidaires récurrentes, élaboration de plan de suicide et tentative de suicide. Le risque de décès par suicide est 10 fois plus élevé chez les personnes dépressives que pour le reste de la population.
La dépression se manifeste également par le défaut d’affects positifs, l'absence de plaisir ou incapacité à éprouver du plaisir, l’aboulie (abolition de la volonté), l’apragmatisme (incapacité à entreprendre des actions) ou encore l’athymhormie (perte de l’élan vital). Ces symptômes sont des réactions psychologiques normales en cas de rupture affective, de deuil, ou perte de son emploi. Ils justifient un diagnostic de dépression lorsqu’au moins 5 des symptômes énumérés ci-dessous sont présent de façon massive, dans la durée, en l’absence de rupture importante dans la vie de la personne.
On considère qu'un deuil devient pathologique lorsque les symptômes persistent pendant 2 ans ou plus. Alors, on peut parler de dépression. Dans le contexte de la pandémie actuelle, ne pas avoir le moral est plutôt un indicateur de bonne santé mentale...
La dépression est une maladie qui se soigne à l’aide de traitements reconnus. Plus la personne atteinte consulte tôt, meilleures sont ses chances de rétablissement. Dans la majorité des cas, la dépression se traite efficacement par une psychothérapie, par des antidépresseurs ou par une combinaison des deux. Les personnes qui s’estiment dépressives (avec au moins 5 symptômes de cette liste depuis au moins 2 semaines) devraient donc solliciter rapidement une aide professionnelle (médecin, psychologue, psychiatre). Il est contreproductif de "psychoter", c’est-à-dire de se raconter des histoires et d'établir soi-même des diagnostics: en cas de doute, la meilleure solution est de s'adresser à un professionnel. De nombreux psychologues consultent à distance dans le respect des règles de sécurité.
Trouble de l’adaptation?
Le trouble de l'adaptation est caractérisé par la présence de symptômes émotionnels ou comportementaux (difficulté à accepter la réalité et à s’y adapter) en réponse à un stress identifiable. Ce bouleversement émotionnel est normal face à tout changement de vie important. Dans le contexte actuel, les problèmes d'adaptation ne sont pas pathologiques. Une quantité de facteurs de stress sont en effet réunis: réduction de la liberté et des contacts sociaux, difficultés financières, perte d'emploi, sentiment d’impuissance, absence de contrôle, incompréhension (nouveau virus), avenir incertain (toutes les deux semaines, annonce des modalités du confinement), découvertes de mutations du virus. Il est probable que l’explosion des signes identifiés et autodiagnostiqués comme des dépressions corresponde à des réactions émotionnelles fondées et passagères, dans une situation difficile. Cependant, nous avons le droit de nous faire aider pour mieux y faire face.
Le trouble de l'adaptation peut être aigu ou chronique et son diagnostic assez commun; l’incidence est en effet à 21% dans les consultations psychologiques pour adultes. À noter que le manuel DSM IV identifie plusieurs sous-types déterminés par les symptômes prédominants: humeur dépressive, anxiété, fois anxiété et humeur dépressive, perturbation du comportement, perturbations des émotions et du comportement.
Pourquoi faut-il être précis dans un diagnostic?
Il convient d’appeler un chat un chat et d’éviter de se raconter des histoires potentiellement aggravantes! Parler spontanément de dépression dans ce contexte, c’est ajouter du pathologique au stress, ce qui n’arrange rien. Un trouble de l'adaptation marque une difficulté à s'adapter à un changement, c'est une étape à franchir, alors qu'une dépression est une maladie qui doit se soigner... Nous sommes responsables des représentations que nous validons. Gardons-nous donc de "psychoter" et de nous fabriquer des difficultés supplémentaires! Si je crois que je suis cliniquement dépressive, cette croyance impactera mes comportements et pourra même créer de véritables ‘’symptômes’’.
La bonne nouvelle, c’est que tout le monde peut se libérer des croyances toxiques qui agissent comme des démons intérieurs. La première étape est de les identifier, de les nommer. La seconde consiste à se confronter à elles pour les changer. La troisième implique de définir une stratégie et des mesures pour reprendre pied.
- Reconnaissez l'importance de/des événements stressants. On a parlé de guerre, de crise sanitaire, on a compté les morts, les deuils se sont accumulés, les entreprises licencient: l'avenir est incertain, la situation est grave et préoccupante. Elle n’est pas désespérée.
- Acceptez ce que vous ne pouvez pas changer… C’est en acceptant la situation qu’il devient possible de mieux la vivre voire de la changer. Le déni, la colère, la recherche d’un bouc émissaire, le refus de porter un masque et de respecter les gestes barrières, l’organisation de fêtes sauvages et d’évènements sociaux sont des réactions dysfonctionnelles en l’état actuel des connaissances. En tant qu’être humain, nous pouvons penser sur notre manière de penser et d’agir. Pourquoi choisir des comportements de mise en danger de soi et/ou des autres?
- Réfléchissez sur votre propre représentation de la situation, c’est agir sur votre mental. La réévaluation cognitive consiste à changer notre façon de voir ce qui cause un stress, sans nier sa gravité. Percevoir la situation comme un défi, un devoir, une mission, une expérience ou une opportunité permet de sortir du mode «alerte» et de retrouver notre pouvoir d’action. Ce n'est pas facile, mais c'est faisable.
- Adaptez-vous progressivement. Identifiez les démarches concrètes pour obtenir de l’aide, les attitudes et les visions que vous pouvez adopter, compte tenu du contexte. En partant du principe qu'il existe des solutions, vous augmentez vos chances de les trouver!
- Gardez le sens de la réalité. Chaque jour, faites votre part en traitant un problème à la fois… Petit à petit, de nouveaux réflexes vont se mettre en place. Corps et esprits vont s'adapter à cette nouvelle réalité. L'horizon va se dégager... Garder le sens de la réalité consiste à conserver son esprit critique à et exercer sa capacité de discernement pour éviter la dédramatisation et le danger (pour soi et pour les autres).
- Encouragez-vous! Faites preuve de bienveillance envers vous-même. Nous sommes les maîtres de nous-mêmes. Comment souhaitez-vous vous manager? Il est impossible de ressentir deux émotions en même temps: concentrez-vous sur l’optimisme, l’humour, la fierté, la joie… Évitez autant que possible de vous gaver d’informations anxiogènes et de pensées pessimistes qui vont vous polluer. Faites-vous plaisir avec ce que le contexte vous permet! L’humour et le rire sont des armes précieuses contre le stress. L'exercice physique déclenche des endorphines.
- Restaurez l’estime de soi et votre sentiment d’auto-efficacité. «Si les gens ne croient pas qu’ils peuvent obtenir les résultats qu’ils désirent grâce à leurs actes, ils ont bien peu de raisons d’agir ou de persévérer face aux difficultés», disait Alfred Bandura.