Droit du travail

Conflits du travail et enquêtes internes

Si un problème lui est rapporté, l'employeur est tenu de mener une enquête pour établir les faits. Tour d'horizon des différentes étapes et quelques conseils pour réussir cette procédure délicate. 

Informé d’un problème au sein de l’entreprise en lien avec le comportement d’un ou plusieurs employés, comme un cas de harcèlement moral par exemple, l’employeur se doit de prendre les mesures nécessaires, en application de l’art. 328 CO, afin de protéger la personnalité de ses employés. Afin de faire la lumière sur le problème, l’employeur peut bien entendu demander aux ressources humaines d’interroger les personnes ayant connaissance des faits problématiques en vue de déterminer si des mesures doivent être prises et contre qui. Cela étant, les ressources humaines ne disposent pas toujours des ressources nécessaires en termes de disponibilités et/ou de compétences pour mener à bien cet exercice. C’est donc dans ce contexte que l’employeur peut choisir de déléguer l’enquête à des prestataires externes comme des avocats par exemple. Charge à ces derniers de faire la lumière sur les faits et de formuler des recommandations juridiques à l’attention de l’employeur.

Le déroulement de l’enquête

Le processus d’enquête interne n’est ni défini ni prévu dans le Code de procédure civile suisse, de sorte que les enquêteurs sont libres d’organiser l’enquête en question comme ils l’entendent. D’une manière générale, le processus peut être décrit comme suit.

Une fois prise la décision d’effectuer une enquête interne et les enquêteurs mandatés, l’employeur informera l’employé incriminé de l’ouverture de l’enquête interne à son encontre, sauf si un risque existe qu’il puisse faire disparaître des preuves ou intimider certaines personnes appelées à déposer par exemple. L’employeur devra également décider si l’employé en question peut poursuivre son activité au sein de l’entreprise ou s’il sera suspendu de son poste durant l’enquête tout en restant rémunéré pendant cette période.

En parallèle, les enquêteurs prendront connaissance en détail de la plainte afin d’identifier la problématique, de déterminer les faits à clarifier et les mesures probatoires à effectuer, comme par exemple la revue de documents et l’audition de collaborateurs.

Accord de confidentialité

Avant toute chose, les personnes entendues seront invitées à signer un accord de confidentialité leur rappelant que le déroulement de l’enquête est confidentiel, cela pour protéger la personnalité de tous les participants. Les entretiens sont habituellement menés par une équipe de deux enquêteurs, l’un posant les questions et le second notant les déclarations des personnes entendues. Les auditions débutent si possible avec le plaignant afin de préciser les faits et se poursuivent ensuite avec les collaborateurs et/ou tiers ayant connaissance du problème.

Une fois les faits problématiques établis, l’employé incriminé sera alors entendu. Ce dernier devra collaborer conformément à son obligation de diligence et de fidélité envers son employeur (art. 321 CO). S’il en fait la demande, il pourra venir assisté d’un avocat si l’employeur y consent. Lors de cet entretien, les faits problématiques seront exposés en détail à l’employé afin qu’il puisse se déterminer précisément à ce propos et puisse faire valoir son droit d’être entendu. Il lui sera également possible de demander à ce que des personnes additionnelles soient interviewées afin de soutenir sa version des faits. Les enquêteurs disposent en la matière d’un pouvoir discrétionnaire leur permettant de déterminer si ces auditions supplémentaires sont nécessaires ou non et peuvent y renoncer par exemple si les personnes citées sont de simples «témoins de moralité» qui n’ont pas connaissance de la problématique de l’enquête.

Les déclarations des personnes interrogées seront protocolées et signées par ces dernières et les enquêteurs au terme de l’entretien. On notera finalement que rien ne s’oppose à ce que les interviews soient effectuées par vidéoconférence. Il faudra cependant être attentif au fait que le consentement de tous les participants sera nécessaire pour procéder à l’enregistrement de la séance. À des fins de transparence, le protocole de l’entretien pourra être partagé à l’écran pour que la personne entendue puisse en confirmer le contenu par email séparé ou au moyen du «chat» de l’application de vidéoconférence au terme de l’entretien. 

Le rapport d’enquête

Une fois tous les intervenants entendus, les enquêteurs procéderont à la rédaction du rapport. Ce dernier se compose normalement de quatre parties. La première récapitule la procédure suivie afin de démontrer que le règlement interne de l’employeur applicable à la gestion des conflits et aux enquêtes internes, s’il y en a un, a été respecté. La seconde récapitule précisément les faits et les témoignages. La troisième est juridique et détermine si des violations du contrat de travail ont été commises par l’employé incriminé. Finalement, les conclusions résument les manquements et les mesures qui peuvent être prises par l’employeur, qu’elles soient de nature disciplinaire, organisationnelle ou facilitative. Une séance de reddition et d’explication du rapport pourra ensuite être agendée avec l’employeur pour clore l’enquête.

Pour ce qui est de la durée de l’enquête, cette dernière doit être menée, pour reprendre la formule consacrée d’Alain Berset, «aussi vite que possible et aussi lentement que nécessaire». En effet, bien que le processus doive avancer rapidement pour que les mesures utiles soient prises au plus vite, la complexité des faits à éclaircir et le nombre important des auditions à mener peuvent parfois nécessiter plusieurs mois. Il est par conséquent important que le règlement interne de l’employeur, s’il prévoit un processus applicable aux enquêtes internes, ne mentionne pas un délai impératif pour la reddition du rapport d’enquête, faute de quoi l’employeur s’expose à violer son règlement et à donner la possibilité à l’employé incriminé de se plaindre d’un processus trop long et d’une atteinte à sa personnalité.

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CT

Carol Tissot est associée chez Eversheds Sutherland SA et Présidente au Tribunal des Prud’hommes de Genève.

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