Portrait

De la connexion à l’entraide

La fondatrice de Rezonance Geneviève Morand réapparaît sur les estrades après cinq ans de quasi invisibilité. Ce silence lui a permis de redynamiser sa plateforme de réseautage et de confirmer sa passion pour les cellules d’entraide.

Enfant, elle se souvient d’avoir couru pieds nus dans une forêt aux côtés d’un faon sauvage. Le souvenir est resté ancré. Aujourd’hui, quand Geneviève Morand veut se retrouver, elle va en forêt, quitte ses souliers, respire l’air frais et terreux et retrouve le sol moelleux de son enfance. L’anecdote illustre à merveille la transformation qu’est en train de vivre Geneviève Morand. Après dix ans de frénésie médiatique et événementielle, la créatrice de Rezonance a décidé de se retirer de l’opérationnel et des lumières asséchantes de la renommée pour se réinventer et pour mieux cerner les fondations de son énergie incandescente. Du coup, elle est capable aujourd’hui de lever un coin de voile sur sa forêt secrète.

Après cinq ans de quasi invisibilité, Geneviève Morand est donc de retour. La période de calme et d’introspection a porté ses fruits. Elle vient de publier deux livres. Un ouvrage sur l’art de l’entraide et un livre de conseils sur le réseautage et le management collaboratif*. «Je désirais transmettre ce que je fais depuis 15 ans. Je suis une entrepreneuse, passionnée par le management. Mais on ne peut pas réaliser de grandes choses tout seul. Il faut apprendre à cocréer, à réaliser ensemble», dit-elle, avec ce ton enthousiaste qui est sans doute un des principaux ingrédients du succès des 394 Rezo-First, les conférences gratuites organisées à ce jour par Rezonance.

«J’ai dû moi-même apprendre à tomber le masque»

Mais pourquoi est-elle passée du réseautage à l’entraide? «Nous avons constaté que les gens qui participent à nos soirées First n’allaient pas à la rencontre les uns des autres. Le réseautage reste une approche en surface, un échange de cartes de visites et un bon moment passé autour d’un verre. Pour résoudre les vraies difficultés, il faut pouvoir aller plus loin. J’ai découvert les groupes d’entraide il y a 15 ans au Québec. Et durant ma période de réflexion, j’ai compris que c’était dans cette direction que je devais aller.»

Autant le réseautage est ouvert à tous, autant les cercles d’entraide sont confidentiels, fermés et cooptés. Pas plus de douze personnes par groupe, pas de concurrents, pas de profils trop proches. Avec des règles strictes, dont la confidentialité, la confiance et la transparence. La formule répond à un vrai besoin. «Les dirigeants sont souvent seuls. Dans ces groupes d’entraide, ils peuvent tomber le masque, être vraiment eux-mêmes, avec leurs forces et leurs vulnérabilités. J’ai moi-même dû apprendre à tomber le masque. Je suis une fille d’entrepreneur. J’ai appris à me débrouiller sans aide et, dans les moments difficiles, à me relever toute seule, avec le sourire. J’ai donc dû prendre conscience de ces mécanismes profondément ancrés en moi pour vraiment profiter de ces groupes d’entraide», confiera-t-elle, dix jours après notre entretien, lors d’un RezoFirst sur l’entraide en affaires à Paudex.

Cette confidence en public illustre bien la nouvelle densité de Geneviève Morand. Elle est devenue plus solide, plus ancrée, voire même plus douce. Connue en Suisse romande pour son dynamisme et son énergie, elle avait un côté sec, froid et insaisissable. Aujourd’hui, la flamme est toujours aussi brillante, mais elle est devenue plus nette, avec des nuances de bleu, de jaune et d’orange qui adoucissent son aura. «Quand vous réseautez, il faut avoir l’air prospère. Dans les cellules d’entraide, vous pouvez être vous-même et ainsi obtenir des feedbacks qui vous aident à avancer», glisse-t-elle. La clé, poursuit-elle, est d’apprendre à exprimer ses be-soins. «Mais pour connaître ses besoins, il faut prendre de la hauteur.»

«Facebook et LinkedIn ne suffisent pas»

D’où ses cinq années retirée de la frénésie événementielle: «Après dix ans de Rezonance, j’ai décidé de faire une pause. Les réseaux sociaux étaient en plein boom. Et tout le monde regardait dans la même direction. Mais Facebook et LinkedIn ne suffisent pas. J’ai donc créé des groupes d’entraide en France et en Suisse. Ces cellules incarnent le temps et l’espace qui permettent d’entrer dans la profondeur.»

On lui fait remarquer que cette profondeur de la relation implique de bien connaître sa propre singularité. La question semble la déstabiliser. Elle commence par répondre de travers en entonnant un beau refrain sur la transformation du monde. «Le Shift», proclame-t-elle, est le passage du compliqué à la complexité. «C’est l’avènement du temps de la connexion. Car les espèces les plus interconnectées avec leur environnement sont les plus résistantes. L’état de la planète est le reflet de notre capacité à tisser des liens avec les autres», assène-t-elle. Ce qui en dit long sur la faculté des hommes à être en relation, ne serait-ce qu’avec eux-mêmes.

La voilà donc ramenée à sa singularité. Et cette fois, elle tombe le masque. «J’ai pris du temps pour comprendre quels étaient mes talents. Je me suis demandé ce que je faisais avec plaisir et sans effort. J’ai beaucoup réfléchi. J’ai écouté l’avis des autres. Et j’ai utilisé la méthode d’assessment Gallup». Résultat? «Connexions, stratégie, maximisation, charisme et activation». Voilà donc l’ADN de Geneviève Morand.

Du côté matériel, on lui demande comment elle gagne son argent? Elle sourit: «Je suis très claire dans la séparation de mes mandats bénévoles et payants. La Fondation La Muse (un espace de coworking et d’échanges qu’elle a créé en 2009, ndlr), c’est du bénévole. Pour vivre, j’anime des formations et des conférences en entreprise.» Ses tarifs? Elle botte en touche: «Cela dépend du mandat. Je différencie les organisations à but non lucratif et les autres». Et ajoute qu’elle a créé deux emplois fixes à Rezonance, occupés par Quentin Turf et Claire Gadroit. Elle insiste d’ailleurs souvent sur cette collaboration. Sans eux, pas de pause de cinq ans pour réfléchir à l’avenir.

A l’avenir, Rezonance abritera les projets de ses membres

Le futur justement, parlons-en. La plateforme Rezonance célèbre cette année son quinzième anniversaire. «Avec Quentin et Claire, nous venons de terminer six mois de réflexion pour savoir dans quelle direction aller ces quinze prochaines années. Après de longs mois à se creuser la tête, le déclic est arrivé cet été. Nous avons compris que Rezonance est une plateforme fermée. Le réseau est là, certes, mais les projets et les événements, c’est nous qui les faisons vivre. A l’avenir, la plateforme accueillera les projets de nos membres, qu’ils soient événementiels ou non», détaille-t-elle. Bref, fidèle à elle-même, Geneviève Morand vient de se réinventer un avenir. Et garde donc toujours un temps d’avance.

L’avenir semble donc réglé. Il faut encore traiter le passé. Née à Lausanne, Geneviève Morand, comme son nom l’indique, est bien Valaisanne d’origine. Issue de cinq générations d’entrepreneurs, elle avoue une immense admiration pour son père, ingénieur chimiste et entrepreneur dur à cuire, qui est décédé l’année de la création de Rezonance. Avant-dernière d’une fratrie de cinq, Geneviève Morand n’est pas la seule tête connue du clan Morand. Son «petit» frère Guillaume est à l’origine des enseignes Pump it Up (chaussures) et politicien à ses heures perdues.

Enfance à Chailly et Epalinges. Petite, à part courir dans les bois pieds nus, elle a déjà le contact facile. Avec son charme naturel, elle aborde sans gêne les amis proches et moins proches de la famille. Elle étudie le droit à Lau-sanne, poursuit avec un Master en administration publique à l’IDHEAP. Elle refuse ensuite une bourse pour le Collège européen, écoutant son intuition qui lui dit d’entrer dans le marketing. Elle dirigera ensuite plusieurs entreprises de distribution de films et le service marketing de la Télévision suisse romande, où elle produit deux films sur les Indiens Kogis de Colombie

De sa vie privée, elle ne dira rien. A part évoquer ses deux fils: Oscar, qui se forme actuellement aux techniques de la permaculture (agriculture durable) et Victor, qui souhaite entrer dans les métiers de la scène. Victor assiste d’ailleurs à l’entretien, dans les locaux de La Muse à Lausanne. Ses derniers mots seront pour lui: «Comment étais-je?», lui demande-t-elle, rieuse. Lui sourit et laisse planer le mystère. Une pudeur qu‘il tient de sa mère, sans aucun doute.

* Geneviève Morand: L’art de l’entraide, éd. Jouvence, 2013, 140 pages et Du réseautage au management collaboratif, Dossier HRM n°31, éd. Jobindex media, 2013, 47 pages.

Bio express

  • 1960 Naissance à Lausanne
  • 1985 Master en administration publique (IDHEAP)
  • 1991 Responsable marketing à la RTS (Radio télévision)
  • 1998 Fonde la plateforme Rezonance

 

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Marc Benninger est le rédacteur en chef de la version française de HR Today depuis 2006.

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