De la résilience classique à celle d’après-crise
En physique, la résilience définit la capacité d’un matériau à revenir à son état initial. En psychologie, il représente la capacité d’un individu à rebondir après un choc. Son utilisation a souvent consisté à encourager la faculté des collaborateurs à s’adapter aux évolutions conduites par un management, en différenciant le système qui changeait des individus qui devaient s’adapter. Nous vivons avec la crise du Covid-19 une transition vers une résilience qui ne différencie plus le système de ses collaborateurs.
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Dans une crise systémique, l’ensemble des organisations auxquelles les individus se réfèrent - leur entreprise, leur emploi, leur famille ou leur cercle social - sont touchés. Lorsque cette crise dure et remet les sécurités fondamentales en cause, l’incertitude est totale. Les théories du chaos enseignent, à partir du moment où un point de rupture est passé, l’imprévisibilité des événements. A posteriori, on pourra toujours les expliquer. Mais en amont, ce qui va se passer n’est que l’un des possibles, voire un présumé impossible.
La résilience d’une organisation va passer par deux éléments. D’une part, la réinvention de sa raison d’être, en résonnance entre ses possibles et ce que vit l’environnement. D’autre part, la mise en place progressive de repères (attracteurs) pour ancrer pas à pas ce qui fonctionne.
La concrétisation de ces dimensions quelque peu éthérées est relativement simple. Pour la première, le spécialiste de la gouvernance d’entreprise Bernard Marie Chiquet prend l’exemple d’une pelote de laine emmêlée. Pour la démêler, il n’y a pas d’autre moyen que d’essayer de tirer un fil. D’arrêter lorsque le tout se coince encore plus. Puis d’essayer un autre fil. Autrement dit, lorsque l’organisation elle-même est touchée par une crise systémique, se montrer résilient va consister à inventer par l’essai de nouvelles façons d’avoir un rôle sur le marché. Et là, aucun génie visionnaire n’a la solution en amont. La réussite ne peut venir que de l’initiative des individus, à qui l’on confie la mission d’essayer, de tester, puis d’arrêter si ça coince pour réessayer autre chose.
La résilience du tout ne peut exister que par l’émergence de la résilience des individus. On rejoint ici aussi les théories du self-leadership et de l’entrepreneuriat de soi. Lorsque le collaborateur est entrepreneur de sa propre réalisation, il va avoir l’imagination d’essayer autre chose plutôt que d’attendre les ordres ou les directives. Les tentatives du système ne sont que la somme des tentatives de ses collaborateurs. Il n’y a plus de différenciation.
Le rôle de l’organisation se situe alors en aval. La somme des essais est elle-même chaotique. Les meilleures tentatives ne sont pas mises en avant. Il faut donc créer des attracteurs de bonnes tentatives. Non pas au sens de les favoriser, mais de les repérer et de les ancrer. Des communautés de pratiques, des speed dating d’entreprise, des cercles d’échanges, des petits-déjeuners de storytelling mutuel: toute initiative visant à partager l’information de manière rituelle va créer un terreau fertile pour l’ancrage des meilleures solutions, c’est-à-dire celles qui résonnent le plus avec le besoin de résolution des nouveaux types de problèmes qui apparaissent après la crise.
Ces principes rejoignent ceux de l’effectuation, qui montrent qu’en situation de crise ou d’incertitude totale, les entreprises qui réussissent ne sont pas celles qui partent d’un objectif pour organiser leurs ressources. Ce sont celles qui construisent leurs objectifs à partir de l’action et des essais de leurs ressources.
Saras D Sarasvathy, 2001, «Causation and effectuation: Toward a theoretical shift from economic inevitability to entrepreneurial contingency, Academy of Management,The Academy of Management Review, vol. 26, Iss. 2; p. 243
Bernard Marie Chiquet, mars 2019, «Pourquoi l'intelligence collective ne suffit pas», Harvard Business Review
Les soins à domicile au cœur du sujet
Dans la plupart des cantons, les institutions publiques de soins à domicile se sont retrouvées en première ligne face au Covid-19. Point de contact pour les premiers appels dans certaines régions, prise en charge de malades confinés ailleurs. Ni les structures ni les collaborateurs n’étaient préparés à cela. Pourtant, ils se sont montrés prêts. Responsabilisés, ils ont pris les choses en main et agi. Quelques lignes directrices les ont aidés, mais chacun s’est retrouvé à devoir inventer comment se traduisait le sens de sa mission face à l’inconnu.
En termes de résilience, c’est alors à l’organisation de jouer et de mettre en place ces fameux attracteurs. Chez Nomad, à Neuchâtel, on a par exemple proposé aux cadres de former des communautés de pratiques ou de bénéficier de coaching collectif sur leur positionnement. Malgré le stress de la surcharge de travail à digérer, un tiers d’entre eux ont choisi de participer à l’une ou à l’autre des formules. Ils y ont à la fois trouvé un espace d’expression de leurs émotions et un lieu de construction de nouvelles pratiques qui peuvent perdurer. Deux piliers fondamentaux de la résilience.
Chroniques «La recherche en actions»
Les chroniques regroupées sous l’intitulé «La recherche en actions» sont rédigées par des enseignants et chercheurs liés aux programmes de formation continue MRHC (Management, Ressources Humaines et Carrière) issus du partenariat entre les 4 universités de Suisse Romande.
Pour toute information complémentaire: mrhc@unige.ch
Coordination des chroniques «La recherche en actions»: Nadine Bagué, responsable pédagogique des Programmes de Formation Continue en MRHC.