Découpler rémunération et responsabilité managériale
Il existe trois sortes de cadres: d’abord les experts qui savent faire. Ensuite les managers qui, eux, savent faire faire. Enfin les leaders qui donnent envie de faire, autrement dit qui sont source d’inspiration.
Raphaël H Cohen: "Celui qui sait faire n'est pas nécessairement qualifié pour faire faire ou même donner envie de faire."
Le problème tient au fait que, presque par définition, le cadre doit... encadrer et que, dans l’esprit des gens, plus il encadre et plus il doit être rémunéré. L’ennui est que celui qui sait faire n’est pas nécessairement qualifié pour faire faire ou même donner envie de faire.
Rongés par l’ambition de gagner plus et voir leur carrière évoluer «favorablement», les experts aspirent ainsi à devenir cadres. L’absence de responsabilités managériales étant perçu comme une limitation, les entreprises se sentent obligées d’en donner aux experts qu’elles souhaitent retenir. Sont ainsi promus cadres des experts qui n’ont pas les compétences managériales requises (principe de Peter). Or, il ne suffit pas d’être nommé manager pour que les subordonnés se sentent inspirés et engagés, comme c’est le cas avec un vrai leader.
Sachant que le manque d’engagement peut, selon PWC, aboutir à une perte de productivité et de profits pouvant atteindre 35 pour cent, ce n’est pas rien!
Pour éviter cette perte, il convient notamment de ne pas lier la rémunération et le statut à l’encadrement. Les entreprises qui ont pris conscience de cette réalité traitent les experts avec les mêmes égards que les cadres, tant au niveau du statut que de la rémunération. Cela permet de valoriser l’expertise indépendamment de la fonction d’encadrement. De la même manière, elles traitent la capacité d’encadrement comme une expertise en soi qui est valorisée comme telle.
Irréaliste? Pas tout à fait puisqu’il est admis qu’un très bon vendeur puisse gagner plus que son chef ou même le CEO. Cela peut se faire dans d’autres fonctions que la vente.
En fin de compte, la seule règle qui devrait guider la rémunération n’est pas le niveau d’encadrement mais la valeur «marchande» du collaborateur, autrement dit ce qu’il «vaut» sur le marché ou ce qu’il faudrait payer pour le remplacer.
En matière de rémunération, les gens ne demandent qu’une chose: l’équité, ce qui signifie être payés de manière «comparable» à ce qu’ils pourraient obtenir ailleurs. Payer au-dessous du marché génère de la frustration tandis que trop bien payer fabrique des prisonniers économiques. Ces derniers n’étant pas réellement engagés pour le succès de l’entreprise, ils sont seulement motivés par le maintien de leurs acquis. C’est un état d’esprit qui pollue l’ensemble de l’organisation.
Identifier le niveau équitable de rémunération n’est évidemment pas facile, dans la mesure où c’est une question de perception et où il n’y a pas de base de référence objective. La perception d’équité n’est pas seulement influencée par la rémunération mais aussi par beaucoup d’autres facteurs, notamment les attitudes ... C’est un vrai défi pour les RH qui devraient plus être les gardiens de l’équité au sein des organi- sations que de la compliance aux processus RH, même si ceux-ci y contribuent (parfois!).
La seule certitude est que donner, pour assurer la rétention, une responsabilité d’encadrement à quelqu’un qui n’est pas qualifié pour l’assumer et pour motiver ses équipes correspond à un acte de sabordage. A part la baisse de productivité (et de profit) résultant de la baisse du niveau d’engagement des collaborateurs, un mauvais choix décrédibilise la direction. Malheureusement, il a été démontré que la crédibilité des dirigeants contribue à raison de 10 ou 15 pour cent du succès commercial de l’ensemble de l’entreprise.
Il apparaît ainsi impératif de ne plus JAMAIS donner une fonction d’encadrement à des personnes qui n’ont pas les capacités de leadership requises. Pour éviter ce piège, il faut avoir le courage de rémunérer l’expertise indépendamment du niveau d'encadrement.