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«Des lacunes dans la gestion RH des organisations sociales»

Les organisations sociales et solidaires ont-elles des pratiques RH qui correspondent à leurs déclarations d’intention? C’est ce qu’a voulu savoir Yann-Eric Dizerens, adjoint de direction au sein des Hôpitaux universitaires de Genève (HUG). Il vient de terminer un Master of Advanced Studies en Management, Ressources Humaines et Carrières, ponctué par un travail de diplôme intitulé: «Les pratiques de gestion des RH dans cinq organisations de l’économie sociale et solidaire à Genève.» 

Quel était l’objectif de votre recherche?

Yann-Eric Dizerens: J’ai voulu déterminer comment les organisations de l’Économie Sociale et Solidaire (ESS) concilient leurs valeurs humanistes avec les réalités économiques: au-delà de leurs déclarations d’intention, ont-elles véritablement des pratiques RH différentes de celles des entreprises à but lucratif? Pour répondre à cette question, j’ai utilisé une méthodologie exploratoire, qualitative et inductive, basée sur l’étude de quinze salariés aux responsabilités et profils très divers dans cinq organisations emblématiques de l’ESS dans le canton.
 

Un mot sur l’économie sociale et solidaire?

L’ESS a commencé à se développer il y a une quinzaine d’années et représente actuellement 10% du PIB européen. Elle prend une place de plus en plus grande en Suisse, avec plus de 320 organisations référencées en Romandie. Ce sont le plus souvent des associations, des fondations, des coopératives, des fédérations et des organisations non gouvernementales, mais aussi quelquefois des Sociétés anonymes (SA), des Sociétés à responsabilité limitée (Sàrl) et des Raisons Individuelles.
 

Quels sont les principaux résultats de votre étude?

On observe tout d’abord que le niveau de formalisation et de professionnalisation des pratiques RH est déterminé par plusieurs variables, dont la taille de l’organisation. Certaines de ces pratiques sont manifestement spécifiques à l’ESS et dénotent un souci de cohérence symbolique avec les valeurs défendues. On relève à titre illustratif l’engagement par les pairs, l’autogestion, le salaire égal, l’application du principe «une personne, une voix» dans les choix décisifs, etc. On constate ensuite une forte corrélation entre les conventions de GRH déployées et les niveaux de rémunération des salariés. Nous pensons aussi avoir identifié une corrélation inverse entre les indicateurs classiques du développement de la fonction RH, d’une part, et les valeurs traditionnelles de l’ESS et du militantisme au sein des organisations considérées, d’autre part. En effet, entre les organisations les plus formalisées en termes de GRH et celles qui présentent le plus faible degré de développement, la présence d’indicateurs de satisfaction des critères de la charte genevoise de l’ESS est inversement proportionnelle. D’autre part, nos résultats mettent en correspondance les configurations organisationnelles et le type de leadership, avec une fonction RH souvent assumée par l’équipe managériale. Enfin, nous avons pu montrer que le fait d’être perçu par ses salariés comme un employeur de qualité et humaniste n’implique pas nécessairement de respecter pleinement les principes d’action de l’ESS.
 

Vous parlez d’une réticence à l’égard de la gestion des RH.

Le concept de GRH est généralement mal considéré par les dirigeants des ESS. Dans leur esprit, il est associé à une conception capitaliste des salariés et fait partie d’un langage purement économique dont ils se méfient. C’est paradoxal, car des études ont montré que les pratiques de gestion des RH dans ces organisations sont souvent lacunaires, voire inefficaces. La GRH se fait souvent de façon informelle et peu structurée. Cela dit, l’absence d’une gestion RH par un professionnel préposé ne signifie pas inexistence de la fonction, mais simplement un faible degré de formalisation. La taille des organisations étudiées pourrait être en cause, car la création d’un service ad hoc apparaît généralement dès que la taille dépasse la centaine de salariés. D’autre part, l’institution d’une fonction RH formelle implique de codifier minimalement l’activité, d’organiser et de clarifier des responsabilités, etc. Autant de considérations qui peuvent se heurter à certaines cultures organisationnelles plus attachées à la flexibilité et à la liberté.
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Typographe de premier métier, Francesca Sacco a publié son premier article à l’âge de 16 ans pour consacrer toute sa vie au journalisme. Elle obtient son titre professionnel en 1992, après une formation à l’Agence télégraphique suisse, à Berne. Depuis, elle travaille en indépendante pour une dizaine de journaux en Suisse, en France et en Belgique, avec une prédilection pour l’enquête.

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