Dopage cognitif, une quête de performance?
Psychostimulants, bêta-bloquants, microdoses de champignons magiques... avaler une pilule pour stimuler ses facultés cérébrales ou diminuer son stress soulève bien des questions dans les milieu du travail.

Photo: Milad Fakurian / Unsplash
Outre les vitamines, le café ou les boissons énergisantes qui donnent des ailes, de plus en plus de personnes se tournent vers des substances moins innocentes pour tenir le coup au bureau. Un comprimé de Ritalin pour améliorer sa concentration. Un cachet de propranolol pour calmer son stress. Une microdose de psilocybine pour amplifier son efficacité et libérer sa créativité. Le CO prévoit que c’est à l’employeur qu’il incombe de fournir les instruments de travail nécessaires à la bonne exécution ances pour mieux performer sont-elles en train de devenir la panacée dans une société occidentale où l’on prône la réussite à tout prix? Qu’en dit la science?
Psychostimulation, à quel prix?
Ritalin, Concerta, Vyvanse, Adderall... Les psychostimulants sont prescrits afin d’aider les individus vivant avec le TDA/H — un trouble de déficit de l’attention avec ou sans hyperactivité — à fonctionner normalement. Dans le cerveau, ces médicaments libèrent de la dopamine et de la noradrénaline, deux neurotransmetteurs qui jouent un rôle essentiel pour réguler l’attention, la concentration et la motivation. Mais dans le cas du dopage cognitif, plusieurs travailleurs et travailleuses les utilisent pour atteindre une performance au-dessus de la nomale. Une étude anglaise montre qu’en moyenne, 14% des 30 000 personnes sondées dans 15 pays, dont le Canada, avouent avoir eu recours à un stimulant pharmaceutique au moins une fois en 2017.
«Pour les personnes qui ont un vrai problème fonctionnel, le médicament corrige une pathologie dans le cerveau», explique Philippe Vincent, pharmacien clinicien et professeur agrégé à l’Institut universitaire de santé mentale de l’Université de Montréal. En revanche, en contexte de quête de performance, les individus sans réel déficit ressentent surtout une hyperconcentration et une augmentation de l’énergie. Dans un cas d’abus, comme le dopage cognitif, les effets de la médication durent moins longtemps. «Ces personnes vont aussi vivre davantage les effets secondaires, avertit le pharmacien. C’est-à-dire une perte d’appétit et de l’insomnie, donc de la fatigue, et de ce fait la nécessité de reprendre la substance à une dose de plus en plus forte.» Des psychostimulants parfois combinés aux somnifères, voilà un dangereux cocktail pouvant facilement mener à la dépendance.
Des microdoses de champignons magiques, mythe ou réalité? Les adeptes du microdosage consomment à intervalles réguliers un dixième d’une dose classique de psilocybine, un principe actif présent dans certains champignons hallucinogènes. Ces personnes soutiennent que cela améliore leur créativité au travail, calme leurs symptômes d’anxiété et de dépression, mais sans engendrer les effets psychoactifs courants, comme le trip, les hallucinations. À cause d’une poignée d’études seulement sur le sujet — liées au caractère illégal de ces drogues —, la communauté scientifique peine à confirmer leurs affirmations et à recueillir un consensus. En revanche, il existe peu de preuves que cette pratique cause une dépendance, contrairement à d’autres substances.
Dans une recherche sur le microdosage de psilocybine, des scientifiques des Pays-Bas ont bien observé des changements dans le mode de pensée chez les participants et les participantes, ainsi que leur habileté à résoudre des problèmes. Cependant, l’étude n’a pas confirmé l’amélioration des capacités cognitives ni celles d’analyse.
Des «bêta» pour calmer les angoisses?
Ici, on ne parle pas de dopage cérébral, mais de contrôle d’un stress contextuel. Les bêta-bloquants, des médicaments qui ralentissent la fréquence cardiaque et relâchent certaines fibres musculaires, gagnent aussi en popularité. «Chez une personne qui panique régulièrement, pendant une présentation à un conseil d’administration par exemple, le bêta-bloquant va venir réduire l’hyperactivité du cœur et donc le stress», avance à nouveau Philippe Vincent, pharmacien clinicien.
Le hic? Une trop grande diminution de la pression artérielle peut occasionner des vertiges et de la fatigue, un refroidissement des extrémités, des troubles digestifs ou une diminution des performances physiques à l’effort. Aussi, en prenant les «bêta» comme béquilles, on ne se donne pas l’occasion d’apprendre à faire face au stress autrement. Les cachets deviennent ainsi notre solution par défaut.
Partenariat
Cet article a été publié par la Revue RH de l’Ordre des conseillers en ressources humaines agréées du Québec, vol. 27 n° 4. HR Today est partenaire de trois revues RH francophones: Htag (Belgique), le magazine de l’ANDRH (France) et la Revue RH (Canada).