HR Today Research

Enquête sur la pénurie de main d'œuvre qualifiée en Suisse

Pour la cinquième année consécutive, von Rundstedt et HR Today mènent une étude sur le marché du travail. L’étude de cette année portera sur la pénurie de main-d’œuvre qualifiée en Suisse: un sujet que nous anticipions depuis plusieurs années, du fait de la courbe démographique et des changements structurels dans les entreprises.

Ce phénomène prend de l’ampleur dans un contexte de croissance post-Covid. Nous souhaitons clarifier quels sont les tenants et les aboutissants de cette pénurie de main-d’œuvre qualifiée et identifier les actions possibles pour chaque secteur professionnel. Nous allons aborder le sujet pour quelques secteurs critiques dans nos prochains articles. Nous lançons en ce sens deux enquêtes: à partir du mois d’avril, une enquête générale sur la pénurie de main-d’œuvre qualifiée et pratiques RH dans les entreprises en Suisse et à partir du mois de juin, une enquête dans les secteurs particulièrement touchés par la pénurie de main-d’œuvre qualifiée. Ces enquêtes s’adressent aux responsables RH et aux cadres. Nous publierons les résultats consolidés à la fin du mois de septembre. Anne Donou, Directrice Romandie de von Rundstedt, dresse ci-après un premier état des lieux de la pénurie de personnel qualifié en Suisse et donne un aperçu de ce sujet complexe.

Avant même le début des années 2000, les sociologues et économistes mettaient en garde contre le fiasco démographique qui allait affecter le marché du travail. Le monde de l’entreprise a proclamé «La guerre des talents» dans les années 90. C’était la naissance de la gestion des talents. Où en sommes-nous 30 ans plus tard? L’emploi en Suisse a augmenté en valeur absolue comme en valeur relative. L’économie et la population continuent de croître. Dans les professions MINT, la Suisse connaît depuis longtemps une pénurie. Il manque également des artisans, des cuisiniers, des conducteurs de train qualifiés, sans parler des professionnels de la santé. Le taux de manque de travail (au sens de l’OFS) en Suisse est constamment élevé depuis de nombreuses années et se situe entre 12 et 13%.

D’un point de vue économique, ce taux est la valeur la plus fiable pour chiffrer l’écart par rapport au plein emploi. Il s’agit de la somme du taux de chômage au sens du BIT et du taux de sous-emploi au sens de l’OFS. Et pour autant, de nombreuses entreprises se plaignent d’une pénurie de personnel dans tous les secteurs et toutes les fonctions. Alors, avons-nous trop ou trop peu de main-d’œuvre?

Tout est normal

Le pays ne manque pas de main-d’œuvre en nombre pour couvrir les postes vacants. En même temps, il est évident qu’un comptable sans emploi ne peut pas facilement prendre le poste d’un infirmier qualifié. La mobilité a des limites, celles des qualifications. Dans un contexte de transformation digitale et donc de changements structurels, le marché du travail se déséquilibre. Le fait que la pénurie de main-d’œuvre qualifiée cohabite avec un chômage structurel est un symptôme flagrant.

Alors que faire? Combler les déficits de compétences ne peut pas seulement se faire à l’aide de formations traditionnelles qui n’ont pas été réactualisées depuis longtemps. Il existe des moyens beaucoup plus pragmatiques pour y parvenir. L’apprentissage dans les entreprises est un moyen beaucoup plus efficace. La flexibilité joue un rôle central tant pour les employeurs en matière de recrutement que pour les employés en matière de conditions de travail. Ce n’est donc pas un hasard si, dans les statistiques von Rundstedt de l’année dernière, nous avons pu observer une augmentation marquée de la mobilité sectorielle lors de la prise de nouveaux postes. Pour mieux comprendre quelles sont les mesures à prendre, nous devrions analyser la pénurie de travailleurs qualifiés d’une manière plus nuancée.

Pénurie démographique de main-d’œuvre qualifiée

Le vieillissement de la population agit à long terme et de manière insidieuse. La pénurie de main-d’œuvre qualifiée qui en résulte est donc toujours prévisible. Les entreprises et les politiques peuvent s’y préparer et prendre des mesures préventives. C’est exactement ce qui s’est passé. Cet effet démographique n’est quasiment pas perceptible sur le marché du travail suisse, car il a pu être compensé par différentes mesures. L’immigration de jeunes travailleurs étrangers, l’augmentation de productivité dans de nombreux secteurs ainsi que l’ouverture à des viviers de candidats nationaux jusque-là sous-employés (par ex. les femmes après la maternité) ont soutenu la baisse démographique. La flexibilité de l’âge de la retraite est un autre facteur qui aide à lutter contre la pénurie démographique de travailleurs qualifiés.

Pénurie structurelle de main-d’œuvre qualifiée

Contrairement à la pénurie démographique, la pénurie structurelle de main-d’œuvre qualifiée ne concerne pas l’ensemble des secteurs, mais exprime des déséquilibres du marché dans certains métiers ou certains secteurs spécifiques. Les causes peuvent être très différentes selon les domaines. Pour certains métiers, la profession est peu attrayante, du fait des conditions de travail ou d’un manque de réputation. On peut citer le domaine des soins, la gastronomie, les métiers d’enseignants, les médecins de famille et, de plus en plus, les professions artisanales. Une revalorisation de ces métiers permettrait de palier à des pénuries croissantes.

Il existe des domaines dans lesquels les conditions sont bonnes, mais où il y a malgré tout trop peu de personnel qualifié. Ceci peut s’expliquer de plusieurs façons: un parcours de formation trop laborieux et trop difficile (ingénieurs, médecins), les effets de la transformation digitale qui font appel à de nouvelles compétences (logistique, informatique). Dans ces deux derniers cas, les mesures qui visent à améliorer les conditions ne suffisent pas, il faut surtout intervenir davantage au niveau de la formation et de l’orientation professionnelle dans les écoles.

Pénurie conjoncturelle de main-d’œuvre qualifiée

Les besoins de main-d’œuvre oscillent de façon synchronisée avec les cycles volatile de l’économie. Les récessions entraînent souvent une hausse du chômage, tandis que les périodes de croissance se traduisent par une pénurie de personnel. On parle donc d’une pénurie conjoncturelle de main-d’œuvre qualifiée. En règle générale, il s’agit d’une pénurie de main-d’œuvre qui touche tous les secteurs. À la différence des pénuries démographiques et structurelles, nous assistons ici à un phénomène à court terme et temporaire. Ce sont des phases de pénuries générales et temporaires qui se résorbent et se stabilisent de façon prévisible.

Pénurie de travailleurs qualifiés après le Coronavirus

En 2020, le Coronavirus a entraîné une brève récession dans l’économie suisse, avec des craintes de suppressions d’emplois et un taux de chômage qui a augmenté. Le recours massif au chômage partiel a considérablement amorti le choc et le marché du travail suisse s’est redressé beaucoup plus rapidement que prévu. Même si de nombreux licenciements ont eu lieu en 2020, ceux-ci ont surtout été le fait de restructurations. Nous constatons aujourd’hui que le Coronavirus n’a pas détruit d’emplois, mais a surtout accéléré le changement structurel inhérent à la transformation digitale. Les licenciements liés à ces transformations laissent place à un effet inverse et compensatoire: de nouveaux postes doivent être pourvus.

Les besoins en recrutement sont alimentés par un climat positif qui règne sur la plupart des marchés. De nombreux paramètres économiques sont repassés au vert, entraînant une importante pénurie conjoncturelle de main-d’œuvre qualifiée, qui n’est toutefois que temporaire. La situation sur le marché du travail se stabilisera assez rapidement.

Champs d’action possibles

Outre les principaux acteurs du marché du travail (employeurs, employés, État) ou leurs représentants (associations, représentants des salariés, politiques), le secteur de l’éducation et de la formation joue également un rôle important. Les marges de manœuvre et les champs d’action possibles doivent faire l’objet de discussions par branche et par métier. Notre étude cette année «HR Today Research» nous permettra d’approfondir ces questions au cours des mois prochains.

L’étude complète avec les résultats détaillés sera disponible dans un livre blanc et dans des articles qui seront diffusés en ligne. Ces documents seront disponibles sur rundstedt.ch ou research.hrtoday.ch.

 

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Texte: Anne Donou

Anne Donou est Directrice Suisse romande chez von Rundstedt & Partner Suisse SA.

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