On en parle

Enregistrement du temps de travail: la loi est arrivée

En vigueur depuis le 1er janvier 2016, la nouvelle Ordonnance sur l’enregistrement de la durée du temps de travail préoccupe les responsables RH. Qu’est-ce qui change exactement? Comment appliquer certaines dispositions? Eclairages de Pascal Richoz, chef «Conditions de travail» au Secrétariat d’Etat à l’économie (SECO). 
La nouvelle Ordonnance déroute pas­sablement la communauté RH. Quel message souhaitez­-vous leur adresser?
Pascal Richoz:La mesure du temps de travail reste le meilleur moyen d’éviter des excès qui constituent des risques réels pour la santé. Il est donc nécessaire, si on y renonce dans des situations particulières, de prévoir d’autres mesures de protection. C’est pourquoi les dérogations prévues par l’Ordonnance sont liées à des conditions strictes. Cela représente évidemment un défi pour les responsables des ressources humaines mais aussi une opportunité d’aborder concrètement des questions centrales, aussi bien pour l’entreprise que pour son personnel.
 
Entrons dans le vif du sujet. Pour les entreprises au bénéfice de la renonciation à l’enregistrement et soumis à une CCT, l’employeur peut-­il décider librement quels employés seront exemptés d’enregistrement?
Cette question n’est pas laissée à la libre appréciation de l’employeur. Il s’agit de tenir compte des conditions posées par l’Ordonnance et pour certaines d’entre elles, à savoir celles qui ont trait à l’autonomie en matière de temps et d’organisation, cela suppose un examen des fonctions. Il est judicieux que cet examen intervienne dans le cadre des négociations pour établir la CCT et il revient aux partenaires sociaux d’en définir les modalités. Du point de vue des autorités, ce qui compte est que la CCT ait réglé ces aspects dans les limites fixées par l’Ordonnance.
 
Pour les entreprises couvertes par une CCT, il est prévu d’introduire un service interne relatif à la durée du travail. Qu’entendez-­vous par service paritaire? Qui le composera et quel sera son ca­ hier des charges?
Il ne s’agit pas d’un service paritaire, mais d’un service interne à l’entreprise. Il est chargé de sensibiliser les supérieurs hiérarchiques au temps de travail et de repos, de déterminer à intervalles réguliers le niveau de la charge de travail des travailleurs, d’apporter un soutien aux travailleurs qui rencontrent des difficultés en raison de leurs horaires et de proposer à un stade précoce des mesures, si nécessaire. Ce service est aussi l’interlocuteur des partenaires sociaux de la CCT pour ces questions et peut être celui des autorités en cas de contrôle.
 
Peuvent renoncer à l’enregistrement, les collaborateurs autonomes dans 50% de leur activité. Comment peut-­on vérifier cette autonomie con­crètement? A quel genre de collaborateurs cette renonciation est-­elle destinée?
Il ne s’agit pas de vérifier concrètement le degré d’autonomie, mais de l’évaluer. Cette évaluation devra tenir compte des tâches, des responsabilités et de l’environnement professionnel général des groupes de travailleurs concernés. Lors d’un éventuel contrôle ultérieur, l’autorité examinera si cette évaluation est plausible. Ce modèle s’adresse en premier lieu à des cadres ou à des collaborateurs/trices qui exercent des fonctions particulières (direction de projets, représentation de l’entreprise à l’extérieur, etc.) mais c’est le degré d’autonomie réel qui est déterminant, aussi bien en matière de fixation des horaires qu’en matière d’organisation du travail.
 
Comment le collaborateur, qui n’a pas renoncé à ses heures supplémentaires dans le contrat de travail, fait­-il état de ses heures supplémentaires puisqu’il renonce à l’enregistrement du temps de travail? Idem pour le travail supplémentaire?
S’agissant des heures supplémentaires, la question relève du droit privé et n’est pas en relation directe avec l’enregistrement du temps au sens de la loi sur le travail. Les parties au contrat (employeur – employé) doivent donc se mettre d’accord sur la manière de comptabiliser les heures supplémentaires. Quant au travail supplémentaire, la renonciation à l’enregistrement empêche effectivement de le mesurer exactement et c’est le travailleur lui-même qui devra le gérer en tenant compte des limites fixées par la loi, limites auxquelles il demeure soumis. Cela étant, cette renonciation n’intervient que sur une base volontaire et elle est conditionnée à la mise en place d’un service interne. C’est donc à ce service que le travailleur devra s’adresser s’il rencontre des difficultés en la matière.
 
Est-­ce possible d’utiliser un système par défaut, qui enregistrerait automatiquement 9h/jour avec la possibilité pour le collaborateur de compléter les heures supplémentaires ou manquantes une fois par mois.
A priori non. L’enregistrement simplifié s’adresse à des catégories de travailleurs qui peuvent déterminer eux-mêmes une part significative de leurs horaires de travail. Un système par défaut suppose que le schéma de travail soit constant et identique pour tous, ce qui entre en contradiction avec la condition de base imposée pour un enregistrement simplifié. A la fin du compte, les heures relevées doivent correspondre à la réalité et le décompte présenté doit être plausible.
 

Les nouvelles dispositions en vigueur depuis le 1er janvier 2016

Le 4 novembre 2015, le Conseil fédéral a adopté deux nouvelles dispositions de l’Ordonnance 1 relative à la loi sur le travail (OLT1). Ces deux dispositions permettent, à des conditions très strictes, d’introduire une renonciation à l’enregistrement du temps de travail d’une part, ou de procéder à un enregistrement simplifié, d’autre part. Ces nouvelles dispositions sont entrées en vigueur le 1er janvier 2016.
 
Fonction dirigeante élevée
Les personnes qui exercent une fonction dirigeante élevée ne sont pas touchées par la modification de l’OLT1 dans la mesure où elles sont exclues du champ d’application de la LTr (art. 3 let. d LTr). Pour ces personnes, aucun enregistrement du temps de travail ne doit être effectué.
 
Trois régimes applicables
L’Ordonnance révisée introduit trois régimes distincts d’enregistrement dont deux sont nouveaux. Il s’agit des trois régimes suivants: 
  • Enregistrement systématique;
  • Renonciation à l’enregistrement; 
  • Enregistrement simplifié.
Enregistrement systématique
L’article 6 alinéa 1 de la Loi sur le travail (LTr) impose à l’employeur une obligation de protection de la santé de ses collaborateurs. Il doit notamment s’assurer que ses collaborateurs bénéficient des temps de repos requis par la LTr et de la compensation du travail supplémentaire.
 
En conséquence, l’employeur a l’obligation d’enregistrer la durée du travail effectivement fourni, travail compensatoire et travail supplémentaire inclus, ainsi que l’horaire et la durée des pauses. Les jours de repos et de repos compensatoire, s’ils ne tombent pas sur un dimanche, doivent également être enregistrés (art. 73 OLT1).
 
Ces données permettront à l’inspection du travail de s’assurer que la LTr qui protège la santé des travailleurs est bien mise en œuvre et respectée. L’enregistrement systématique de la durée du travail demeure le régime de base applicable à tous les travailleurs lorsque les conditions d’un autre régime ne sont pas remplies. Il en va ainsi pour les collaborateurs qui ne disposent pas d’une certaine autonomie dans la fixation de leur temps de travail.
 
Renonciation à l’enregistrement
Le nouvel article 73a OLT1 prévoit une renonciation à l’enregistrement du temps de travail aux conditions cumulatives suivantes.
 
Convention collective de travail
La renonciation à l’enregistrement du temps de travail doit figurer dans une Convention collective de travail (CCT) négociée entre les partenaires sociaux. La renonciation peut soit être ajoutée à une CCT existante soit être introduite dans une nouvelle CCT. Tous les employeurs qui ne sont pas soumis à une CCT ne pourront dès lors pas bénéficier d’une telle renonciation.
La CCT doit expressément fixer les mesures particulières pour garantir la protection de la santé et assurer le respect de la durée du repos fixée par la LTr. Il s’agit d’y mentionner l’aménagement des pauses et des temps de repos.
 
Service interne
L’employeur a l’obligation de désigner un service interne chargé des questions relatives à la durée du travail. Ce service a pour mission de déterminer, à intervalles réguliers, le niveau et la charge de travail des collaborateurs et de leur apporter un soutien en matière d’horaires.
 
Grande autonomie des collaborateurs
Seuls les collaborateurs qui disposent d’une grande autonomie dans la gestion de leur travail et fixent librement la moitié de leurs horaires de travail peuvent renoncer à l’enregistrement du temps de travail. L’environnement de travail doit être pris en compte dans son ensemble. Le fait de bénéficier d’horaires de travail flexibles n’est pas suffisant. Une grande autonomie est en principe reconnue pour les cadres supérieurs ou les collaborateurs ayant un cahier des charges particulier comme les chefs de projet.
 
Montant du salaire
Pour pouvoir renoncer à l’enregistrement du temps de travail, le collaborateur doit toucher un salaire annuel brut dépassant CHF 120 000.–, bonus compris. Pour les collaborateurs à temps partiel, ce montant doit être adapté à leur taux d’activité.
 
Accord individuel
En plus de la CCT, un accord individuel de renonciation doit être conclu entre le travailleur concerné et l’employeur. Cet accord peut être révoqué chaque année pour la fin de l’année par l’employeur ou le travailleur.
 
Enregistrement simplifié
La possibilité d’un enregistrement simplifié est prévue à l’article 73b OLT1 aux conditions cumulatives suivantes.
 
Accord collectif
Les représentants des travailleurs (syndicat ou commission du personnel) ou, à défaut, la majorité des travailleurs peuvent convenir d’un enregistrement simplifié avec l’employeur. Contrairement à ce qui est prévu pour la renonciation à l’enregistrement du temps de travail, l’employeur n’est pas tenu de conclure en plus un accord individuel avec les collaborateurs concernés.
 
Collaborateurs concernés
Seuls les collaborateurs qui peuvent déterminer eux-mêmes au moins un quart de leur temps de travail peuvent bénéficier de cette possibilité. Il convient de définir dans l’accord collectif les catégories de travailleurs concernés. En pratique, il s’agit des cadres moyens, ou des personnes exerçant des fonctions non liées directement à la production ou à la fourniture de prestations de l’entreprise.
 
Procédure paritaire
Une procédure paritaire permettant de vérifier le respect de l’accord collectif doit être prévue. Elle doit garantir un échange périodique entre les travailleurs concernés, leurs représentants et l’employeur au sujet de la mise en œuvre de l’accord.
 
Modalités de l’enregistrement
L’enregistrement simplifié du temps de travail permet à l’employeur de n’enregistrer que le nombre d’heures que le travailleur effectue par jour. Lorsque le collaborateur est occupé de nuit ou le dimanche, le début et la fin de ses plages horaires doivent également être enregistrés.
 
Entreprises de moins de 50 collaborateurs
La conclusion d’un accord collectif est trop contraignante pour les entreprises qui occupent moins de 50 collaborateurs. En conséquence, ces dernières pourront conclure directement un accord individuel avec les collaborateurs concernés.
 
Marianne Favre Moreillon, fondatrice et directrice du cabinet juridique DroitActif à Lausanne. www.droitactif.ch
 
 
commenter 0 commentaires HR Cosmos

Marc Benninger est le rédacteur en chef de la version française de HR Today depuis 2006.

Plus d'articles de Marc Benninger