Débat

Entretiens structurés au recrutement

Les erreurs de casting coûtent une petite fortune aux entreprises. Mais comment réduire ce risque? Pour Daniel Hippenmeyer, Director Talent Acquisition chez Credit Suisse, la solution réside dans les entretiens structurés. Les études ont montré que cette méthode est la meilleure. Les entretiens structurés sont aussi plus justes pour les candidats, assure-t-il. Mario Zanandrea, Directeur des ressources humaines (DRH) chez Grosspeter SA (garage automobile), n’est pas du même avis. Lui mise sur des entretiens semi-structurés, qui instaurent une meilleure atmosphère et permettent de mieux cerner la personnalité des candidats.

POUR

Les chercheurs nous indiquent le chemin le plus juste (Daniel Hippenmeyer)

C’est indéniable: un entretien de recrutement réalisé dans les règles de l’art et avec professionnalisme est le meilleur moyen de vérifier si les candidats vont véritablement contribuer au succès de l’entreprise. De très nombreuses études l’ont prouvé. Plus les entretiens sont structurés, moins grandes sont les chances d’embaucher le mauvais profil. Et l’inverse est aussi vrai. Moins les entretiens sont structurés, plus cher sera le prix à payer pour l’entreprise.

Le meilleur pronostic sur le matching entre le candidat et le poste s’obtient par les interviews à multiples modalités (Multimodalen Interviews en allemand, un modèle d’interview développé en 1992 par Heinz Schuler qui comprend huit étapes, ndlr). Ces modèles prévoient en principe une présentation du candidat, une partie plus libre avec des questions biographiques et une partie plus structurée, définie par rapport au poste et modèle de gestion des compétences de la société.

De plus, l’entretien est évalué selon les mêmes critères pour tous les candidats. Ce qui permet une évaluation plus juste et une comparaison réelle des différentes candidatures. Les avantages de ce modèle sont nombreux. Le taux d’acceptation par les candidats est très élevé. Ce modèle est aussi plus juste, il facilite les comparaisons, assure l’égalité des chances et permet de conduire l’entretien selon les critères pertinents pour l’entreprise.

Les études sur le sujet montrent clairement que:


• Les candidats les plus loquaces sont plus souvent sélectionnés que ceux qui parlent moins.


• Les candidats bien habillés et de belle apparence ont plus de chance d’être recrutés.

• Les recruteurs mettent plus de poids sur les informations négatives que les positives.

• La sympathie du candidat augmente ses chances d’être engagé.

• Les recruteurs ignorent souvent des informations qui ne «collent» pas avec leur impression générale.

Peu importe le poste à repourvoir, un entretien structuré permet d’éviter ces biais cognitifs. Et pourtant, les entretiens mal préparés et mal structurés sont encore très répandus dans nos organisations. De nombreux recruteurs se fient encore à leur intuition et à leurs émotions, sans se donner la peine de la réflexion.

Je déconseille également de couper la poire en deux et de mener des entretiens semi-structurés. Certes ces entretiens permettent plus de flexibilité, mais au détriment d’une procédure équitable pour tous les candidats et au détriment d’une comparaison fondée des candidatures. Avec des conséquences graves en termes de productivité et de capacité d’innovation.

Une des raisons qui explique la faible influence des recherches académiques sur les méthodes de recrutement est le recruteur. Au contraire des échanges informels qui ont lieu tous les jours dans son entreprise, un entretien de recrutement structuré l’oblige à une certaine discipline dans la préparation de ses critères en fonction du dispositif de gestion des compétences de son entreprise. En revanche, un entretien structuré permet au recruteur de questionner son propre schéma de pensée et les stéréotypes dont il est victime, et qui le poussent, malgré lui, à commettre des erreurs.
 

CONTRE

Un entretien d’embauche plutôt qu’un interrogatoire (Mario Zanandrea)

Les entretiens d’embauche sont l’occasion pour le recruteur et le candidat de faire connaissance. En principe, les deux parties visent une bonne et longue relation. Ces entretiens peuvent être structurés de plusieurs façons:


• Les entretiens structurés donnent l’impression de pouvoir comparer avec précision les réponses factuelles et les réactions comportementales des candidats. Mais comme avec tous les interrogatoires, l’essentiel échappe souvent à celui qui pose les questions.

• Les entretiens non structurés permettent de se laisser mener par la discussion avec le risque de passer à côté d’un élément important. Ces entretiens permettent aux candidats malins de manipuler avec subtilité les échanges. De plus, les RH se retrouvent en fin de compte avec très peu d’éléments tangibles pour comparer les candidatures. Le RH doit du coup se fier à son sentiment.

• Les entretiens semi-structurés tentent de réunir les avantages des deux modèles précités. Une partie des questions sont identiques pour tous les candidats. Ce qui permet la comparaison. Mais durant l’entretien, le recruteur peut choisir d’approfondir un point qu’il estime intéressant. Ce qui lui permettra de confirmer son sentiment, qu’il soit bon ou mauvais.

Dans notre entreprise, Grosspeter SA (garage automobile), nous privilégions les entretiens semi-structurés. La conduite de l’entretien démarre en principe avec la même question pour tout le monde: «Quelle est votre motivation pour le poste mis au concours?» La discussion peut ensuite s’ouvrir. Au fur et à mesure que l’échange se poursuit, nous insérons d’autres questions «standards». Ce qui nous assure de ne rien oublier. Mais la plupart des questions sont libres et se posent en fonction de la personne, de sa trajectoire professionnelle, de son expérience et de sa situation personnelle.

Je préfère cette méthode car les entretiens structurés se focalisent trop sur les faits et ne permettent pas assez les questions sur le sens et la signification de ces faits. Pendant un entretien, ce qui m’intéresse c’est la personne derrière le CV. L’entretien structuré est trop schématique. Questionner tous les candidats selon le même modèle ressemble trop à un interrogatoire.

Ce qui m’amène à un autre point important: l’ambiance lors de la discussion. Dois-je ne poser que des questions fermées et dirigées? Y a-t-il de la place pour des questions ouvertes? Est-ce que c’est au candidat de parler le plus? Dois-je lui laisser suffisamment de temps pour réfléchir aux questions importantes avant de répondre?

Toutes ces questions influencent la qualité de l’entretien. Si, pour une raison ou une autre, le candidat se bloque, il ne pourra plus s’exprimer comme nous le souhaitons, c’est-à- dire de manière ouverte et naturelle.

Je n’ai fait que des bonnes expériences avec les entretiens semi-structurés. Ces candidats se sentent mieux accueillis et à l’aise que pendant les entretiens structurés. Les échanges sont plus vivants et plus décontractés. En fin de compte, une entreprise gagne à recruter des personnes indépendantes qui sont capables de réfléchir par elles-mêmes. Cet état d’esprit devrait clairement être attendu lors de la première rencontre.

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Marc Benninger est le rédacteur en chef de la version française de HR Today depuis 2006.

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