Est-il possible d'offrir aux employés le plein contrôle de leur temps?
Depuis la pandémie, de plus en plus d'employés souhaitent organiser eux-mêmes leurs horaires de travail. Est-ce possible en Suisse de leur laisser cette autonomie? Trois experts donnent leurs avis.

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Paul Jon Martin, directeur général de PeopleWeek
«Dans certains secteurs, les employés souhaitent de plus en plus contrôler leur temps, en gérant eux-mêmes leurs horaires, où et comment ils travaillent. Libérateur en théorie, ce n’est pas simple en pratique. Dans les sociétés agricoles, le travail tournait autour des saisons et des heures de clarté. Cela offrait une certaine flexibilité naturelle. La révolution industrielle et la gestion scientifique (taylorisme) ont restreint l’autonomie des employés, avec des sifflets d’usine et des contrôles stricts des tâches. Aujourd’hui, la technologie et des meilleures pratiques RH permettent davantage de flexibilité, mais les lois sur le temps de travail et les normes sociales favorisent encore le contrôle des employeurs, qui restent responsables des violations, même avec des employés autonomes. Le suivi du temps de travail reste essentiel. L’autonomie totale peut être bénéfique: certaines études montrent qu’elle améliore la productivité, la satisfaction et l’attractivité sur le marché du travail, ce qui conduit à des performances plus élevées et à une attrition plus faible. Cependant, elle pose des défis: certains peinent à s’autogérer, donc offrir la même autonomie à tous n’est pas toujours approprié, ce qui peut donner une impression d’inégalité. En outre, offrir aux employés un plein contrôle sur leur temps peut nuire au travail d’équipe, et le travail à distance est associé à une augmentation de la solitude, en particulier chez les jeunes. Verdict? Le plein contrôle du temps devrait être une exception, car ses inconvénients dépassent ses avantages. Un modèle hybride, équilibrant autonomie et structure, reste idéal, avec un rôle clé pour les RH pour favoriser la culture organisationnelle qui le soutient.»
Célia Mueller, DRH indépendante pour PME chez KALY RH & formatrice pour adultes en droit du travail et assurances sociales chez Faction Sàrl
«Donner aux employés une totale autonomie dans la gestion de leur temps de travail peut sembler attrayant. En effet, l’employeur met toutes les chances de son côté pour attirer et fidéliser! De plus, un salarié autonome serait plus motivé, productif et performant. Mais cette approche est-elle réellement applicable à tous les métiers? Dans une optique d’équité, la mise en place d’horaires flexibles semble être une solution plus réaliste. Ainsi, un planning variable avec présence obligatoire entre 9h00 et 11h00 et entre 14h00 et 16h00 mettrait de la souplesse. Cela offrirait aux employés la possibilité d’adapter leur rythme de travail à leur vie personnelle, notamment pour accompagner leurs enfants à l’école ou pratiquer une activité physique. Cependant, il semble utopique d’instaurer une telle liberté universellement. Certaines fonctions nécessitent une présence constante à des horaires fixes, comme des opérateurs de production ou un service après-vente. En opposition, une politique trop flexible pour les employés de bureau de la même entreprise pourrait alors créer un sentiment d’injustice et d’iniquité. L’idéal serait donc de trouver un juste milieu entre autonomie et cadre structurant. Une flexibilité bien pensée (avec, par exemple, un avantage compensatoire pour les personnes devant effectuer des horaires fixes seulement) permettrait d’offrir le bien-être aux travailleurs tout en favorisant leur productivité.»
Mathieu Piguet, responsable du Service juridique à la Chambre vaudoise du commerce et de l’industrie (CVCI)
«La réponse est négative. Même s’ils ont la possibilité de laisser une grande marge de manœuvre à leurs employés quant à la gestion de leur temps de travail, les employeurs restent toujours responsables (vis-à-vis des autorités de contrôle mais aussi de par leur obligation de protéger la santé de leurs employés) du respect des règles relatives à la durée du travail. Ils doivent s’assurer que leurs employés restent dans les limites quantitatives et temporelles fixées par la loi sur le travail (LTr) et ses ordonnances d’application. Et ces limites sont (trop) nombreuses et impératives: il n’est donc pas possible d’y déroger par contrat, même à la demande des employés. Ces derniers se retrouvent donc parfois protégés contre leur gré, mais pour leur bien, du moins dans l’esprit du législateur... Il est ainsi en principe interdit de travailler la nuit ou le dimanche, de renoncer à des pauses pour terminer plus rapidement sa journée de travail ou au contraire de trop l’espacer pour vaquer à d’autres activités privées entre deux périodes de travail. L’employé·e commençant sa journée de travail à 7h doit impérativement la terminer à 21h. Un espace-temps généralement suffisant, mais qui peut s’avérer trop contraignant pour celles et ceux qui préféreront faire une longue pause à midi et/ou quitter leur poste à 16h, notamment pour s’occuper de leurs enfants, avant de terminer leur journée de travail le soir une fois les enfants couchés. Le parlement s’est saisi de cette problématique et un projet en cours de discussion prévoit d’assouplir quelque peu ces règles pour les employés en télétravail. C’est l’occasion de rappeler que, pour l’instant encore, les règles applicables à la durée du travail sont les mêmes, indépendamment du lieu où s’effectue l’activité.»