Conseils pratiques

Feedback des employés: une mine d'or trop souvent inexploitée

Intégrer les idées des collaborateurs dans la stratégie d'une organisation ne va pas de soi. Il s'agit tant d'une question de culture d'entreprise que de processus à développer pour favoriser la libre parole.

«Je suis en poste depuis 32 ans, mais aucun superviseur ne m’a consulté tout ce temps.» Voilà la réponse d’un modeste opérateur de machine à son nouveau supérieur, qui lui demandait depuis quand il gardait pour lui une idée ingénieuse améliorant la productivité de son unité.

Cet exemple de gâchis de feedback utile provient d’une filature qui se voyait régulièrement obligée d’arrêter ses machines en raison de ruptures de fils, un casus présenté par Rosabeth Moss Kanter, professeure à la Harvard Business School. Plus généralement, il est remarquable de noter à quel point les directions et les managers ne consultent pas assez les personnes qui portent une grande part des affaires. Que cela soit en matière d’innovation, de développement de compétences managériales ou de l’état physique et mental du personnel. Tour d’horizon sur l’importance de l’écoute des équipes et des freins potentiels.

Prise de pouls et «bubble up»

Dans son livre «The Future of Management», Gary Hamel souligne l’intérêt du «bubble up», cette promotion de l’esprit entrepreneurial qui laisse «monter à la surface» les diverses initiatives émanant du terrain. En plus de diminuer les coûts liés à l’innovation, elle génère des contributions de meilleure qualité et en accélère la concrétisation.

Le changement en entreprise est cependant souvent peu accompagné. À tel point que 70% des efforts de transformation échouent, selon certaines études. Une raison est l’absence de feedback activement sollicité auprès des personnes les plus concernées. Difficile en effet d’adhérer à un projet qui affecte notre quotidien sans avoir pu se faire entendre. Exemple avec cet audit mené pour une entité d’utilité publique qui, par manque d’écoute, s’est mise à dos ses forces opérationnelles.

Les procédés «d’upward feedback» par les équipes, aussi, offrent un retour sur les compétences managériales des responsables. Or, il n’est pas toujours aisé en entretien annuel d’évaluation d’adresser des suggestions constructives à une personne qui peut orienter notre avenir professionnel. De plus, les feedbacks 360, certes anonymes, ne sont pas toujours bien acceptés au sein des organisations helvétiques où un style de management plutôt hiérarchique perdure du passé militaro-industriel ou par une présence marquée du petit patronat.

Enfin, il est capital de régulièrement «prendre le pouls» des salariés. L’intérêt est de capter ce qui influence les indicateurs RH tels l’absentéisme, l’engagement, ainsi que les causes de stress excessif ou de tensions interpersonnelles. Pour ensuite pouvoir agir de manière ciblée sur les voyants dans le rouge. Dans le secteur tertiaire en particulier, la force vive se situe bel et bien au niveau de l’humain. On mesure alors toute l’importance du bien-être psychique et physique chez les collaborateurs et collaboratrices. D’autant plus qu’il existe, selon Promotion Santé Suisse, une forte corrélation entre leur degré d’épuisement et leur productivité.

Embûches à éviter

Il y a tout d’abord des obstacles structurels. Une culture organisationnelle prônant le «command and control» sera bien moins encline à rechercher des informations sur l’état d’esprit et les opinions des échelons opérationnels. Pourtant, une approche «trust and track», où des séances de suivi ponctuent une délégation en confiance, s’avère plus motivante pour les équipes. Un sentiment généralisé de «sécurité psychologique» est nécessaire pour encourager une prise de parole lorsque les choses ne sont pas en ordre. C’est le meilleur détecteur de fumée à disposition d’une entreprise. Pourtant, une étude internationale menée en 2021 révèle que 32% des professionnels interrogés en France préfèrent démissionner ou changer d’équipe qu’exprimer à leur direction leurs véritables préoccupations. Sans écoute proactive par les décideurs et décideuses, les insatisfactions risquent de s’amplifier et se propager tel un feu de brousse.

Il y a aussi des facteurs intrapsychiques qui se manifestent tant du côté des cadres que des employés. Certains managers redoutent plus ou moins consciemment la confrontation de perspectives. Comme s’il s’agissait d’un jeu à somme nulle où une personne marque un point au profit de l’autre. Comme si tenir compte des avis des subordonnés reflétait des compétences défaillantes en management. Pourtant, accueillir leur point de vue ne veut pas dire qu’il faut tout accepter. La psychologue américaine Marta Davis utilise le terme «d’écoute assertive», qui implique de laisser l’autre s’exprimer avant d’avancer ses propres arguments et espérer se faire entendre. À titre personnel, je suis toujours étonnée par le puissant effet de cette approche lorsque nous réalisons des jeux de rôle de recadrage dans nos asssessments. Il est fascinant d’observer la tension interpersonnelle littéralement se dissiper sur le plan non verbal chez le vis-à-vis qui se sent reconnu.

Le feedback des employés agit comme un baromètre de la santé humaine et managériale d’une entreprise. Une «voix» réellement accordée par la direction et les cadres permet une bien meilleure contribution et une plus grande créativité chez les personnes dépositaires de connaissances-métier précieuses. L’innovation réussie de la filature américaine était tributaire d’un manager qui valorisait l’expérience des personnes de terrain. Il ne s’est pas senti compromis dans son statut par une suggestion venant d’un simple ouvrier. Cette ouverture et cette assurance ne manquent-elles pourtant pas parfois chez certains dirigeants?

Comment encourager le partage de feedback?

Développer la culture du feedback des employés commence par l’exemplarité de la direction. Donne-t-elle le signal qu’elle est réellement ouverte aux critiques constructives et qu’elle sait se remettre en question avec une certaine humilité? Va-t-elle elle-même proactivement solliciter les échos et les contributions des salariés au risque d’entendre des choses désagréables? Assume-t-elle ses erreurs passées avec courage et franchise? La direction est-elle prête à changer le statut quo? Parvient-elle à gérer la complexité croissante avec davantage d’agilité et de priorisation? Sait-elle tenir compte des bonnes idées et initiatives du terrain tout en persuadant par rapport à ses propres objectifs stratégiques?

  • Il faut éviter l’illusion d’une «pseudo voix» auprès des collaborateurs et collaboratrices.

Les employés s’expriment librement si les cadres sont explicites sur leur souhait de les entendre. L’entreprise crée-t-elle un climat sûr, où le développement de compétences et connaissances est encouragé plutôt que considéré comme un manquement pénalisant? Y a-t-il suffisamment de latitude pour que les managers puissent remonter les contributions et préoccupations de leurs propres équipes? Le focus est-il porté sur les objectifs opérationnels immédiats ou existe-t-il une incitation à concevoir des améliorations à plus longue échéance? Les cadres savent-ils accueillir les suggestions à leur égard sans résistance ou émotions négatives? Cette écoute est-elle scriptée lors de l’entretien annuel d’évaluation ou est-elle exprimée naturellement tout au long de l’année?

  • Il faut créer de l’espace et du temps pour faire des points réguliers. Les managers doivent pouvoir améliorer leur style de management sans risquer de perdre la face ou se mettre en danger.

 

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Consultante et psychologue du travail chez Vicario Consulting.

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