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"Fixer un âge limite pour un poste n’est pas fondé scientifiquement"

Responsable RH chez l’assureur Bâloise en Suisse romande et au Tessin, William Mainoz a rédigé un mémoire sur les liens entre l’âge des commerciaux de sa société et la performance objective. Son travail de Master a été primé par le prix Interiman 2010. Le responsable RH revient pour HR Today sur les résultats de son étude.

Vous démontrez que l’âge ne devrait pas être utilisé comme déterminant de la performance. Pourquoi? 

William Mainoz: Mon travail confirme dans une large mesure plusieurs études sur le sujet. La performance varie d’un individu à un autre. Quand on analyse les déterminants de cette performance, l’âge n’apparaît pas pertinent. On peut donc en déduire que fixer un âge limite pour un poste révèle une manière de voir les âges fausse. Cela renforce un préjugé négatif qui n’a pas lieu d’être. 

D’où vient ce préjugé? 

A la base, le constat de corrélation négative entre âge et performance vient notamment des mesures de l’intelligence fluide. Si vous prenez uniquement ce facteur (rapidité de réaction, capacité à résoudre une énigme, etc.), alors oui, plus un individu est âgé plus sa performance tend à baisser. Mais ces études souvent conduites en laboratoire ne tiennent pas compte de l’environnement de travail. Dans la réalité, un individu peut éventuellement compenser la baisse de son intelligence fluide par des stratégies de contournement, de compensation. Avec l’expérience, par exemple, il apprend à tirer profit d’un collectif, il se forme ou se sert de techniques ou de structures extérieures pour compenser, il reconsidère ses objectifs. 

Vous avez néanmoins constaté que dès 45 ans, des individus sans expérience sont moins performants? 

Oui, sur l’un des critères retenus dans mon étude, la performance des conseillers clientèle de plus de 45 ans tend à s’amenuiser légèrement avec l’avancée (transversale) en âge et cette tendance se renforce lorsque l’expérience du métier fait défaut. Le parcours professionnel d’un candidat «senior» (en cas de recrutement) doit ainsi faire l’objet d’une attention particulière. Car comme dit plus haut, une personne peut compenser la baisse de certaines de ses aptitudes par son expérience. 

Parlons de ces stratégies de compensation. Votre étude est la première à mettre en relation les stratégies SOC (Sélection, Optimisation, Compensation) avec la performance objective… 

Oui. A l’origine, le modèle SOC a été utilisé pour décrire, comprendre et expliquer les mécanismes du vieillissement dit réussi. Transposé au travail, ce modèle a été relativement peu étudié. Et je suis le premier à l’avoir fait en relation avec une performance objective (croissance et chiffre d’affaires). Mes résultats suggèrent notamment que l’utilisation des stratégies SOC, en tant que telle, ne contribue pas au maintien de la performance objective des conseillers clientèle vieillissants. S’agissant de l’ordre d’utilisation des différentes stratégies, j’ai cependant constaté que notre population de commerciaux recourrait principalement aux stratégies d’optimisation et de compensation mais assez peu aux stratégies de sélection (élective ou négative). Ce résultat est intéressant car il laisse entrevoir que l’autonomie au travail de nos commerciaux est plutôt faible. 

Conséquence sur le terrain? 

Voir certains conseillers clientèle performants partir prématurément en retraite anticipée, préférant le statut de «jeune retraité à celui de vieux travailleur» (pour reprendre l’expression de l’ergonome français Serge Volkoff). On sait en effet que l’organisation du travail, et la plus ou moins grande autonomie qu’elle génère, exerce une forte influence sur la volonté des travailleurs vieillissants de poursuivre ou non leur activité professionnelle. 

Quelle a été la réaction de votre direction devant ces résultats? 

Je tiens d’abord à relever que la direction de la Bâloise m’a donné les moyens de mener une étude très approfondie, ce dont je lui sais gré. Elle s’est montrée intéressée par mes résultats et a exprimé sa grande satisfaction pour l’écho très favorable que mon travail a rencontré au sein de la «communauté RH». Avec mon mémoire, j’ai tenté d’apporter une pierre à l’édification d’une meilleure connaissance des effets de l’avancée en âge sur la performance individuelle au travail. Je ne visais pas à bouleverser les pratiques de notre entreprise. Reste que mes résultats ont donné lieu, en interne, à des discussions fécondes en lien avec le recrutement et la gestion des âges.

William Mainoz

William Mainoz, 39 ans, est le responsable RH de la Bâloise Suisse romande et Tessin depuis 2009. Dans la maison depuis 10 ans, il vient de terminer son MAS en gestion des ressources humaines et des carrières à l’Université de Genève, Lausanne, Neuchâtel et Fribourg. Son mémoire de master a obtenu le prix Interiman 2010. Mené au sein de la force de vente de la Bâloise Assurance en Suisse sur un échantillon de 301 conseillers clientèles, son travail de master montre que la performance des conseillers est très largement indépendante de leur âge. Il montre également que «l’utilisation des stratégies SOC (Sélection, Optimisation, Compensation) ne contribue pas au maintien de la performance objective des conseillers clientèles vieillissants et que la personnalité des sujets de l’étude, en termes de conscience et d’extraversion, n’exerce pas d’influence notoire sur la relation âge – performance individuelle au travail».

 

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Marc Benninger est le rédacteur en chef de la version française de HR Today depuis 2006.

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