Entré chez Nestlé en 1980, il a grimpé jusqu’au au sommet. Nommé DRH Monde du géant de l’alimentaire en 2013 (340 000 collaborateurs), le Biennois Peter R. Vogt incarne les valeurs du groupe par sa loyauté et sa capacité d’adaptation. Nous le retrouvons dans son bureau de Vevey, une après-midi glaciale de février. La brume qui caresse le lac Léman reflète l’austérité de son bureau. Voici un homme méticuleux, discret et légèrement facétieux. Sa franche poignée de main cache sans doute un brin de nervosité face aux projecteurs médiatiques. Lui préfère les coulisses discrètes du pouvoir et le travail abattu avec ardeur. Nous lui demandons d’emblée de nous raconter la semaine d’un DRH de multinationale. Il sourit: «Je reviens de la Silicon Valley, où nous avons visité les sièges de Facebook, LinkedIn et Glassdoor (site de recrutement où les candidats peuvent évaluer les entreprises, ndlr). Ils nous ont parlé de leurs pratiques RH et des outils qu’ils développent pour attirer les talents. Nous réfléchissons à renforcer un partenariat avec LinkedIn. Sinon, je participe à de nombreuses séances ou vidéo-conférences. Ce matin par exemple, j’ai visité les nouveaux locaux de Nestlé Suisse à Entre-deux-Villes (canton de Vaud). A midi, j’ai mangé avec le responsable administratif du groupe...».
Réorganisation de la fonction RH
Les deux hommes ont sans doute évoqué les changements que traversent actuellement les RH du géant de Vevey. Il précise: «Nous sommes en train de transformer la fonction RH du groupe en trois piliers: les HR Business Partner, un centre de compétences pour les prestations à haute valeur ajoutée (recrutement, formation, salaires) et un Shared services pour les tâches répétitives. Ces trois unités, créées et maintenues en interne, opéreront pour l’ensemble du groupe.»
Nestlé célèbre cette année ses 150 ans. Cet anniversaire a servi de prétexte à notre rencontre. Quel lien voit-il entre cette longévité et la gestion du changement? Il répond: «Le changement fait partie de notre ADN. Les marchés évoluent sans cesse. Notre réussite s’explique donc par notre capacité d’adaptation. Le secret est d’avoir des valeurs fortes. Chez nous ces valeurs sont: qualité, respect et responsabilité. Cet ancrage nous permet d’être flexible et d’évoluer avec notre temps tout en gardant les pieds sur terre.» Aussi simple que cela? «Non. Pas du tout. Cette culture exige de l’exemplarité et une vision sur le long terme. Nestlé a par exemple décidé de publier ses bilans financiers deux fois par an, et non quatre fois, comme c’est devenu l’usage.»
Et quid du rôle des RH dans cette adaptation permanente? «Tout ce que nous faisons est dédié au changement. Le business évolue, les gens ont besoin de se développer.» Un exemple? «Depuis une quinzaine d’années, le marché du travail a énormément changé. Désormais, c’est le talent qui choisit l’entreprise et non l’inverse. Le management directif, avec des ordres venant d’en haut, ne fonctionne plus. Les collaborateurs veulent de l’autonomie et souhaitent participer aux décisions. Notre fonction RH a donc dû s’adapter. Nous clarifions l’intention et les valeurs. Ce cadre posé, nous prenons du recul et adoptons une posture d’accompagnateur, en proposant des prestations de qualité et un service administratif sans faille.»
Des marchés de plus en plus intégrés
Ce changement de culture RH s’explique aussi par l’évolution du contexte économique. Actif dans plus de 100 pays à travers le monde, Nestlé a toujours eu une stratégie très locale, avec des usines de production basées proches de ces différents marchés. A tel point que les consommateurs pensent parfois que Nestlé est une marque locale. «Depuis une dizaine d’années, le marché est devenu beaucoup plus intégré globalement. Nous sommes passés d’une organisation structurée par pays à une organisation structurée par expertises. Nous créons des équipes virtuelles, qui communiquent par vidéo-conférence, et nous pouvons ainsi résoudre des défis opérationnels locaux en puisant dans notre réseau international.»
Et comment procède-t-il concrètement pour initier des changements d’une telle ampleur? «Avec mes collègues de la direction générale, nous clarifions la vision et fixons des objectifs. Je m’appuie ensuite sur les responsables RH de chaque unité d’affaires. J’essaie de leur donner un business case, afin de montrer concrètement ce que nous essayons d’atteindre. Cette phase d’explication est primordiale. Prendre le temps d’étayer les raisons derrière un changement est toujours un bon investissement. Selon l’importance du projet, nous créons ensuite un comité de pilotage, qui se charge de récolter les idées des collaborateurs, ainsi que d’éventuelles résistances. Le pourquoi et le comment doivent être discutés avec la base. C’est là que l’aspect humain entre en ligne de compte. Essayez d’imposer une décision sans écouter la base et vos difficultés commenceront...»
En écoutant Peter R. Vogt, on réalise que la gestion du changement n’est pas un dossier parmi d’autres sur son bureau. C’est plutôt le fil rouge qui les traverse. Il est intarissable sur le sujet, ses yeux pétillant de bonheur. Allons donc plus loin. Quels sont les deux changements qu’il a l’intention d’initier dans un avenir proche? «Je souhaite améliorer les compétences de nos HR Business Partner afin de leur donner une vraie posture pour accompagner la ligne. L’autre idée qui me tient à cœur est de renforcer les prestations de notre centre de compétences RH. Les nouvelles technologies offrent des possibilités incroyables! Nous proposons par exemple des séminaires par vidéo-conférences, où nous invitons un expert reconnu qui est ensuite écouté par 3000 collaborateurs Nestlé à travers le monde.»