FP: Oui, je vous entends bien. Vous êtes un scientifique avec une approche très scientifique de la vie. Je le respecte totalement. Mais tout de même! Prenez la communication par exemple. Chacun sait que la communication verbale ne reflète que 30 à 40 pour cent du message. Le reste est véhiculé par la communication non verbale.
AB: Là aussi, c’est une idée reçue! Y a-t-il une correspondance 1 à 1 entre un geste et un état mental? C’est ce que les gens croient. Mais lorsqu’on essaie d’interpréter ce que pensent les gens à partir de leur langage non verbal, on n’est pas toujours juste non plus.
FP: Je suis très étonnée. Tout le monde a déjà vécu ces situations où quelqu’un vous explique quelque chose mais vous ne le sentez pas. Pourquoi? Parce que vous avez perçu, très souvent de manière inconsciente, quantité de signaux qui créent un décalage entre la communication verbale et non verbale.
AB: Oui, mais quand vous écoutez votre intuition, parfois vous avez raison et parfois vous avez tort.
FP: Bien entendu. Ensuite, il y a l’interprétation que vous allez en faire. Pareil avec la graphologie. Dans la peinture, lorsque votre œil est formé, vous allez reconnaître le peintre, quel que soit le sujet traité. Pour moi, c’est l’âme de l’artiste qui se manifeste dans sa représentation du monde. Sa personnalité profonde va s’exprimer pleinement.
AB: Bien sûr que la personnalité s’exprime dans nos comportements, dans ce qu’on dit et dans nos gestes. Mais est-ce qu’une analyse de l’écriture est capable de détecter de façon fiable et systématique ces traits? La réponse à cette question est non. La preuve a déjà été amenée à plusieurs reprises par des études systématiques. La graphologie s’appuie sur la pensée magique. Elle postule qu’il y a une correspondance entre ce qui est visible et ce qui est caché.
FP: Donc vous réfutez aussi la morphopsychologie?
AB: Oui, toutes ces pratiques sont tributaires du même raisonnement. De nouveau, lorsqu’on a essayé de tester les affirmations des graphologues – ce qui est difficile car ils ne veulent souvent pas qu’on mette leurs analyses à l’épreuve des faits – on a trouvé qu’il n’y avait aucune correspondance. Les graphologues n’étaient pas meilleurs...
FP: Je suis très étonnée d’entendre que les graphologues ne veulent pas que l’on mette leurs analyses à l’épreuve des faits, au contraire. D’autre part, on ne prétend pas être les meilleurs!
AB: Meilleurs que le hasard tout de même... Cela vous le prétendez. Ce que les graphologues affirment n’est pas meilleur en termes de qualité que si vous tirez au sort. Voilà le problème.
FP: Je vous parle de mon expérience, c’est tout. Les approches scientifiques sont absolument respectables et indispensables. Mais on sait aussi que pour la science, ce qui était vrai au XVIIIème siècle ne l’est plus forcément aujourd’hui. Je relativise cette lecture scientifique. Vous êtes dans un mode de pensée qui vous appartient.
AB: Mais si vous rejetez l’approche scientifique, dites-moi sur quelles bases vous avancez. Vous avez une responsabilité éthique face à vos clients. Le jugement que vous portez sur une personne sera utilisé par un recruteur comme une aide à la décision. Vous devez donc pouvoir justifier votre analyse.
FP: C’est justement ce que j’étais en train de vous expliquer au début. Il faut comprendre les mécanismes de la graphologie.
AB: Mais on doit pouvoir systématiser ces mécanismes, les décrire et les mettre à l’épreuve. Comme je l’ai dit, toutes les tentatives pour faire cela ont échoué.
FP: Allez rechercher dans l’historique de la graphologie et vous verrez que des recherches ont été effectuées: Klages, Michon, Max Pulver, et bien d’autres.
AB: Mais ce sont toutes des apologies de la graphologie.
FP: Vous démontez systématiquement tout.
AB: Tout à fait!
FP: Je vous respecte. Je ne suis pas venu ici pour vous convaincre. Par contre, je vous assure que des scientifiques se sont penchés sur la graphologie, ils ont mené des études extrêmement poussées avec des centaines d’écritures analysées et sont toujours arrivés à des points de convergences... Et vous savez aussi que la graphologie est enseignée à l’Université de Zurich.
AB: Elle n’est pas enseignée à l’Université, mais à la Haute Ecole Spécialisée, et il s’agit d’un seul cours. Quant aux études que vous citez, elles ne mettent pas en lien l’écriture avec des critères indépendants. Cela n’a pas été fait par Klages, Pulver et tous ces gens-là. Les études appropriées ont été faites plus tard dans les années 1970 et 1980, lorsqu’on avait un appareillage méthodologique suffisamment développé pour le faire.
FP: J’entends bien que pour vous la graphologie n’a aucune valeur. Libre à vous de le penser.
AB: Mais ce n’est pas mon avis personnel. C’est l’avis considéré et un consensus qui est largement accepté par la communauté scientifique.
FP: Je ne rejette rien, je respecte. J’entends vos arguments. Pour moi, l’être humain va bien au-delà de tout ce qui peut être mesuré scientifiquement, c’est là une évidence pour moi. Ma pratique de la graphologie et les retours que j’ai pu recueillir d’anciens candidats, avec le recul des années, me confortent dans ma position. Voilà, je vous dis mon constat. Et si vous n’êtes pas d’accord, cela n’a aucune espèce d’importance.
Françoise Python
Françoise Python est consultante RH indépendante depuis 1997. Elle intervient notamment comme conseillère en recrutement avec une batterie d’outils d’assessment: tests psychométriques, mises en situation, jeux de rôle et analyse graphologique. Formée à la psychologie jungienne, Françoise Python est membre de la Société Romande de Graphologie.
Adrian Bangerter
Adrian Bangerter est professeur de psychologie du travail à l’Université de Neuchâtel depuis 2003. Il est notamment spécialiste de la sélection du personnel. Il vient de co-rédiger: Réussir l’entretien d’embauche comportemental. La méthode pour identifier et sélectionner les futurs employés performants, éd. De Boeck, 2012, 109 pages.
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