Home Office à 100% ad vitam aeternam?
Depuis le semi-confinement, le télétravail est entré dans la normalité. Mais quel sera le bon dosage dans le monde d'après? 100, 50 ou 0%. Trois experts en débattent.
Photo: Jornada Produtora / Unsplash
«Sur le long terme, le travail à distance nuit aux liens sociaux»
Myriam Best – HR Strategies, HR Campus SA
«Ces vingt dernières années, le marché de l’emploi suisse a été le théâtre d’une petite révolution: la part d’employés en télétravail – partiellement ou à temps plein – est passée de 6 à 25% entre 2001 et 2019. La pandémie ne fut qu’un accélérateur de cette tendance de fond. Selon les derniers chiffres de l’OFS (1) la part d’employés suisses en Home Office s’élevait à 35% en 2020. Les conditions exceptionnelles imposées par la COVID 19 ont permis aux organisations retardataires de sauter dans le wagon. De nombreux employés se réjouissent de cette nouvelle situation, qui leur offre une plus grande marge de manœuvre pour trouver un équilibre entre vie privée et professionnelle. Mais sont-ils vraiment tous à la même enseigne? Pour certains, le télétravail est accueilli à bras ouverts: moins de temps passé dans les bouchons, un environnement de travail plus personnalisé et plus de flexibilité dans la gestion du temps. Sur le long terme, le travail à distance nuit aux liens sociaux: moins d’échanges informels, plus de discussions autour de la machine à café et de l’assiette de midi. Nous sommes des animaux sociaux.
Nous avons besoin de cette diversité de points de vue qui nous manquent si cruellement depuis une année. Et pourtant. De plus en plus d’entreprises sont en train d’abandonner leurs bureaux physiques et optent pour un modèle à 100% en Home Office (2). L’argument économique pèse ici de tout son poids puisque le coût des loyers commerciaux est non-négligeable. Mais cela se fait au prix d’échanges personnels hors de prix puisqu’ils sont le vrai liant d’une organisation. Et si la solution se situait à mi-chemin? Un maximum de flexibilité avec la possibilité de se réunir en personne pour soigner nos interactions sociales. Personnellement, l’affaire est entendue: non à 100% de Home Office, mais oui à 100% de flexibilité!»
(1) Télétravail | Office fédéral de la statistique (admin.ch)
(2) bit.ly/TAGI_Homeoffice
«Nos collaborateurs ont pris goût au beurre et à son argent»
Ines Doherr – cheffe de l'unité Human Resources, Wincasa
«Comme si nous avions senti venir la crise, nous avions décidé en 2019 déjà d’accorder à tous les collaborateurs de nos filiales en Suisse le libre choix de leur lieu de travail. En parallèle, nous avions mené des discussions avec les autorités locales, adapté nos règlements internes et renforcé notre infrastructure IT. Nous avions également pris des précautions en termes de culture d’entreprise, car ce passage au Home Office (pas plus de 50% du pensum) et le libre choix du lieu de travail (Third Place) ne convenait pas à tout le monde. Cette initiative doit également être replacée dans son contexte, soit une étape vers notre objectif plus général: «Convenience. Any room. Any time.» De ce fait, au moment de la pandémie, nous étions tous en mesure de travailler depuis la maison. Timing parfait. Notre offre en matière de travail mobile a été très apprécié par nos équipes. Nous allons bien sûr poursuivre dans cette voie après la pandémie. Les collaborateurs se sont montrés très engagés ces 18 derniers mois.
Malgré la situation difficile, la qualité du service et la motivation des équipes a été maintenue. C’est aussi le signe d’une bonne culture d’entreprise. Nous l’interprétons également comme une confirmation de notre choix pour un modèle hybride incluant le Home Office. Malgré ces bonnes expériences, les rapports sociaux nous manquent. Rien ne vaut les échanges personnels pour faire vivre une culture d’entreprise. De plus, le secteur immobilier dépend fortement des échanges interpersonnels. La plupart de nos prestations business en dépendent. Par conséquent, nous n’allons pas adopter un modèle à 100% en Home Office. Nous allons maintenir le cap de notre vision d’avant pandémie et offrir plus de flexibilité dans les options: accorder un nombre de jours garantis en Home Office tout en laissant la possibilité de venir au bureau à n’importe quel moment, afin de soigner les interactions sociales et les échanges plus informels. Nos collaborateurs ont pris goût au beurre et à son argent.»
«Cela n’a aucun sens d’implémenter le home office dans la durée et sans limites»
Marc Prinz – avocat, Vischer SA
«Au premier abord, travailler en Home Office n’apporte que des avantages. Le réveil sonne un peu plus tard le matin, plus besoin de penduler et les horaires sont devenus beaucoup plus flexibles. Mais comme nous l’avons découvert depuis quelques mois, la généralisation du Home Office amène aussi son lot de soucis. La frontière entre vie privée et professionnelle s’estompe encore plus. Les échanges informels entre collègues tombent à l’eau. Ces manquements impactent négativement la performance. Les employeurs qui ont opté pour un modèle à 100% en Home Office économisent certes sur leurs coûts fixes, mais doivent réinvestir cet argent ailleurs. Il faut désormais mettre à disposition une bonne infrastructure IT, des ordinateurs portables et parfois des participations financières aux loyers privés. Mais ces effets collatéraux ne sont pas les seules obligations pour un employeur qui souhaite poursuivre sur le modèle du Home Office généralisé.
Le droit suisse oblige l’employeur de veiller aux bonnes conditions de travail. Par ailleurs, la surveillance des collaborateurs à distance ne peut pas se faire dans n’importe quelles conditions. L’obstacle le plus difficile à surmonter reste le manque de contacts sociaux entre les équipes. Par conséquent, la généralisation du Home Office ne fait pas sens à si grande échelle. Les derniers mois l’ont montré: la plupart des tâches peuvent très bien s’effectuer depuis la maison. Nous conseillons donc d’aborder cette problématique avec flexibilité. Et pour la part du travail qui s’effectuera effectivement en Home Office, nous conseillons fortement de rédiger un règlement.»
Cet article est paru dans HR Today Magazine (no 4/2021).
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