"Il faut mieux récompenser ceux qui prennent des risques"
Créatrice de la plate-forme rezonance.ch et du Swiss Innovators Yearbook, Geneviève Morand connaît bien le milieu de l’innovation en Suisse romande. Dans un entretien avec HR Today, elle donne quelques exemples et livre ses conseils aux gestionnaires en ressources humaines pour stimuler l’esprit d’innovation des collaborateurs.
HR Today: Vous publiez «le Swiss innovators yearbook». Pourquoi cet engagement pour l’innovation?
Geneviève Morand: Parce que je n’avais jamais serré la main à Madame innovation. J’ai voulu la rencontrer. Je me suis aperçu que derrière le côté abstrait de l’innovation, il y a des gens avec des idées qui ont le courage de se lancer dans des aventures financièrement et intellectuellement risquées. J’ai ensuite eu envie de dresser une carte de l’innovation en Suisse. Où et comment s’arrête-t-elle? C’est une question difficile. Je me suis rendue compte qu’il y avait plus d’une centaine de prix à l’innovation en Suisse. C’était un bon dénominateur commun.
Et ça marche?
Incroyable. Non seulement en Suisse, mais aussi à l’étranger. Vue d’ailleurs, la Suisse est un pays de montres, de chocolat, mais pas d’innovation. Or il y a beaucoup de multinationales qui veulent s’implanter ici à cause du potentiel d’innovation. C’est donc très important pour
notre image.
Où en est l’innovation en Suisse?
Cette année, pour la première fois, j’ai de-mandé à un journaliste d’analyser les trois premières éditions de notre annuaire. Quelques tendances se dessinent: de 110 prix à l’innovation on est passé en trois ans à 130, soit une augmentation annuelle de 10 pour cent. C’est assez fou. Les deux cantons phares sont Vaud et Zurich à cause des écoles polytechniques. Moins étonnant: les femmes sont peu représentées. Il y a par contre beaucoup de prix nouveaux dans l’écologie, le développement durable et l’environnement.
Quelles devraient être les tâches RH pour assurer l’innovation dans l’entreprise?
On est en pleine mutation. Je pense que l’innovation est un vrai «challenge» RH. Malheureusement, peu d’entreprises donnent assez d’importance aux ressources humaines. Micheline Calmy-Rey a dit récemment: «Ceux qui ont peur du changement auront et la peur et le changement.» Je crois qu’aujourd’hui cela ne suffit pas d’introduire le management du changement. Il faudrait plutôt changer le management. Et je pense que cette tâche doit être confiée aux ressources humaines.
Oui mais comment?
Quand on arrive chez Procter & Gamble, à Genève, un immense frontispice surplombe l’entrée avec ce slogan: «Growth, innovation, collaboration.» Si l’innovation ne fait pas partie des valeurs de l’entreprise, vous n’avez aucune chance de pouvoir la développer. Cela dit, je pense que la collaboration est essentielle. Il faut savoir qu’il y a deux manières d’innover. La mé-thode Logitech est de racheter des start-ups innovantes. Ils ont donc une stratégie de recherche et développement externe. Mais encore faut-il qu’il y ait de l’innovation en interne. Et celle-ci est basée sur la collaboration. Je citerai ici un exemple assez unique, celui de Danone. Pendant longtemps, les entreprises ont misé sur le «knowledge management». C’est-à-dire la collecte de toutes les informations utiles publiées ensuite dans une base de données sous forme de bonnes pratiques. C’est un processus lourd et très long. Les gens de Danone ont compris qu’il fallait réseauter plus souvent et plus rapidement. C’est ce qu’ils appellent la «networking attitude». Ils réunissent régulièrement leurs 8000 cadres sur des «places de marché» et s’organisent en vendeurs et preneurs d’informations. C’est comme cela que l’information circule. Ce sont des rencontres très formalisées.
Et là les RH ont un rôle à jouer?
Oui, c’est à eux de stimuler le réseautage à tous les niveaux de l’entreprise. Autre exemple: les cellules d’entraide sont des réunions de femmes chefs d’entreprise et cadres où elles échangent leur expérience dans le but avoué de s’entraider et d’arriver plus vite aux résultats. Les RH pourraient s’en inspirer.
On entend également souvent que pour mieux réseauter, il suffit de plus parler ensemble. Cela ne suffit pas. Ces échanges doivent être formatés. Il faut donc mettre en place un programme de formation pour initier les collaborateurs au réseautage. En plus de la formation, l’organisation de conférences, d’ateliers et l’organisation du réseau à l’intérieur de l’entreprise sont donc bien des tâches RH.
Et quelle est la place de la diversité, du mélange des genres et des générations?
Ces approches sont tout aussi importantes. Pour qu’il y ait innovation, il faut des regards différents. Ce qui est difficile, c’est le comment récompenser ceux qui prennent des risques. En Suisse, on a encore trop tendance à se méfier des collaborateurs qui osent.
Chaque année, le nombre de brevets déposés en Suisse est relativement élevé. Le potentiel d’application de ces idées dans l’économie est-il suffisant?
C’est tout le problème. Celui qui dépose un brevet n’est pas forcément celui qui va se lancer dans un business. L’exemple de la souris informatique est révélateur. C’est un professeur de l’EPFL qui s’amusait avec cette souris, mais c’est l’étudiant Daniel Borel qui en a fait une affaire florissante. J’ai fait une étude sur les barrières entre l’idée et le marché. Le grand problème n’est pas l’argent, ni le cadre légal, mais bien un déficit en terme de goût du risque.
Pour passer de l’idée au marché, il faut donc savoir prendre des risques?
En Suisse, le risque n’est pas assez reconnu. Je connais plusieurs entrepreneurs qui ont réussi. Mais ce n’est pas pour autant que les politiciens sont allés les féliciter. Le manque de reconnaissance en Suisse est flagrant.
Pourquoi la Suisse, avec ces trésors d’idées, n’est-elle pas la Silicon Valley de l’Europe. Est-ce dû à la mentalité, l’auto-suffisance et l’esprit de compromis?
Oui je le pense. Allez en Asie, l’innovation avance à vue d’œil. Le centre d’innovation de Microsoft à Pékin donne froid dans le dos. Là-bas, ça pulse.
L’interviewée
Geneviève Morand est la créatrice et directrice de rezonance.ch. Spécialisée dans les réseaux et l’innovation, elle a notamment travaillé à la TSR.
Lien : www.rezonance.ch