«Il ne devrait pas y avoir de scoop lors de l’entretien»
DRH du groupe industriel LEM à Genève, Claudia Noth détaille ici les composantes majeures de leur dispositif d’entretien annuel.
Claudia Noth: «Notre intention est de faire vivre nos valeurs au quotidien et de stimuler le feedback». Genève, le 18 décembre 2017.
Photo: Olivier Vogelsang
L’entretien d’évaluation est une source de tensions. Comment formez-vous vos managers sur la posture à adopter?
Claudia Noth: C’est vrai, ces entretiens peuvent être source de tensions, surtout quand le montant du bonus est lié au résultat de la discussion. Cela fausse l’écoute. Cet impact financier incite le collaborateur à être sur la défensive, et à ne pas écouter le feedback qu’on est en train de lui donner. Le manager, de son côté, aura tendance à utiliser le feedback pour justifier le bonus qu’il va (ou pas) octroyer. Dans ces conditions, adopter une posture juste est très important. Nous formons nos managers à soigner leur qualité d’écoute et au respect, afin que l’atmosphère de l’entretien soit constructive et basée sur des éléments factuels. Un autre élément crucial à mon avis c’est qu’il ne devrait pas y avoir de scoop pendant cet entretien.
Qu’entendez-vous par scoop?
Le collaborateur ne devrait pas découvrir une insatisfaction de la part de son manager durant cet entretien. Ces feedbacks doivent se faire régulièrement. L’entretien de fin d’année est un bilan, une synthèse des événements de l’année.
Quel est le calendrier de ce processus au groupe LEM?
Notre année fiscale se termine au 31 mars. Nos entretiens d’évaluation se font donc entre la mi-avril – à partir du moment où les résultats sont connus – et la mi-juin. Et les bonus sont payés fin juin.
Vous êtes une entreprise internationale, avec des sites en Chine, au Japon, en Bulgarie et en Suisse. Avez-vous noté des différences culturelles dans l’évaluation?
Oh que oui! Dans certaines cultures, il est difficile de trouver la bonne formule pour donner un feedback précis sur des domaines d’amélioration. En Chine et en Bulgarie par exemple, où il est essentiel de ne pas perdre la face. Au Japon, il est très difficile de donner un feedback individuel, car la culture se focalise beaucoup plus sur le collectif. Cela nécessite donc de travailler sur le climat de confiance, mais aussi la sensibilité interculturelle, notamment par de la formation.
Qu’entendez-vous par climat de confiance?
Un climat de transparence et d’ouverture. Le collaborateur devrait considérer ce moment comme une occasion d’échanger et de définir avec son responsable comment s’améliorer, et non comme une sanction. Le collaborateur est force de proposition.
Une des difficultés est de rester simple. Comment faites-vous?
Disposer d’un outil informatique qui permet de veiller à la cohérence globale du dispositif et d’agréger les données. Notre outil nous permet par exemple d’injecter les résultats business de manière centralisée pour que ces résultats se retrouvent ensuite dans chaque évaluation avec ces objectifs. Ensuite, nous intégrons les objectifs personnels. Tout doit être très clair. J’entends par là que la définition des objectifs et la manière de les mesurer doivent être compréhensibles et pertinents pour chaque collaborateur peu importe où il se trouve géographiquement, ce qui n’est pas évident. Enfin, le dispositif doit être construit en cascade, afin que chaque objectif global se décline dans des sous-objectifs spécifiques pour chaque activité et entité.
En quoi l’outil informatique vous apporte-t-il de la simplicité?
Un bon outil permet l’agrégation des données. Afin de pouvoir garantir la cohérence à travers l’organisation, nous avons besoin de statistiques sur les taux d’atteinte des objectifs par localité ou par activité par exemple.
Détaillez-nous le dispositif mis en place chez LEM?
A mon arrivée, j’ai eu la liberté et le soutien du CEO pour ajouter des éléments plus qualitatifs à la discussion sur le bonus. Depuis, nos entretiens se déroulent en trois parties. La première est quantitative, liée aux objectifs. Nous calculons les taux d’atteinte avec deux chiffres après la virgule, illustration que nous sommes une entreprise d’ingénieurs. Le deuxième volet permet de discuter du comportement du collaborateur par rapport aux valeurs de la société. Notre intention est de faire vivre ainsi nos valeurs au quotidien et de stimuler le feedback. Cette deuxième partie est un échange entre le collaborateur et son manager. Enfin, la troisième partie est entièrement menée par le collaborateur. Il nous donne son «mode d’emploi» en parlant de ses facteurs de motivation et de son degré de satisfaction. Ces retours sont précieux. Ils nous permettent de cerner ses facteurs de motivation et sont un indicateur de son engagement. Ces éléments, que nous approfondissons en entretien individuel si nécessaire, nous permettent ensuite d’orienter et de prioriser nos actions RH.
Avez-vous des exemples de feedbacks qui vous ont permis de mener des actions RH?
Nous avons constaté par exemple que le management faisait partie des facteurs de motivation les plus importants pour nos équipes et que nous avions sur ce sujet une saine marge de progression. J’ai donc renforcé nos formations en leadership pour tout le middle management. Les résultats ont été très positifs pour la motivation et l’engagement des collaborateurs, mais aussi pour le confort des managers.
D’autres exemples?
En 2014, le Work-Life Balance apparaissait pour la première fois dans le top trois des facteurs de motivation importants et, là-aussi, nous pouvions améliorer la situation. Nous avons donc mené une campagne autour du bien-être au travail en lien avec la Clinique du travail.
Quel est le sujet qui importe le plus aux yeux de vos employés?
Le contenu de leur travail. LEM est une société à taille humaine, raison pour laquelle le contenu des postes est très varié. Cette diversité des activités est très appréciée, elle est un facteur d’épanouissement à tous les niveaux.
Quelles sont les finalités de l’entretien d’évaluation chez LEM?
D’abord, le paiement du bonus. Soyons clair là-dessus. Ensuite, ce moment permet de tirer un bilan formalisé une fois par année. Cela n’empêche pas que le feedback doit se donner en continu tout au long de l’année.
En liant l’attribution du bonus à l’évaluation, ne risquez-vous pas de fausser le ton de l’échange?
Cela dépend beaucoup de la culture de l’entreprise. Chez LEM, ce risque est limité car les objectifs ainsi que les critères de mesure sont très clairement connus dès le début de la période. D’autre part, nous avons mis en place l’année dernière un feedback mutuel, entre le manager et le collaborateur, qui est décorrélé du bonus. C’est le moment d’exprimer ce qu’ils apprécient chez l’autre, ce qui leur facilite la vie et les éléments qui pourraient être améliorés. Ces discussions sont strictement confidentielles, afin d’approfondir ce dialogue et pour en augmenter la franchise. C’est un document écrit à la main qui reste en possession du manager et du collaborateur sans être transmis aux RH. Les premiers feedbacks ont été très positifs autant de la part des collaborateurs que des managers.
Et cet échange se passe au même moment que l’entretien annuel?
Non. Il est mené une fois que le bonus est décidé, souvent durant l’été.
Deux valeurs fortes chez LEM sont le travail en équipe et l’innovation. Comment les évaluez-vous?
Pour l’innovation, nous valorisons l’ouverture et la proactivité par rapport au changement. Est-ce que la personne démontre et suscite de l’engagement pour de nouveaux projets? Est-elle proactive, développe et implémente de nouvelles choses?
Et le travail en équipe?
Savoir travailler en équipe implique de stimuler la performance de l’équipe pour atteindre les objectifs et avoir du succès ensemble. Est-ce que la personne crée et maintient une collaboration motivante avec ses équipes et ses collègues? Est-ce qu’elle donne du feedback constructif tout en respectant l’autre? Le fait d’éviter le «finger-pointing» est un autre point important. Un défi supplémentaire très présent chez LEM est le travail en équipe à travers différents pays et activités.
Une carrière est aussi faite de pauses ou de bifurcations. Est-ce que vous en tenez compte lors de vos évaluations?
Nous avons la chance de pouvoir travailler avec des passionnés, donc nous sommes rarement confrontés à ces questions. Cela dit, nous restons à l’écoute des souhaits et des demandes d’évolution de chacun. Parfois, nous accordons des réductions de temps de travail ou nous envisageons des possibilités de mutation. Dans tous les cas, les RH cherchent systématiquement le dialogue avec tous les talents qui donnent le signal d’une baisse de satisfaction pendant ces entretiens.
Comment définissez-vous la performance?
Chez nous, elle est une combinaison des résultats obtenus et des efforts consentis. Une définition de la performance qui me parle est celle de Tom Gallwey: «La performance est le potentiel moins les interférences.» L’entretien d’évaluation a pour but de discuter de la performance et des interférences, qu’elles soient personnelles ou institutionnelles, afin de les diminuer et d’augmenter la performance future.
Et est-ce imaginable que cette définition soit adaptée à chaque collaborateur?
J’en suis convaincue. La difficulté est de trouver un accord sur les interférences qui ont des origines dans l’entreprise et dans le comportement de la personne et la façon de les minimiser ensemble au mieux. Un dialogue ouvert et constructif est la clé.