La chronique

Inclure le traumatisme

Imaginez un village après un séisme – des pans de murs détruits, des routes éventrées, et quelques humains en pleurs, en cris, à la recherche de proches peut-être ensevelis. Une catastrophe naturelle provoque tout d’abord une sidération devant la violence de l’événement.

Et puis, très vite, on parle d’aide d’urgence. Il faut acheminer de l’eau, de la nourriture, pour assurer la survie au sens strict du terme. Puis un peu de chaleur, les fameuses couvertures en alu, les abris de fortune. Vient ensuite l’appel à la reconstruction, pour permettre à la population locale de retrouver petit à petit les soins de santé, l’école, l’activité économique, la vie sociale. Reconstruire, matériellement, les infrastructures, mais aussi contribuer à vivre le deuil des proches disparus, décédés, le deuil d’une vie qui ne sera plus jamais comme avant.

Reconstruire une ville, un village, oui. Mais peut-on «se reconstruire»? Qui a rendu ce verbe réflexif? Il a rejoint le langage courant, il est devenu un souhait: «J’espère que tu pourras te reconstruire», «je te souhaite de te reconstruire», éventuellement un encouragement à demander de l’aide: «Tu as quelqu’un à qui parler? Tu es suivie pour te reconstruire?» La tristesse me saisit devant ces deux lettres SE, typiques de nos sociétés occidentales auto-centrées, voire narcissiques.

Les personnes concernées ont vécu un traumatisme, un ébranlement fondamental de leur personne – en elles-mêmes lors d’un accident, une maladie, un burn-out, ou par l’externe, la violence d’autrui, la mort, pour les plus graves.

Elles sont atteintes dans leur intégrité physique et psychique, et dès lors en situation d’impuissance. Les schémas, les réflexes, les routines utilisés pour assumer le quotidien ne fonctionnent plus. Il s’agit d’abord de les aider à survivre, de les porter jusqu’à demain. Ce sont ceux qui se trouvent là, au bord de la route, sur leur chemin, qui sont appelés à le faire, avec un repas, une écoute, un moment de vie.

Ensuite, les personnes traumatisées ne peuvent pas «se» reconstruire, elles ont besoin de reconstruire autour du séisme qui a bouleversé leur vie. Avec des soutiens professionnels, des ingénieurs des métiers de l’humain. La reconnaissance de la blessure, de l’atteinte, est essentielle – et demande du courage. Entendre parfois l’indicible, l’horreur, la crainte, le désarroi, fait peur à de nombreuses personnes. Le manque de temps est souvent l’argument pour se protéger de ces faces sombres de la vie, espérant soi-même y échapper.

Après un tremblement de terre, un géologue et un ingénieur en génie civil seront nécessaires, et gagneront à interroger les pratiques de construction locales pour un projet adapté. Après un traumatisme, un médecin, un thérapeute, un RH, devront collaborer pour reconstruire avec la personne touchée son quotidien privé et professionnel.

Notre occidentalité numérique a mené à des contraintes extrêmes en matière de protection des données, qui rendent ces collaborations difficiles, voire exclues. Il y a cependant une opportunité à y saisir. La personne blessée, fragilisée, se retrouve au cœur de son projet, maîtresse de ses communications. C’est ici que s’ouvre la possibilité de reprendre la maîtrise de sa vie, renouer avec sa capacité de l’orienter, de choisir les soutiens pertinents. Les RH comme les thérapeutes gagneront à lui expliquer l’importance de son rôle d’acteur principal. Les Directions gagneront à comprendre ce processus pour accueillir les démarches de réadaptations dans un lent processus de réhabilitation. Des collègues de travail contribueront: ils veilleront à réintégrer après un arrêt, à soulager dans des moments de blues, ou à s’intéresser aux nouveaux loisirs, nouvelles facettes de leur collègue en «reconstruction».

Le traumatisme reste une blessure existentielle, une marque à vie, visible (cicatrice, prothèse), sensible (réactions émotionnelles), ou bien cachée (limitation fonctionnelle invisible). Et nos entreprises gagneront à en parler, à s’enrichir de ces expériences humaines fortes, douloureuses, riches. C’est à partir de là que l’on peut commencer à parler d’inclusivité et de bienveillance. En accueillant et participant au retour à la vie, après le traumatisme et la survie.

commenter 0 commentaires HR Cosmos

Ariane de Rham est aujourd’hui Directrice de l’ESSIL, école supérieure formant les éducateurs sociaux à Lausanne. Son profil est pluriel. Après une première carrière en tant que pasteure, elle a effectué une formation en gestion d’entreprise. Depuis, elle développe et met en place les outils de management et RH les plus divers, les projets stratégiques de développement et les outils pratiques. Elle a travaillé pour les Oeuvres sociales de l’Armée du Salut, pour la Fondation Le Repuis et pour la Fondation Jeunesse et Famille.

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