«J'ai besoin de faire des liens entre l'humain et son environnement»
Après 17 ans de recherche et d'enseignement RH à la HEIG-VD, François Gonin vient de prendre sa retraite académique et de s'installer comme consultant. Il revient ici sur les évolutions de la fonction RH et sur la méthode novatrice qu'il a développée avec son équipe pour évaluer la performance collective.
Après 17 ans de recherche et d’enseignement dans le domaine RH à la HEIG-VD, François Gonin va accompagner les entreprises dans «un développement humain et organisationnel qui s′inscrit dans des valeurs humanistes». Photo: Alain Kissling / ATELIERK.ORG
Vous prenez votre retraite académique après 17 ans de recherche et d’enseignement dans le domaine RH à la HEIG-VD. Citez-nous deux évolutions positives de la fonction RH.
François Gonin: Premièrement, la prise de conscience claire que pour contribuer et accompagner les transformations des organisations, les RH doivent être pleinement intégrées au management. Cela se passe-t-il dans la réalité? Cela reste ouvert. La deuxième évolution est la professionnalisation de la fonction, par les formations professionnelles devenues des passages obligés, comme le certificat de gestionnaire RH et le brevet fédéral de spécialiste RH, ainsi que par la formation postgrade à travers les CAS, DAS et MAS qui offrent des formations de haut niveau aux cadres RH.
Vous vous êtes spécialisé dans les dynamiques collectives en organisation. Pourquoi avoir pris cette direction?
Tout d’abord, lors de ma première expérience professionnelle en tant que cadre, j’ai expérimenté concrètement l’importance de demander à mes collaboratrices et collaborateurs – soit aux personnes concernées – leur avis sur les améliorations à apporter au travail: ce sont les personnes qui ont les problèmes qui ont les solutions! J’ai ainsi vécu concrètement le développement de l’intelligence collective d’une équipe pluridisciplinaire dont les membres arrivaient à coopérer. Par la suite, j’ai eu l’occasion de développer le système d’appréciation individuelle de l’administration lausannoise. J’ai constaté la valeur ajoutée de la pratique d’un entretien individuel bien conduit. Toutefois, j’ai aussi réalisé qu’il ne prenait pas en compte la réalité du travail lorsque celui-ci est collectif. Et c’est notre responsabilité de spécialiste RH que de fournir des méthodes qui collent à la réalité du travail, non?! Enfin, en tant que professeur, j’ai obtenu un fonds de recherche de la HES-SO qui nous a permis d’établir, après deux ans de travaux, les nombreux avantages de la gestion collective des prestations.
Qu’avez-vous fait de ces résultats et quelles conclusions en tirez-vous?
Nous avons ensuite développé et mis en œuvre, dans plus de 20 services ou organisations en Suisse romande, une méthode d’évaluation collective des prestations professionnelles. Nous constatons que la gestion collective des prestations permet de remettre la raison d’être et les missions au centre des réflexions et ainsi redonner du sens. Elle responsabilise aussi l’ensemble des acteurs et favorise la communication, la coopération et la cohésion au sein des équipes. C’est un moyen de faire émerger les idées et les innovations dans une optique d’amélioration continue. Elle permet de développer et exploiter l’intelligence collective au service du développement des compétences collectives et de l’atteinte d’objectifs communs. Enfin, notre méthode est intégrée dans la gestion de la performance organisationnelle et peut servir de socle à une évolution naturelle vers la gouvernance partagée.
Vous avez co-rédigé avec Yves Emery en 2009 un manuel de GRH qui est devenu un classique. Avec le recul, quelle a été la contribution majeure de ce livre?
Si j’en juge les retours que j’ai eus dans la communauté RH, c’est un manuel qui est effectivement souvent consulté. Pourquoi? Nous proposons une vision globale de la GRH, sous forme de concept intégré par processus, compatible avec les normes de qualité mises en œuvre dans de nombreuses organisations. Cet ouvrage présente les éléments essentiels de chaque thème, de manière systématique, cohérente et intégrée, en partant des concepts pour aboutir à des outils directement opérationnels, dont 29 sont disponibles en libre accès sur le site Internet de l’éditeur. C’est donc un manuel polyvalent, à la fois approfondi au niveau théorique, et très pratique. Mais c’est aussi un des rares ouvrages de GRH publié en Suisse romande!
En quelques mots, comment ces sujets RH ont-ils évolué: le recrutement?
Le recrutement s’est digitalisé avec une série d’applications qui permettent de présélectionner les dossiers. Ce sont par exemple l’analyse des profils par intelligence artificielle et les pré-interviews avec les agents conversationnels. Personnellement, je reste très attentif à ce genre d’évolutions, puisque – nous le savons bien – ces machines ne font que reproduire ce que les humains leur ont appris. Le cas bien connu est Amazon qui a dû suspendre un algorithme qui introduisait des biais dans la sélection des dossiers des candidats. Ces technologies posent aussi des problèmes en matière de diversité culturelle. Il suffit de voyager un peu pour se rendre compte à quel point la manière de manifester les différents sentiments ou émotions sont très variables d’un pays à un autre. Un autre enjeu est que les profils atypiques ne passent souvent pas à travers ces filtres technologiques, ce qui devrait aussi nous interroger en période de pénurie de personnel. Le facteur humain dans la sélection me semble donc toujours important.
Le rôle des émotions?
On en parle plus aujourd’hui c’est certain. C’est une bonne évolution, car cela manquait mais je ne suis pas certain qu’on sache encore très bien qu’en faire. Cette dimension devra encore être intégrée dans la manière de gérer les organisations.
Le sens au travail?
Là aussi, c’est une préoccupation de plus en plus importante. Le sujet a pris une nouvelle importance depuis la pandémie. On parle beaucoup de la lecture générationnelle du sens, mais je pense que nous en avons tous besoin, peu importe notre âge.
Vous êtes désormais consultant en développement humain et organisationnel. Comment décrire votre valeur ajoutée?
Je suis quelqu’un qui aime et qui a besoin de faire des liens entre la théorie et la pratique, et comme psychosociologue, entre l’humain et son environnement. Je tiens à favoriser et accompagner, dans les entreprises, un développement humain et organisationnel qui s’inscrit dans des valeurs humanistes. Je suis un consultant à l’écoute, qui garde le cap, pour qui ses interventions doivent «faire sens». Je pense être un expert des ressources humaines, avec une excellente connaissance des organisations publiques et parapubliques, développée au travers de mes différentes expériences professionnelles personnelles et les plus de 90 mandats réalisés comme professeur. Enfin, je suis heureux de continuer à développer et à mettre en œuvre, dans diverses organisations, cette gestion et cette évaluation, malgré tout innovantes, des prestations professionnelles collectives. fgonin.ch