"J'ai commencé par aligner nos processus sur ceux de la finance"
En février 2012, Olivier Deslandes a repris le fauteuil très convoité de Maxime Morand, à la tête des ressources humaines de la banque privée genevoise Lombard Odier. Il revient ici sur les changements de culture entre un groupe français et une banque privée, et annonce ses priorités qui sont de développer l’internationalité et l’industrialisation des processus.
Olivier Deslandes: "J'ai appris la prudence par rapport à certaines susceptibilités." Photo: Olivier Vogelsang/disvoir.net
Quelle a été votre première décision importante?
Olivier Deslandes: J’ai commencé par réaligner nos processus sur ceux de la finance. Il fallait nous assurer que les ressources humaines élargissent leur champ de vision, où les chiffres n’étaient pas nécessairement très présents, pour entrer dans un vrai partenariat avec la finance.
Pourquoi cette priorité sur ce lien entre RH et finances?
Dans toutes les organisations de prestations intellectuelles, le 70 pour cent des coûts de fonctionnement sont humains. C’est donc important de s’assurer que le DRH et le responsable des finances aient la même lecture de l’organisation et de ses coûts. D’autre part, je souhaitais donner un dynamisme à la partie «reporting» et chiffrée de nos activités.
Vous arriviez du groupe BNP Paribas. Quelles différences au niveau de la culture d’entreprise?
Au-delà des clichés culturels entre les deux pays (sourire), il y a forcément une gouvernance différente. Je venais d’une organisation de 200 000 personnes, j’étais le DRH de près de 40 000 collaborateurs sur les marchés émergents. Donc une énorme structure avec une organisation très directive. L’impulsion venait du sommet et cascadait à tous les niveaux. Ici, les processus sont culturellement moins ancrés.
N’est-ce pas déstabilisant de passer d’une structure rigide à un environnement où il y a plus de liberté?
Tout changement est déstabilisant. Mais il est aussi rassurant. Car mon objectif est d’amener des processus, des réflexes et de la prévisibilité tout en gardant l’âme d’une banque privée genevoise.
Et quid de la «Suissitude», de ces clichés dont vous parliez avant? Lesquels vous ont le plus marqué?
Sans aucun doute la culture du consensus. Dans un grand groupe, l’impulsion vient du sommet.
Mais chez un banquier privé, ce sont aussi les associés qui décident, non?
Oui, c’est bien eux qui décident, mais vous avez utilisé «associés» au pluriel (sourire). Il y a donc déjà un consensus au niveau de la direction. Et puis ici, personne ne dit: «Je détiens la vérité donc je déroule mon processus.» Nous veillons d’abord à ce qu’il y ait une adhésion. C’est fondamentalement différent d’un grand groupe.
Vous avez succédé à Maxime Morand, une figure des RH en Suisse romande. Est-ce un lourd héritage à porter? Un honneur? Ou cela vous laisse-t-il indifférent ?
Non, je ne crois pas que cet héritage soit lourd à porter. C’était un honneur car Maxime est un grand Monsieur, que je vois encore régulièrement en dehors du travail. Mais je suis arrivé à un moment de vie différent de l’organisation. Mon objectif n’était pas de faire du copier-coller mais de développer une Maison qui s’internationalise, qui se structure et qui se développe. Je suis donc ravi d’avoir succédé à Maxime Morand, mais mon objectif c’est d’y apporter mon expérience.
Les attentes devaient être fortes au début. Comment avez-vous résisté aux pressions?
Un DRH n’est rien d’autre qu’un responsable d’équipe. J’en suis à la fois l’ambassadeur et le patron. En arrivant, j’ai trouvé des gens de bon niveau. Mais il y avait d’autres réflexes à développer. Et au début, comme quand on passe de la natation à la bicyclette, on découvre des muscles qu’on ne se connaissait pas. Cela fait parfois un peu mal.
Et quels sont les nouveaux muscles que vous avez découverts?
La prudence par rapport à certaines susceptibilités. Il y a ici des personnes d’un très bon niveau. L’individuel a d’ailleurs souvent été porté au pinacle. J’ai choisi de réorienter les politiques et les mesures de façon plus collective. Malgré cela, chacun s’attendait à ce que nous nous adaptions à son individualité. Certains disaient: «Oui, c’est très bien les processus, mais moi je suis un peu différent. Alors, j’aimerais qu’on me traite différemment.» J’ai donc appris la prudence vis-à-vis de certaines sensibilités.
Un autre?
Le consensus. C’est un muscle que j’ai développé assez rapidement.
Votre plus grande difficulté durant le premier mois?
Bien comprendre la dynamique de Lombard Odier. Elle est complexe à cause de sa gouvernance collective, avec des métiers assez différents et complémentaires. Il y a par exemple la banque privée en Europe, dans un cadre législatif, réglementaire et économique fondamentalement différent de la Suisse et de l’Asie. Il a donc fallu comprendre que le métier de banquier privé se faisait de façon très différenciée.
Quel est votre style de management?
Je suis transparent. J’évite la langue de bois et je suis très respectueux des organisations et des personnes. Je viens d’une grande structure, j’ai donc du respect pour l’autorité. Et je suis très curieux. Contrairement à mon prédécesseur, je n’ai pas de religion RH (sourire). J’ai travaillé en Asie et en Europe. Et j’ai constaté qu’il y a différentes vérités qui sont justes dans différents moments et différents lieux. Je n’imposerais donc pas de façon autoritaire une méthode parce qu’elle est juste dans l’absolu. En revanche, une fois que nous avons décidé, nous avançons et nous délivrons. Le DRH est celui qui va enlever les obstacles et qui fera en sorte que la politique RH pénètre dans l’organisation en support de la stratégie. Je suis d’ailleurs très intégré dans le mode de fonctionnement du business. La poli- tique RH ne doit pas être décorrélée de la poli- tique des affaires.
Comment cette posture a-t-elle impacté votre équipe?
Les impacts ont été assez rapides au début. Je les ai rencontrés et je leur ai demandé: «Com-
ment occupez-vous vos journées? Qui voyez vous? Que produisez vous?» Je me suis aperçu que les RH avaient développé une présence accompagnante et enveloppante, mais pas nécessairement très responsabilisante. Notre métier doit devenir un métier de techniciens, ce qui implique de maîtriser les aspects fiscaux, la rémunération et les aspects réglementaires en appui du management. Mais le premier RH dans l’entreprise, c’est le manager. Avant mon arrivée, il fallait tellement accompagner un collaborateur que l’alignement au business passait par- fois au second plan. J’ai demandé par exemple qu’on arrête de faire des cartes manuscrites lorsqu’un collaborateur rentrait de congé maladie. C’était très chaleureux et sympathique, mais ce n’est pas le métier des ressources humaines.
Qu’entendez-vous par «accompagnement responsabilisant»?
Le RH doit être en interface avec une ligne d’activité et doit aider le management de cette ligne à avoir les bons réflexes. Comment détecter les gens performants? Comment expliquer qu’il y a de la non performance ou des attitudes qui dévient? Nous étions très enveloppants et beaucoup dans le non-dit. Aujourd’hui, nous sommes plus transparents, toujours dans le respect et dans l’empathie, mais de manière peut-être plus carrée.
Comment faites-vous valoir votre valeur ajoutée, concrètement?
En produisant des choses qui se mesurent. Un SIRH (Système d’information RH, ndlr) et des outils de reporting étaient déjà en place. Nous les avons modifiés afin qu’ils soient moins centrés sur la personne et plus sur la prise de décision. Beaucoup de nos outils et prestations étaient décidés en chambre. Mon approche est différente. Nous nous demandons à quoi va ressembler Lombard Odier dans deux, trois ou cinq ans. Puis nous réfléchissons aux instruments dont on aura besoin pour surmonter ces défis. Le tropisme est passé de la personne à la prise de décision.
Depuis la crise financière de 2008/2009, le milieu de la banque suisse traverse une période turbulente, avec quelles conséquences pour la fonction RH?
La spécialisation et la technicité vont augmenter chez tous les collaborateurs de la fonction RH. Et il faudra développer leur capacité à travailler dans un environnement international. Un groupe international ne doit pas forcément être piloté uniquement depuis Genève. La prise de décision sera donc de plus en plus décentralisée. L’autre grand défi sera de maîtriser tous les aspects techniques de la mobilité. Les gens ne resteront plus quinze ans dans le même métier. De plus, l’environnement technique et réglementaire évolue sans cesse. Il faudra donc en permanence se remettre en cause. Si je recrute un RH aujourd’hui, c’est un RH financier.
Portrait du successeur de Maxime Morand
Depuis février 2012, le Français Olivier Deslandes est le DRH de Lombard Odier à Genève, où il a pris la place de Maxime Morand. Auparavant, il a été durant 4 ans DRH pour les marchés émergents au groupe BNP Paribas (40 000 collaborateurs) et DRH international durant 10 ans chez Boston Scientific (société américaine active dans le secteur médical).