«Je me suis beaucoup impliqué en matière d’innovation»
Dans une Poste Suisse en pleine mue, voire en pleine mutation, les défis n’ont pas manqué pour Yves-André Jeandupeux, qui quittera en 2017 son poste de directeur RH après dix années placées sous le signe de la digitalisation des services. Interview.
«Il y avait 90 nationalités différentes quand je suis arrivé. Aujourd’hui, il y en a 140.» Photo: Béatrice Devènes
L’extérieur ne paie pas forcément de mine, mais l’intérieur vaut le détour. Les 30 000 mètres carrés du nouveau siège social de La Poste, à Berne, sont agencés de manière à donner au personnel envie de travailler. C’est un exemple emblématique de ces nouveaux bureaux ouverts issus d’une réflexion quasi ethnographique sur l’utilisation des espaces de travail. Cette réalisation est aussi l’une des contributions du directeur RH Yves-André Jeandupeux au sein de La Poste Suisse, qu’il quittera en 2017.
Qu’est-ce que vous avez réussi à faire dans vos fonctions de directeur RH, que vous ne pensiez pas pouvoir faire?
Yves-André Jeandupeux: Je pensais qu’on aurait plus de peine à mener à terme la stabilisation de la caisse de pension. C’était un gros défi. Quand je suis arrivé, on était encore en primauté de prestations, avec un taux d’intérêt de 5 %. On est passé au régime de la primauté des cotisations, puis nous avons abaissé à trois reprises le taux de conversion, c’est-à-dire le taux technique corrélé au taux de conversion. Nous sommes aujourd’hui à 5,35 %, alors qu’il était au départ à 6,8 % et le taux d’intérêt est passé de 5 à 1%.
Autre chose?
Le deuxième gros défi a été de créer une nouvelle convention collective. Celle que nous avions datait de quatorze ans, elle était anachronique. En fait, elle émanait directement des règlements de la confédération en matière de gestion du personnel. Tout était défini de manière presque mécanique: les classes de salaire, l’évaluation des fonctions, le mécanisme d’octroi des augmentations, etc. Notre nouvelle CCT est plus simple, plus moderne, plus flexible. Nous avons décidé d’œuvrer avec les partenaires sociaux sur une base de confiance et de négocier en cas de besoin, plutôt que tout prévoir par écrit. Donc, on s’est mis d’accord sur des principes et les détails d’exécution ont été sortis de la CCT. L’employeur dispose ainsi d’une plus grande marge de manœuvre dans la négociation des salaires. Même le système d’arrosoir qui était auparavant utilisé pour fixer les augmentations de salaire a été remplacé par une évaluation de l’employé, en fonction de ses prestations et de ses performances.
Quelle est l’action qui vous a donné le plus de visibilité au sein du personnel?
Hum, très bonne question! (Il réfléchit).
Olivier Aebischer: (qui assiste à l’interview en tant que responsable de la communication): Si vous me permettez, nous avons un sondage annuel qui reflète entre autres la façon dont les employés perçoivent la politique du personnel.
Yves-André Jeandupeux: Oui, c’est vrai. Le taux de participation atteint 80%, ce qui veut dire que nous touchons quatre collaborateurs sur cinq. Je les invite personnellement à participer, et je leur communique ensuite les résultats par vidéo. Je pense que cela contribue à ma visibilité.
Quelle a été votre contribution en matière de philosophie au sein de l’entreprise?
Je me suis beaucoup impliqué en matière d’innovation et de diversité. J’ai piloté l’innovation pendant quatre ans, avant de remettre cette charge à un collègue. La conception de notre nouveau siège central est l’un des résultats de cet investissement. Nous sommes partis de bureaux et de places de travail quasiment individuels pour en arriver à des espaces ouverts qui stimulent la créativité et l’innovation. Le concept a d’abord été implémenté dans l’ancien bâtiment, avant d’être transféré ici, où travaillent plus de 1900 personnes. Le concept a également été repris à Lausanne et à Zurich.
Et pour la diversité?
C’est une valeur qui me tient à cœur. J’ai beaucoup travaillé en faveur de la diversité, qu’elle soit liée à la culture, à l’origine, à la langue, à l’âge, au sexe, à l’orientation sexuelle, à l’ancienneté, au métier, etc. J’ai tenté de sensibiliser les managers pour les aider à intégrer davantage la différence et à inclure les minorités. Je les ai encouragés à se fixer des objectifs en termes de diversité, par exemple en augmentant le pourcentage du personnel francophone, notamment dans les positions d’encadrement.
Comment avez-vous fait concrètement?
J’ai lancé des réseaux informels d’échanges et de travail spécifiquement dédiés à la diversité. Il y en a trois. MOSAIC s’intéresse à la diversité culturelle, RAINBOW à la représentation des lesbiennes, gays, bisexuels et transsexuels au sein de l’entreprise, et MOVE s’occupe des questions qui concernent la conciliation entre le travail, la famille et les loisirs. Ces réseaux proposent par exemple des Sprachtisch, c’est-à-dire des rencontres ouvertes pendant la pause de midi, où l’on peut «manger en français», «manger en allemand» et «même manger en suisse allemand». Ces réseaux sont autonomes, c’est-à-dire que nous les soutenons, mais ils s’organisent à leur manière. Il y a un comité de pilotage faîtier qui les chapeaute et tout le monde se réunit une fois par année pour établir un bilan. La directrice de La Poste est présente, ainsi que des ambassadeurs, dont je fais partie puisque je suis le seul Suisse romand au sein du groupe de direction.
Quel est l’intérêt de la diversité?
Des études montrent que les équipes hétérogènes sont plus performantes et plus innovantes que les équipes homogènes. C’est quelque chose que j’ai pu vérifier par moi-même.
Comment l’expliquez-vous?
La première hypothèse est que dans les équipes hétérogènes, il faut faire un effort supplémentaire pour aller à la rencontre de l’autre. Comme on sort de sa zone de confort, on devient plus pragmatique. On va à l’essentiel. On est moins tenté de chercher à faire des effets de manche, qui ne seraient de toute façon pas compris. En fin de compte, ça change complètement la posture. Il y avait 90 nationalités différentes quand je suis arrivé. Aujourd’hui, il y en a 140. En fait, la diversité est une nécessité. Nous en avons besoin parce que notre clientèle est elle-même très diverse. Cependant, cela suppose des efforts constants et, en termes de management, c’est un vrai défi.
Que feriez-vous différemment, si c’était à refaire?
(Il réfléchit) Je crois que je ne ferais pas grand-chose de différent. Peut-être aurait-on pu aller plus vite dans la transformation de la direction fonctionnelle des unités de management. Nous avons plusieurs bunisess units, avec chacune une entité RH, une entité communication et une entité finances, et encore une coordination fonctionnelle au niveau du groupe. Nous avons décidé de rattacher hiérarchiquement les sous-unités aux responsables communication, finances et personnel du groupe, pour éviter la dilapidation des ressources. C’est un projet dont il était déjà question il y a sept ou huit ans, mais il ne se met vraiment en place que maintenant. Là, je pense qu’on aurait pu gagner du temps.
La digitalisation entraîne également des répercussions sur les métiers de La Poste.
Oui, le métier de base est passé de la formation de secrétaire d’exploitation ou d’un CFC d’employé de commerce à un CFC de vendeur de commerce de détail. Le portefeuille de la formation professionnelle inclut à présent des métiers comme «médiaticien» ou agent de relation clients. Nous avons été l’une des premières entreprises à introduire ces formations initiales reconnues par la Confédération. L’influence de la digitalisation se fait également sentir en interne au niveau de la distribution du courrier, où la progression de l’acheminent d’un colis peut être suivie via Internet ou Smartphone, par exemple.
Les offices de poste vont continuer à disparaître. On parle de 500 à 600 filiales fermées d’ici à 2020, avec des suppressions d’emplois...
Il ne s’agit pas de fermetures, mais de transformations. En fait, nous allons multiplier les points et les voies de contact avec la clientèle pour nous adapter à l’évolution de ses besoins. Ces points d’accès devraient ainsi passer de 3700 à 4000 d’ici à 2020. Il peut s’agir d’un petit commerce, d’une station-service, d’une gare, d’un office du tourisme, d’une commune, mais aussi un automate à colis, par exemple. Si nous fermons un office quelque part, nous ouvrons un point service à proximité. L’avantage pour le client est un gain en flexibilité. Nous allons également continuer à développer parallèlement des services digitaux. Par exemple, les demandes de réacheminement du courrier existent aussi à présent sous forme digitale. Donc, nous multiplions les solutions. Pour cela, nous avons introduit une culture de l’innovation par essai-erreur, avec une unité spécifique et un fonds qui permet d’allouer rapidement une somme de 50 000 francs au développement d’un produit ou d’un service sur la base de l’idée d’un collaborateur. Rétrospectivement, je dirais que nous avons peut-être même insuffisamment anticipé les changements des habitudes des consommateurs.
BIO EXPRESS
Yves-André Jeandupeux est le chef du personnel de La Poste Suisse et membre du groupe de direction depuis septembre 2015. Son département compte environ 400 collaborateurs. En incluant les autres unités, le personnel RH de La Poste Suisse compte plus de 600 personnes.
Après des études de psychologie à l’Université de Lausanne, Yves-André Jeandupeux a commencé sa carrière en tant que conseiller professionnel pour le canton du Jura, avant de travailler comme chef du personnel dans l’administration cantonale neuchâteloise et chez Sky-guide. Il a également travaillé dans un cabinet de conseils aux entreprises.