L'intégration par le travail

L’intégration sur le marché du travail suisse des travailleurs de l’UE/AELE

L’arrivée de travailleurs en provenance de l’Europe communautaire diminue depuis 2016. L’enquête Migration-Mobility donne plusieurs indications sur leur intégration professionnelle.

L’entrée en vigueur de la libre circulation des personnes en 2002, conjuguée avec la bonne santé de l’économie suisse, a conduit à un fort accroissement de la migration de travailleurs en provenance de l’Europe communautaire. Cette situation a encore été amplifiée par la crise financière de 2008, laquelle a touché certains des traditionnels pays d’immigration (Italie et Espagne, notamment) et motivé certains de ses résidents à chercher du travail à l’étranger. Puis, après 2016, les flux en direction de la Suisse ont progressivement diminué.

La mesure des caractéristiques professionnelles des travailleurs arrivés dans le cadre de la libre circulation des personnes, notamment leur intégration sur le marché du travail, représente un élément essentiel des politiques migratoires: il s’agit notamment de vérifier que les flux migratoires correspondent aux besoins de l’économie et que les migrants communautaires soient susceptibles d’obtenir des travaux correspondant à leurs compétences et à leurs aspirations.

Curieusement, si en Suisse l’intégration professionnelle a fait l’objet de nombreux débats et études pour les personnes du domaine de l’asile, elle n’est pas souvent traitée pour celles arrivées en Suisse dans le cadre de la libre circulation des personnes, car la politique migratoire considère, probablement à tort, que l’arrivée en Suisse d’une main-d’œuvre issue des pays de proximité s’accompagne nécessairement d’une intégration réussie.

Caractéristiques favorables à une intégration

Certes, la migration récente en provenance des pays de l’UE/AELE présente des caractéristiques favorables à une intégration professionnelle réussie: elle concerne des travailleurs hautement qualifiés répondant aux besoins des entreprises suisses. Elle fait référence à des personnes dont l’origine culturelle et linguistique est proche des cultures nationales. En outre, la formation professionnelle dans les pays européens est souvent transférable aux caractéristiques du marché du travail suisse. Malgré ces indices d’une intégration réussie, il est probable que certains travailleurs européens peinent à s’insérer sur le marché suisse du travail.

Le recours à une enquête récente permet de vérifier ces aspects et de dresser un tableau général de l’intégration professionnelle des étrangers originaires de l’Europe communautaire. L’enquête Migration-Mobility est organisée tous les deux ans par le centre de compétences en migrations, le nccr on the move. Elle a interrogé en 2018 plus de 7700 étrangers arrivés en Suisse à l’âge adulte, en 2006 ou après, sur leur parcours migratoire, professionnel et familial (1).Cette enquête fournit non seulement une mesure de la participation professionnelle des Européens résidant en Suisse, mais aussi de leur satisfaction concernant la profession et de l’utilisation de leurs compétences.

La profession est le premier motif de l’arrivée en Suisse: plus de deux tiers des personnes originaires de l’Europe communautaire citent ce motif comme l’une des raisons d’immigration en Suisse (hommes 79%, femmes 55%). Cette proportion diminue à 46% pour les femmes mariées. Rares sont les hommes mentionnant des motifs familiaux, ou à la fois des motifs professionnels et familiaux, pour expliquer l’arrivée en Suisse, la plupart viennent en Suisse pour des motifs professionnels uniquement, tandis que pour les femmes mariées, 45% viennent en Suisse uniquement pour des raisons familiales.

L’écart entre hommes et femmes s’explique par l’arrivée en Suisse de couples dont l’homme a obtenu un travail en Suisse, l’épouse étant alors la migrante «secondaire», à qui revient la tâche de s’intégrer à son tour sur le marché du travail. La situation inverse, où la femme est la migrante professionnelle et l’homme son accompagnant, est moins fréquente. Cette situation conduit parfois au sacrifice professionnel de femmes ayant suivi leur conjoint, tout en renonçant à leur carrière professionnelle dans leur pays d’origine.

L’enquête indique aussi que 57% des immigrants européens (68% des hommes et 45% des femmes) ont déjà un contrat de travail ou une garantie d’emploi en Suisse au moment de leur migration. Dans ce contexte, l’insertion professionnelle est facilitée, et s’exprime notamment par une faible proportion de personnes se déclarant au chômage (inférieur à 5%, mais avec des écarts importants entre hommes – 2,6% et femmes – 6,8%).

Un grande majorité de satisfaits

L’intégration structurelle ne se limite pas à la seule insertion sur le marché du travail. Cette intégration est réussie si elle s’accompagne d’une satisfaction par rapport aux activités pratiquées. L’enquête fournit à ce propos une appréciation générale quant au poste de travail. Ainsi, une grande majorité des actifs européens – 79% – déclarent que leur situation professionnelle s’est améliorée comparativement à la situation qui précédait la migration. Quelque 13% déclarent qu’elle est restée la même, et le solde (8%) indique une détérioration. Peu d’écart s’observe quant à l’évaluation de la situation professionnelle des hommes et des femmes. Par contre, le constat d’une amélioration est plus importante chez les jeunes (25-34 ans: 84%) comparativement aux plus âgés (55-64 ans: 64%), lesquels ont probablement plus d’attentes concernant l’activité professionnelle.

En outre, l’utilisation des compétences professionnelles sur le marché du travail est jugée positivement: au total, 64% des Européens actifs déclarent cette utilisation comme totalement adéquate à leur formation et 20% comme plutôt adéquate. Ici, des écarts entre hommes et femmes s’observent: alors que les premiers déclarent pour 67% une adéquation totale entre formation et profession, cette part n’est que de 60% pour les femmes (graphique 1). Des écarts s’observent également en fonction du niveau de formation.

Alors que les personnes du niveau tertiaire déclarent une parfaite adéquation dans 74% des cas, cette situation ne s’observe que pour environ la moitié uniquement de celles de niveau secondaire. Il est probable qu’une partie de ces dernières exercent une activité en Suisse qui ne correspond pas aux compétences professionnelles acquises dans le pays d’origine et qui ne nécessite pas beaucoup de qualification. Le marché du travail suisse se caractérise en effet par une demande de postes faiblement qualifiés (économie domestique, construction, etc.), qui sont occupés par des personnes migrantes, issues de l’Europe du Sud principalement.

Eléments de précarité

Ces indicateurs permettent de conclure que l’intégration professionnelle des immigrants originaires de l’Europe communautaire est globalement bonne et que l’activité professionnelle est évaluée plutôt positivement par ces immigrants.

Cependant, différents éléments de précarité subsistent. Outre la situation pas toujours optimale qui caractérise les femmes, en particulier celles qui ont été entraînées dans un projet migratoire pour des raisons familiales, une utilisation imparfaite des compétences caractérise les personnes n’ayant pas une formation tertiaire. Finalement, l’enquête permet de qualifier certains aspects de l’intégration sur le marché du travail, mais n’aborde pas d’autres questions liées par exemple au travail non déclaré ou à la précarité des contrats de travail de certains groupes de migrants européens. Ainsi, le constat que nous faisons doit être apprécié en tenant compte qu’il s’agit d’une évaluation globale pouvant cacher des réalités plus complexes.

(1) Des informations et résultats complémentaires sur l’enquête peuvent être consultés sur le site www.nccr-onthemove.ch

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Le professeur Philippe Wanner dirige l'Institut de démographie et de socioéconomie à l'Université de Genève.

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