HR Today Research

La bataille des talents ne fait que commencer

Afin d'approfondir le débat sur la pénurie de main-d'oeuvre qualifiée en Suisse, von Rundstedt a mené en 2022 une étude sur le marché du travail, en collaboration avec HR Today. 985 responsables RH de toute la Suisse y ont participé, dont près de la moitié dans le milieu des PME. Tous les résultats sont résumés dans un livre blanc qui a été publié cet automne. Voici quelques réflexions sur ces résultats. 

Le nombre de demandeurs d’emplois a drastiquement diminué. La démographie, les changements structurels dans les entreprises, la digitalisation, la mondialisation, la double crise sanitaire et géopolitique, l’inflation et le recul de la croissance bouleversent les règles du jeu. Et pourtant, pour l’instant, une variable reste encore au vert: le taux de chômage recule. La reprise post-Covid a même été fortement créatrice d’emplois. Dans cette conjoncture, les demandeurs d’emploi sont plus rares, et les entreprises peinent à recruter. Le marché est «pénurique». C’est aujourd’hui au recruteur de convaincre le candidat, car celui-ci est volatile. S’il ne se sent pas épanoui, l’employé change de société, voire d’orientation professionnelle, le marché est porteur. Sur le marché du travail, le rapport de force entre candidats recrutés et recruteurs semble même s’être inversé. C’est donc le moment pour les employeurs de soigner leurs CV!

Le rapport de force s’inverse: les candidats deviennent plus exigeants

La transformation digitale a entraîné une transformation des métiers et des façons de travailler. Les contrats de travail évoluent, les contrats freelances se multiplient et il n’est plus rare de voir un employé qui reçoit le même jour, sa lettre de licenciement accompagnée d’un contrat de mission pour travailler deux jours par semaine pour son employeur. Beaucoup se lancent comme indépendants, et les «slashers» cumulent contrats freelance et emploi à mi-temps. Pour les profils rares, emploi fixe et même statut de cadre ne sont plus une fin en soi. Les candidats veulent de l’autonomie et la génération Z est appétente au risque. Rien de plus normal, la pénurie leur permet de retomber «sur leurs pattes». Si la voie de l’entrepreneuriat ne s’avère pas être la bonne, il sera toujours temps de reprendre un poste salarié!

Parallèlement, la crise du Covid a créé un contexte anxiogène qui a conduit de nombreux candidats à remettre en question leurs priorités. Les mentalités et les attentes des collaborateurs ont évolué. La qualité de vie au travail et, plus globalement, l’équilibre entre vie professionnelle et vie personnelle sont devenus non négociables pour les candidats les plus recherchés. Une exigence de bien-être qui se manifeste dès les premières phases de recrutement: horaires aménageables et télétravail, l’heure est à la flexibilité. Les candidats les plus courtisés peuvent se permettre de négocier et de comparer les avantages proposés: épargne, prime salariale, proximité du lieu de travail, formation continue, programmes santé, espaces de repos... Les sujets ne manquent pas pour attirer de nouveaux talents!

Industrie 5.0: l’humain revient sur le devant de la scène et collabore avec les machines

L’industrie 5.0 ne représente pas une révolution industrielle de plus, mais vient plutôt enrichir les technologies de l’industrie 4.0 en renforçant la collaboration entre les humains et les robots. L’industrie 5.0 vient libérer la créativité et remettre le bien-être humain au centre de l’industrie, pour fusionner la vitesse et l’efficacité des technologies des machines avec l’ingéniosité et le talent des humains. Prenons le cas d’un comptable qui gère les écritures clients et fournisseurs. Passer les écritures devient une tâche réalisée par la machine.

Est-ce que cela veut dire que les comptables vont disparaître? Non. On attendra d’eux qu’ils soient capables d’analyser les données rentrées par la machine, de les interpréter, de proposer des solutions pour diminuer les coûts, pour augmenter les synergies, pour mieux acheter...

La relation machine-humain est une synergie dans laquelle les forces des humains et des machines sont réunies pour accomplir de nouvelles tâches et créer davantage de valeur ajoutée. On inverse le paradigme et au lieu de se demander ce que les employés pourront faire avec les nouvelles technologies, on se demande ce que la technologie pourra faire pour les employés. Bien que les robots soient infatigables et précis, ils n’ont pas la capacité de penser de manière critique et créative de leurs partenaires humains. Les entreprises doivent donc davantage recruter sur la base des compétences transversales (compétences du futur) que sur les compétences techniques qui elles, seront remplacées par les robots. Et remettre l’humain sur le devant de la scène... On a bien vu lors de la crise du Covid que sans les humains, les machines ne fonctionnaient pas!

La quête de sens au cœur des recrutements

Sens, autonomie, responsabilités et flexibilité sont les maîtres mots. Le télétravail est devenu la norme des jeunes. En position de force, ils poussent les entreprises à la généralisation d’un modèle hybride entre travail sur site et à distance. Les aspirations des jeunes générations ne s’arrêtent pas là car, pour beaucoup, l’évolution professionnelle ne se limite pas à une carrière en ligne droite. Elle peut emprunter de nouveaux virages et même se construire en pointillés, au gré des envies et des opportunités. Pour attirer et surtout fidéliser, les entreprises doivent désormais soigner leur «marque employeur» et ne surtout pas en faire un concept creux. La marque employeur véhicule bien plus que l’image de l’entreprise, mais sa culture, sa raison d’être et ses engagements. L’entreprise pour laquelle on s’engage doit savoir créer une relation de confiance faite de bienveillance, d’affinités et de projet de carrière sur la durée.

Le besoin de sens et le sentiment d’utilité sont forts. Après avoir vu leurs parents travailler des heures interminables, délaisser leur famille et les loisirs, se faire licencier parfois plusieurs fois, les jeunes se recentrent. Ils veulent plus de qualité pour eux et se remettent au centre de l’échiquier. Dans certains métiers (événementiel, hôtellerie, restauration) la crise du Covid a permis aux employés de redécouvrir le plaisir de la famille et des loisirs. Beaucoup se sont réorientés pour ne pas revenir sur des métiers peu valorisés, pénibles et peu rémunérés. Les mouvements liés à la prise de conscience de la menace climatique (les Fridays for Future à Genève et à Zurich) ont un impact fort chez les jeunes diplômés à la recherche d’un premier emploi qui veulent avoir un impact environnemental. Les mouvements liés aux questions de la diversité, de l’équité, de l’inclusion prennent également de l’ampleur et la question de l’impact sociétal fait son chemin.

Les entreprises doivent réapprendre à se vendre

Pour tirer son épingle du jeu, la marque employeur interne et externe est devenue indispensable pour attirer. De la petite start-up à la grande firme internationale, aujourd’hui, il faut réapprendre à se vendre, sans mentir pour autant. Bien communiquer, c’est parler en vérité (...) il n’y a pas de formule magique. Pour compenser leurs difficultés de recrutement, les entreprises anticipent les attentes et s’adaptent aux usages de leurs employés. Certaines développent des stratégies RSE, favorisent le co-voiturage, facilitent l’accès au télétravail, aménagent des espaces de co-working, et renforcent leurs valeurs – le bien-être des employés est devenu une notion clé. Comme dans une rencontre amoureuse, la séduction doit maintenant opérer des deux côtés: la bataille des talents ne fait que commencer!

Télécharger le livre blanc "Pénurie de main d'oeuvre qualifiée en Suisse" (Format PDF)

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Texte: Anne Donou

Anne Donou est Directrice Suisse romande chez von Rundstedt & Partner Suisse SA.

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