Peut-on tirer un parallèle avec les liens faibles. Ces personnes qui passent inaperçus et dont on apprend finalement beaucoup...
GM: Oui. Nous avons tendance à capitaliser sur la famille et les amis. Nous oublions par contre tous ces liens faibles autour de nous, par peur ou méconnaissance de l’autre. Le sociologue américain Mark Granovetter a développé toute une réflexion autour de ces liens faibles. Il a montré que ces contacts peuvent nous apporter énormément, à condition de les écouter.
L’objectif d’une vie est de rendre tangibles et d’incarner dans la matière nos idées...
GM: Oui, nous avons tous beaucoup d’idées. Mais si ces idées ne s’incarnent pas dans la matière, ne deviennent pas des projets ou des actions, il manquera toujours quelque chose. L’homme est fait pour créer. C’est pour cela qu’on a appelé Dieu le Créateur, car nous l’avons fait à notre image (sourire). La créativité est une façon d’accomplir son destin.
Il faut aussi «savoir prendre le temps d’être en recul par rapport à un objectif», écrivez-vous...
GM: Plus qu’en recul. Si vous prenez du recul par rapport à un mur, vous restez devant un mur. Dans le processus créatif, c’est la qualité du questionnement qui vous permettra de prendre de la hauteur. Et en prenant de la hauteur, vous allez voir apparaître les chemins de traverse et les solutions nouvelles. Il faut ouvrir le champ des possibles pour ensuite, collectivement, voir quelle est la meilleure solution.
La qualité du questionnement est déterminante, dites-vous. Vous conseillez d’aborder le réseau de la manière suivante: «Connaîtriez-vous quelqu’un qui...?»
GM: Oui, car si vous demandez: «Peux-tu m’aider?», la réponse sera binaire, «oui» ou «non». Tandis que: «Connaîtrais-tu quelqu’un qui...?», ouvre le champ des possibles. Chaque adulte a 150 à 250 contacts à partager.
Selon vous, cela prend deux ans pour construire un réseau...
GM: Oui. Quand on démarre dans une nouvelle activité, c’est le temps qu’il faut. Il ne faut donc pas sous-estimer un changement de carrière. C’est aussi pour cela que votre réseau doit être divers, avec des gens de compétences et de milieux différents.
«On achète d’abord une personne, puis un produit ou un service», écrivez-vous...
GM: Oui, on achète d’abord la personne. C’est donc vraiment très important de savoir se connecter à l’autre. Mais créer du lien ne veut pas dire «vendre». L’intention doit être de s’intéresser à l’autre, de comprendre ses besoins, de comprendre qui il est et le regard qu’il porte sur les autres.
Oser créer un lien d’intimité avec l’autre...
GM: Tout à fait. Lors une réunion de réseautage, si vous abordez les gens en leur disant que vous chercher du travail ou que vous vendez tel ou tel service, vous allez leur consommer de l’énergie. Il faut commencer par permettre la rencontre.
Parlons enfin de la fonction RH, quels conseils leur donneriez-vous pour stimuler cette créativité en entreprise?
MS: Très souvent en entreprise, les rapports entre les personnes sont soumis à la compétition, à la méfiance et aux guerres de positions. Cette compétition génère de la non-communication, des peurs et de la non-confiance. Cette situation étouffe la créativité des gens. Du coup, l’entreprise se prive d’un potentiel gigantesque. Le challenge de ces prochaines années sera d’arriver à créer un climat où les personnes ont la possibilité de pouvoir se dire ce qu’ils pensent, de pouvoir créer et de ne pas se sentir ni jugé, ni d’avoir la sensation de prendre des risques s’ils prennent des initiatives.
GM: Cette question a déjà fait l’objet de nombreuses études. Qu’est-ce qui fait le succès des entreprises et des projets? C’est précisément de créer un espace non-jugeant et bienveillant où chacun a une estime de soi et est en confiance pour tout oser dire et exprimer. Mais cela ne veut pas dire qu’on fait n’importe quoi. C’est extrêmement concret, stimulant et positif, et cela nous permet de nous dépasser dans la joie. Le travail ne doit pas être souffrance. Cela doit être une joie de se découvrir soi-même et de découvrir l’autre.
MS: La créativité nécessite une forme de désorganisation, voire une forme d’anarchie contrôlée. Et ça, l’entreprise en a peur. Mais l’être humain n’est pas une machine. Il faudra bien un jour en prendre conscience.
* Geneviève Morand et Michel Sintes: «L’art de développer son réseau relationnel», éd. Jouvence, 2014, 126 pages
Les intervenants
Geneviève Morand est une pionnière des réseaux sociaux, des cercles d’entraide et des espaces de coworking.
Michel Sintes est le co-inventeur du mouvement de la montre Daytona de Rolex. Il est spécialiste de la créativité.