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«La confrontation de plusieurs perspectives permet de mieux choisir un leader»
Marie Noble est HR Manager auprès de la multinationale DuPont de Nemours International à Genève. Elle a effectué un travail de mémoire mené sous la direction du Prof. John Antonakis dans le cadre de son Master of Advanced Studies en Management, Ressources Humaines et Carrières des Universités de Genève, Lausanne, Neuchâtel et Fribourg.
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«Notre cerveau est sujet à de nombreux biais d’évaluation, comme celui de la première impression. Il ne nous permet donc pas de toujours prendre des décisions sur des critères objectifs. Ceci est un fait et nous sommes tous victimes de cette limitation. Il est important d’en être conscient et de mettre en place des garde-fous pour en minimiser les effets.»
Vous avez consacré votre mémoire aux critères retenus lors de la sélection d’un manager dans une grande entreprise basée en Suisse. Quel est le résultat majeur de votre recherche?
Marie Noble: Cette étude confirme que nous sommes tous influencés par l’apparence des individus qui nous entourent et que donc, si on ne fait pas attention, nous prenons des décisions partiellement subjectives en matière de sélection des managers. Plus spécifiquement, l’étude porte sur une population de 100 managers et montre que les individus qui accèdent à des postes de management ne sont pas significativement plus intelligents que la population générale. Quand on sait que l’intelligence est l’un des prédicteurs confirmés de la performance au travail et donc du leadership, ceci est surprenant. Mais ce qui est encore plus surprenant, c’est que l’ascension hiérarchique des managers est influencée par leur intelligence, ce qui semble logique, mais également par leur apparence faciale! Pour mettre ce dernier point en évidence, nous avons photographié les managers qui ont participé à l’étude. Nous avons ensuite demandé à des étudiants d’un EMBA, qui n’ont jamais côtoyé ces managers, d’évaluer l’apparente «capacité de leadership» des managers à partir d’une photographie noir/blanc de leur visage. Cette apparente capacité de leadership permet de prédire statistiquement le niveau hiérarchique des managers! En d’autres termes, les individus qui ont l’air d’avoir des bonnes capacités de leadership gravissent plus rapidement les échelons que les autres.
Vous montrez donc que la première impression, liée à l’apparence, est souvent décisive. Est-ce une bonne chose?
L’étude confirme effectivement l’importance de la première impression (évaluation de la photo) dans l’ascension hiérarchique des managers. Notre cerveau est sujet à de nombreux biais d’évaluation, comme celui de la première impression. Il ne nous permet donc pas de toujours prendre des décisions sur des critères objectifs. Ceci est un fait et nous sommes tous victimes de cette limitation. A mon avis, la question n’est pas de savoir si c’est une bonne chose ou non, mais plutôt d’en être conscient et de mettre en place des garde-fous pour minimiser les effets des biais d’évaluation liés à notre condition d’être humain.
Avec le recul, quels conseils donneriez-vous à un RH à qui on aurait demandé de créer un pool de talents?
L’étude a également analysé le processus de sélection des talents dans l’entreprise et a mis en évidence que les individus sélectionnés dans le pool étaient significativement plus intelligents que la population des managers en général. Par ailleurs, l’apparence physique n’influençait pas cette sélection. Il semblerait donc que le processus d’identification des talents dans cette entreprise permette de contrôler l’influence de la première impression. Nous avons donc tenté d’identifier les caractéristiques qui différencient le processus d’identification des talents de celui de la sélection d’un manager de façon générale. Il ressort de cette comparaison que pour minimiser les biais d’évaluation, un processus d’identification des talents doit contenir les trois aspects suivants: 1. L’identification des critères objectifs de sélection (expériences, connaissances techniques, etc.) ainsi que les données permettant de les mesurer objectivement. 2. L’utilisation de données psychométriques (intelligence, personnalité, etc.) en fonction des besoins du poste. 3. La confrontation de plusieurs perspectives sur les critères plus difficiles à mesurer objectivement. Pour ce dernier point, plus le panel d’évaluateurs est grand et diversifié (démographiquement mais aussi au niveau des compétences et domaines d’expertise), plus l’évaluation sera objective. C’est probablement ce dernier point qui permet au processus de sélection des talents de l’entreprise en question de ne pas être biaisé par l’apparence des individus.