La culture d'entreprise en mutation

La culture d’entreprise, ce lien qui unit et sépare

La culture rassemble et sépare: elle est le liant essentiel entre les membres d’une organisation, mais elle les empêche d’avoir une bonne compréhension de ceux qui ne la partagent pas. Zoom sur ce côté ambigu de la culture d’entreprise.

Il y a quelques années de cela, j’ai appelé ma compagnie de téléphone afin de comprendre pourquoi je ne recevais pas une facture détaillée pour mon portable, tout comme celle que je recevais pour mon fixe. L’opératrice m’a répondu que si je voulais recevoir une facture détaillée, il fallait en faire la demande expresse.

Elle m’expliqua que ma ligne fixe était gérée par une autre division, alors que ma demande concernait la division de téléphonie mobile. En tant que client - et donc externe à l’entreprise - cette distinction entre les pratiques des deux divisions m’importait peu.

Le point de vue de l’opératrice était tout autre. Là où je voyais des services quasi identiques, elle voyait des services très différents. Et là où je voyais une même entreprise, elle voyait deux divisions indépendantes. Pour elle, ces modalités étaient «normales», et pour moi, elles n’étaient pas compréhensibles.

«Nous avons toujours fait comme ça»

Quand une pratique est ressentie comme «normale» dans une organisation, c’est une bonne indication que la culture d’entreprise est à l’œuvre. D’autres indicateurs de cette normalité sont des expressions comme: «C’est comme ça chez nous», «Nous avons toujours fait comme ça», «Chez nous c’est différent».

Une définition alternative d’une culture d’entreprise serait donc ce que les membres d’une organisation trouvent normal, évident, qui va de soi, qui n’a pas besoin d’être dit, et que des observateurs externes trouvent contraignant, bizarre, voire saugrenu.

Imaginez que vous indiquiez à votre voisin que vous allez à la Migros. Vous n’allez pas lui expliquer ce qu’est la Migros! Si on remplaçait votre voisin par un visiteur étranger, vous seriez dans la position étrange de devoir lui expliquer ce qu’est ce magasin, en quoi il est différent (absence d’alcools, de cigarettes) et même peut-être lui parler de Gottlieb Duttweiler. En Suisse romande, on va toujours faire des courses à la «Placette» même si ce magasin s’appelle Manor depuis quinze ans.

Ce qui est vrai pour un pays l’est tout autant à l’intérieur d’une organisation. On ne va pas s’expliquer les noms, rôles et responsabilités de chaque département à chaque fois qu’on se parle. Cela permet de collaborer de manière efficace et efficiente. On ne les explicite que pour des nouveaux venus ou des externes.

Les différences de culture empêchent l’ouverture à l’autre

Si nous trouvons qu’un certain état de fait est «normal» dans notre entreprise, nous aurons tendance à être insensibles aux personnes qui ne trouvent pas cela «normal». Si, par exemple, dans notre entreprise le travail à domicile est une exception, nous aurons tendance à ne pas être réceptifs ou à trouver qu’il est juste de refuser des requêtes de collaborateurs pour faire du télétravail.

Le psychiatre Robin Skynner (1) explique que toute entreprise, comme toute famille, fonctionne avec un certain nombre de tabous que ses membres trouvent parfaitement normaux et justes, et considèrent que les tabous des autres sont de moindre valeur, voire ridicules.

Ce qui est vrai pour l’organisation prise dans son ensemble l’est tout autant pour ses parties. Ainsi, chaque département, chaque groupe de personnes à l’intérieur de l’entreprise maintient sa propre culture, rendant difficile la compréhension mutuelle.

Qui d’entre nous ne préfère pas dîner avec ses collègues de bureau plutôt qu’avec ceux du bureau d’à côté? Il en résulte que chaque communauté (informaticiens, vendeurs, RH, etc.) se construit indépendamment des autres. L’image des bateaux où tout le monde rame dans la même direction est une illusion.

Difficile de changer

La tentation est grande de vouloir changer la culture de l’autre pour faire prévaloir son propre point de vue. En d’autres termes, j’aurais bien aimé changer l’avis de l’opératrice de la compagnie de téléphone, de même qu’elle aurait probablement apprécié changer le mien.

Qui fera le premier pas? Changer de culture revient à modifier, peu ou prou, son identité, un défi non négligeable. Tant que l’organisation existe, elle maintient sa culture plus ou moins inchangée.

Le premier pas que l’on peut faire sur le chemin d’un dialogue constructif est de prendre conscience que c’est une différence de culture qui nous sépare. Il est illusoire d’espérer une compréhension totale. On peut par contre accepter que le point de vue de l’autre est aussi valide que le nôtre.

(1) Robin Skynner and John Cleese, Life and How to Survive It, 1993.

commenter 0 commentaires HR Cosmos
Texte: Gil Regev

Gil Regev est chercheur au laboratoire de modélisation systémique à l’École polytechnique fédérale de Lausanne et consultant en conduite du changement pour le cabinet de conseil Itecor.

Plus d'articles de Gil Regev

Cela peut aussi vous intéresser