Les situations les plus risquées du management interculturel
Spécialiste européen du management interculturel, le professeur allemand Christophe Barmeyer décrypte pour HR Today quatre situations les plus classiques du management interculturel. Ces exemples sont tirés de son expérience de chercheur et de consultant. Il donne aussi ses conseils pour réussir à faire travailler ensemble les équipes multiculturelles.
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Cela commence en général par un processus de fusion acquisition. L'objectif étant de réduire les coûts tout en ouvrant de nouveaux marchés et donc de maximiser les bénéfices. Un projet relativement simple à esquisser quand on siège au conseil d'administration. Sur le terrain en revanche, les choses se compliquent. Et ce n'est pas un hasard si une fusion internationale sur deux est un échec. «Mettre en synergie les outils de productions et la gestion des coûts est relativement aisé. C'est quand vous vous attaquez aux problèmes humains que tout se complique», note Christophe Barmeyer, professeur en gestion interculturelle aux Universités de Passau (Allemagne) et de Strasbourg. Auteur de quelques livres très en vue sur le sujet, il intervient régulièrement à HEC Lausanne et à l'Université de Fribourg (en collaboration avec le professeur Eric Davoine). «La diversité culturelle est une vraie source de richesse, mais malheureusement souvent aussi de malentendus. Qui peuvent coûter très chers», poursuit Christophe Barmeyer. «Les spécialistes du marketing savent bien que certaines marques ne fonctionnent pas de la même manière d'un pays à un autre. C'est pareil pour la GRH. Une méthode développée en Amérique du Nord risque d'être mal perçue en dehors de son contexte». Quatre situations à haut risque.
Enquêtes de satisfaction: le risque des réponses biaisées
Une multinationale décide de sonder ses collaborateurs sur leur perception du climat social, des conditions de travail et de la culture d'entreprise. Les retours sont très inégaux. Les collaborateurs des pays asiatiques sont enchantés. A l'inverse, les collaborateurs du secteur Europe (Allemagne) se montrent très critiques. Comment expliquer ce décalage? «C'était un problème de culture. Les Asiatiques n'ont pas l'habitude de donner du feed-back à leur maison mère, encore moins par écrit. Ils ont énorme respect de la hiérarchie. Les questionnaires ont donc été truffés de marques de respect et de signes de politesse. Les Allemands en revanche se plaignent volontiers. Ils ont un style de communication direct, clair et factuel. Et ne se sont pas gênés de mettre leurs critiques par écrit, sans pour autant y attribuer une grande importance», explique Christophe Barmeyer. Ses conseils: «Le mieux est d'intégrer plusieurs nationalités dans l'équipe en charge d'élaborer le questionnaire pour apporter une multitude de perspectives et de suggestions. La manière de présenter l'enquête aux collaborateurs doit également s'effectuer avec doigté. Cela sera plutôt lors d'une réunion en Asie et plutôt par mail dans les pays anglo-saxons.»
Leadership et diversité: adapter son style de management
Cheffe marketing d'une société franco-allemande*, elle dirige une équipe composée de deux Allemandes et d'une Française. Au moment de l'entretien annuel, elle découvre un réel sentiment de frustration chez sa collaboratrice française. Qui se plaint de surcharges de travail et regrette un manque de repères et d'encadrement. Au contraire, les deux Allemandes se disent plutôt satisfaites de l'année écoulée. «Ce décalage s'explique par leur interprétation du leadership. En Allemagne, un leader est reconnu avant tout pour ses compétences techniques. Il délègue beaucoup et attend de ses collaborateurs qu'ils prennent leurs responsabilités. En France, on perçoit plutôt le leadership comme un attribut de la personne. Le style de management est plus personnalisé et les Français attendent de leur chef qu'il coordonne les actions et établissent des zones d'autorité». Conseils: «Le bon leader doit donc apprendre à sentir les différences culturelles et ne pas tout mettre sur le dos de la paresse ou de l'incompétence. Puis il faut adapter son style de management.»
Une culture d'entreprise forte ne supprime pas les barrières
Une multinationale américaine décide d'implémenter un nouveau code de conduite, couplé avec une charte éthique. Très américains dans son inspiration, les deux documents décrivent dans le détail la bonne manière de procéder et de se comporter dans l'organisation. Le règlement exige également que les collaborateurs dénoncent les collègues au comportement déviant. Mais si le «whistleblowing» (dénoncer un collègue) est fréquent et accepté en Amérique du Nord, il a été très mal perçu par les collaborateurs français du groupe. «En France la mémoire de l'occupation allemande et du gouvernement de Vichy durant la Seconde guerre mondiale est encore très vive. Impossible dans ce contexte culturel spécifique de s'aligner sur la culture d'entreprise imposée de l'extérieur», explique Christophe Barmeyer. Conseils: «C'est tout à fait possible de développer une nouvelle culture d'entreprise, à condition de laisser certaines zones de libertés, là où ça fait sens».
Construire un lien de confiance dans les équipes virtuelles
Avec les possibilités offertes par les nouvelles technologies, il est de plus en plus fréquent de faire appel à des compétences et des ressources géographiquement dispersées. Ce n'est donc pas rare qu'une équipe virtuelle planche sur le même projet entre la Suisse, l'Italie, les Etats-Unis et l'Inde. «La grande difficulté est d'établir des relations de confiance entre les membres de l'équipe pourtant éloignés entre eux géographiquement. Dans les pays nordiques ou les métiers très techniques, la confiance vient avec la compétence et le savoir-faire. L'atteinte de l'objectif et l'accomplissement de la tâche priment sur la qualité des relations humaines. Dans les pays du Sud ou dans les secteurs du marketing et des ressources humaines, le facteur humain est beaucoup plus important pour établir la confiance. Et on a souvent constaté des malentendus. En Amérique du Sud ou en Asie, les gens ne se sentent pas obligés de répondre tout de suite à un mail. Alors que ce silence peut être interprété comme un manque de respect et de confiance en Europe». Conseils : «Même si cela coûte cher, nous conseillons d'établir des contacts personnels au début d'un projet. Cela permet d'établir cette rela-tion de confiance et de comprendre la culture du travail des autres membres de l'équipe».
Christophe Barmeyer conclut: «Il ne faut pas seulement considérer l'interculturel comme un facteur de malentendu et de problèmes. L'interculturel est en même temps une grande ressource qui peut apporter aux acteurs une richesse personnelle et aux organisations une richesse financière. Avec le professeur Eric Davoine, nous avons mené récemment une étude sur la perception de leadership des managers dans une entreprise européenne. Il s'avère que les managers ont développé une «intelligence interculturelle» en appréciant consciemment cette diversité comme le souligne, à titre d'exemple, la citation d'un manager: ‹Ce qui me plaît c'est d'être dans l'interculturalité et de se remettre en cause en permanence, car parfois on a des certitudes... et puis tout d'un coup on nous dit ‘non ceci ne peut pas marcher'. Cela est finalement assez stimulant. Cela nous oblige à trouver une troisième voie et à quelque part trouver la créativité›. L'essentiel est d'accepter les différentes perceptions, approches, méthodes de pensées et de travail pour ensuite des combiner de façon intelligente».
*Ce cas pratique est tiré de Christophe Barmeyer: «Rapprochements des entreprises et rapprochements des hommes», in Formation des élites en France et en Allemagne, sous la direction de Hervé Joly, éd. CIRAC, 2005, pp. 179-194.
L'intervenant
Christophe Barmeyer est professeur de communication interculturelle et de GRH inernational à l'Université de Passau (Allemagne). Auteur de plusieurs livres sur le management de la diversité, il est également consultant en management interculturel.