Conseils pratiques

La fonction achat: trait d'union entre la R&D et les fournisseurs

La fonction achat a beaucoup évolué ces 15 dernières années. Réputés durs en affaires et charismatiques, les responsables achats doivent aujourd’hui intégrer plusieurs partenaires internes et externes dans la chaîne de création de valeur. Leurs compétences relationnelles deviennent de plus en plus recherchées.

L’image du responsable achat, dur en affaires, négociateur hors pair et insensible aux conséquences de son comportement cassant, a sans doute vécu. Fonction clé de l’entreprise, le métier d’acheteur a beaucoup évolué depuis une quinzaine d’années. Ces changements sont le reflet des bouleversements qu’ont connu les départements recherche & développement (R&D), logistique et production, durant la même période. Les nouvelles technologies permettent désormais le travail en réseau très en amont dans le processus d’innovation.

Le cycle de vie des produits a baissé considérablement: quasiment plus de stocks et une production en flux tendu. Pour réduire les coûts, les entreprises ont tendance à se concentrer sur leur cœur de métier, ce qui implique beaucoup plus de sous-traitances et donc de partenariats avec des fournisseurs locaux ou internationaux. Selon Benoît Lemonnier, responsable suisse romand de l’association professionnelle pour les achats et le supply management (procure.ch), «entre 60 et 90 pour cent d’un produit est acheté à un sous-traitant». Il tire ces chiffres d’une récente étude sur les achats dans le secteur industriel suisse. Le secteur automobile est emblématique de cette évolution.

«Plus de sourcing de l’information»

En parallèle, l’accès au marché des fournisseurs est devenu beaucoup plus aisé. La puissance d’Internet en est la cause principale. «Les benchmarkings entre sous-traitants sont plus ouverts. Pour la fonction achat, cela implique moins de capacités transactionnelles (négociation pure et dure) et plus de sourcing de l’information», analyse Benoît Lemonnier. Alors que l’acheteur était habituellement un personnage puissant, maître incontesté du porte-monnaie, il doit aujourd’hui s’ouvrir aux autres départements de l’entreprise et tisser des liens avec les sous-traitants qui entourent son organisation. Car les fournisseurs externes interviennent de plus en plus tôt dans le processus d’innovation. Ils amènent avec eux des innovations «produits» mais aussi des réductions de coûts qui se répercuteront sur le prix final du produit ou du service. La fonction achat est donc devenue un trait d’union entre la R&D et les fournisseurs.

Ces changements impactent fortement la collaboration avec le département des ressources humaines. Benoît Lemonnier: «Avant, on recrutait des profils très autoritaires et charismatiques, des «costs killers» qui étaient souvent dans l’opposition. Aujourd’hui, on recherche des acheteurs-acteurs, capables de gérer la communication et d’interagir avec l’ensemble des départements de l’entreprise. Ils doivent comprendre leurs besoins pour ensuite aller «vendre» ces attentes aux fournisseurs». Les compétences recherchées sont l’ouverture, la capacité d’écoute et d’analyse. Le responsable achat doit être en mesure de communiquer ces besoins aux sous-traitants afin de les convaincre de travailler avec eux et de faire de cette collaboration une priorité.

A noter que les sujets qui lient un DRH à la fonction achat concernent aussi à l’acquisition de compétences externes (coaching, conseils RH, aide au recrutement). Ces achats coûtent parfois très chers et peuvent être source de tensions entre le DRH et le responsable achat. Le modèle du portage salarial permet ici des réductions de charges intéressantes. Pour mémoire, le portage salarial est un système triangulaire entre le consultant, l’entreprise et une société de portage qui pratique des marges fixes (en général 5 pour cent du prix du mandat).

La fonction achat en bref

La fonction achat a une importance stratégique sur- tout dans l’industrie et la grande distribution. Communément appelée «les achats», cette fonction doit procurer au meilleur prix les matériaux, équipements, fournitures et prestations de savoir-faire extérieurs nécessaires à la réalisation opérationnelle. Les achats directs concernent tout ce qui sert directement à la production d’un bien ou d’un service. Les achats indirects servent au fonctionnement de l’entreprise (matériel de bureau ou les prestations d’un avocat par exemple). L’électricité est un achat direct et indirect.

Formations: montée en puissance des Masters

Le brevet et le diplôme fédéral de «responsable achat» disposent d’une bonne notoriété en Suisse. Mais le nombre de ces diplômés est resté stable depuis 1995, malgré l’augmentation de la population suisse de 7 à 8 millions. Benoît Lemonnier explique cette stagnation des brevets et diplômes fédéraux par une importante immigration qualifiée. «On évolue vers des formations qui sont de plus en plus académiques, avec l’arrivée de nombreux Bachelors et Masters d’Allemagne, de France et d’Italie. Cette globalisation des esprits s’accompagne d’une montée en puissance des MBA, notamment les filières MBA de l’EPFZ et de l’EPFL. Conséquence dans les pratiques de recrutement: les filières brevet et diplôme fédéraux entrent de moins en moins en ligne de compte. «Comme il n’existe pas de filière Master en Suisse, procure.ch a conclu un partenariat avec l’Ecole de management de Grenoble qui reconnaît désormais le brevet fédéral (responsable achat) et permet d’accéder au Master en validant 7 modules (coût 15'000 euros).»

Benoît Lemonnier

Der Benoît Lemonnier est le responsable suisse romand de procure.ch, l’association professionnelle pour les achats et le supply management. Titulaire d’un Master en ventes de l’Université de Montpellier, il a travaillé dans la vente et le marketing dans le secteur de la grande distribution en Suisse. En 2009, il a créé la société de conseil Cosita Sàrl.

«La fonction achat comprend plusieurs métiers distincts» (trois questions à Henri Cortat, Supply Chain Manager chez Tornos)

Ce que les RH doivent apprendre de votre métier?

Henri Cortat: Les RH devraient tout d’abord s’informer sur les activités couvertes par la fonction achats dans sa société. Peu de DRH connaissent les réalités d’un acheteur professionnel et les activités/responsabilités qu’il doit assumer. Cette situation est probablement due au fait que la fonction achats comprend plusieurs métiers distincts, tels que approvisionneurs et acheteurs. Ces deux métiers nécessitent des compétences fonda- mentalement différentes et donc des profils différents. Pour un acheteur, il est par exemple tout à fait possible d’intégrer une part variable dans son contrat de travail liée au principe des MBO (Management By Objectifs). De même, les «soft skills» sont tout aussi importantes pour un acheteur que pour un vendeur. Il n’est d’ailleurs pas rare qu’un acheteur devienne vendeur et inversement.

Quelles prestations RH vous sont les plus importantes?

L’aide au recrutement et la formation. Lors d’un recrutement, les RH peuvent aider le manager à définir le profil idéal du candidat en posant les bonnes questions. Par leur connaissance du marché, les RH permettront de mieux cibler la recherche. A la fin du processus, les RH pratiquent une présélection des dossiers de candidatures et ont une réelle valeur ajoutée dans l’aide au choix final. En ce qui concerne la formation, nous attendons des RH qu’ils soient proactifs. Pour les raisons mentionnées ci-dessus, le métier d’acheteur a fortement évolué ces dernières années et continuera d’évoluer. La formation de base au métier d’acheteur et la formation continue sont donc des conditions indispensables.

Si vous deviez recruter un responsable achat aujourd’hui, quel serait son profil?

Comme je l’ai déjà dit, chaque entreprise nécessite un profil spécifique au poste de responsable achats. Je ne peux donc pas vous décrire un profil général. On peut cependant identifier quelques compétences essentielles, soit:

• Une formation de base correspondant à l’activité principale de l’entreprise (industrielle, distribution, services, etc.).
• Une formation complémentaire dans le domaine des achats (responsable achats)
• Des compétences linguistiques (minimum trois langues)
• Des compétences de négociateur
• Un esprit créatif dans la recherche de solutions (innovateur)
• Excellent communicateur en interne tout comme en externe
• Des compétences relationnelles (soft skills) telles que le travail en équipe
• Capacité à fédérer les différents acteurs de l’entreprise et des partenaires externes (fournisseurs)
• Non seulement un esprit ouvert au changement mais aussi moteur de changements
• Une certaine mobilité (de 20 à 60 pourcent de son temps de travail)

 

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Marc Benninger est le rédacteur en chef de la version française de HR Today depuis 2006.

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