Conseils pratiques

«La formation professionnelle garde la cote en Suisse»

Nadia Lamamra, Professeure à la Haute École Fédérale en formation professionnelle (HEFP), vient de publier un ouvrage collectif sur la formation professionnelle en Europe.

Comment la pandémie a-t-elle impacté la recherche de places d’apprentissage?

Nadia Lamamra: Globalement, la pandémie complexifie encore la transition école apprentissage, une étape déjà délicate en temps normal. Selon l’étude TREE (Transition école – emploi) près de 25% des jeunes ne font pas une transition directe après la sortie de l’école obligatoire. Nombre d’entre elles et eux passent par des structures dites de transition, leur permettant d’affiner et de mûrir un choix d’orientation et de se préparer à entrer sur le marché des places d’apprentissage. Rappelons que les adolescent·e·s ne sont pas à égalité face à la transition vers le marché du travail: leur milieu d’origine (situation migratoire, statut, situation socio-économique), leur parcours scolaire (filière suivie, difficultés, redoublements), mais aussi leur genre ont un impact sur ce passage. La pandémie les a encore fragilisé·e·s lors de cette étape.

Cette situation a-t-elle influencé le choix des secteurs d’activité?

Oui. Depuis 2020, ce choix est entravé par des difficultés à trouver des places de stage dans certains secteurs (pas ou peu de stages, stages annulés, absence de réponses de la part des entreprises) et par l’annulation et le report de la plupart des salons des métiers. Cela s’est traduit l’an dernier par une réorientation d’un certain nombre de jeunes en termes de secteur d’activité, mais aussi de filières. Ainsi, en mars 2021, le baromètre des transitions (gfs bern) indiquait un léger déplacement vers les études générales, les jeunes semblant privilégier la poursuite d’études à une entrée sur un marché du travail incertain. Dans les chiffres d’août 2021, le même baromètre soulignait qu’un tiers des jeunes questionné·e·s considérait que la pandémie avait rendu leur orientation plus difficile.

Comment se porte la voie duale en Suisse dans son ensemble?

Globalement, la formation professionnelle garde la cote en Suisse, mais cela diffère selon les régions et les cantons latins privilégient davantage les études générales vers un diplôme ou une maturité. Il faudra voir si le léger déplacement vers les études générales constaté en 2021 se poursuit, les études générales devenant un rempart à l’incertitude du marché du travail ou tout du moins un sas d’attente permettant de reporter la question du choix professionnel. Relevons également que le choix de la formation professionnelle reste plus masculine, les jeunes femmes privilégiant les filières générales. Pour l’heure, malgré la situation, un nombre important de places d’apprentissage a pu être maintenu, le dual reste donc la voie majoritairement empruntée en Suisse.

Vous venez de publier un ouvrage sur les finalités et les usages de la formation professionnelle en Suisse. Quelles sont ces différentes finalités?

La première est une finalité économique, celle de produire de futur·e·s travailleurs et travailleuses qualifié·e·s, mais souvent aussi des apprenti·e·s déjà rentables, de les former à un métier et par là de favoriser un accès au marché du travail. Cela signifie que les préoccupations sont centrées sur la qualification professionnelle, le développement de compétences et leur adéquation aux besoins du marché du travail. S’ajoutent à cela des finalités politiques. En premier lieu, les politiques éducatives qui visent à permettre à un maximum de jeunes d’obtenir un diplôme (le secondaire II en Suisse, le baccalauréat en France). Cet enjeu est particulièrement saillant dans le contexte actuel de compétition internationale dans le champ éducatif (classements PISA). Cet objectif se double d’une volonté d’intégration des élèves les plus en difficulté dans une voie de formation. Dans le prolongement de cet objectif, les politiques d’insertion voient la formation professionnelle comme un outil face au chômage ou aux situations de désinsertion. Enfin, d’autres finalités plus indirectes s’ajoutent, que ce soit la formation professionnelle comme lieu d’acculturation au travail, de socialisation aux normes professionnelles et de reproduction d’un certain ordre social, ou encore des finalités pédagogiques, autour du développement de pédagogies et de didactiques spécifiques.

Les acteurs professionnels font aussi différents usages de leur diplôme. Quels sont-ils?

Les diplômes sont des objets sociaux «vivants». S’ils attestent en premier lieu d’une formation achevée (diplôme ou certificat de fin d’études), d’une qualification acquise (CFC, CAP), ils sont principalement reconnus pour leur valeur d’échange, soit la négociation qu’ils permettent sur le marché du travail (en termes de statut d’emploi, de rémunération). S’ajoute à cela une valeur symbolique, soit ce que les personnes donnent comme sens à leurs diplômes. Ainsi, pour les acteurs, les diplômes attestent de la qualification obtenue, en termes de reconnaissance d’un savoir-faire, d’une professionnalité, mais ils sont parfois plus que cela, notamment le lieu de réparation d’un passé scolaire difficile. Ils témoignent également des parcours de formation, d’une mobilité scolaire, parfois sociale, qu’ils soient atypiques ou transgressifs. Ainsi, un diplôme tel que le CAP en France, aujourd’hui relégué dans la hiérarchie des diplômes, a été à une époque le diplôme de l’élite ouvrière, l’objet d’une fierté. La valeur et l’usage des diplômes changent donc selon les contextes.

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Marc Benninger est le rédacteur en chef de la version française de HR Today depuis 2006.

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