La langue du cœur
DRH de la Banque cantonale du Valais (BCVs) depuis 25 ans, Éliane Gaspoz tire son bilan avant d'ouvrir une nouvelle séquence. Elle rend hommage à ses fils et à son père, Maurice Chevrier, entrepreneur et commerçant de bétail à Evolène.
Photo: Olivier Vogelsang / disvoir.net pour HR Today.
Elle a le sourire charmant et le verbe affirmé. En 1996, avant d’accepter de devenir la première femme du comité de direction de la BCVs, elle sollicite un entretien avec le directeur général de l’époque. Les yeux dans les yeux, elle lui dit: «Si vous attendez de moi que je vienne valider les recrutements du conseil d’administration, ne m’engagez pas!» Le patron éclate de rire et l’affaire est entendue. Elle négocie aussi de travailler à 80% quelques mois plus tard. Femme au profil affirmé, élevée à la dure sur les flancs raides du val d’Hérens, Éliane Gaspoz marquera l’établissement par son professionnalisme et son sens de l’égalité. Au moment de tirer son bilan, elle retient avant tout son expérience de maman et manager et l’influence qu’a eu son père, Maurice Chevrier.
À pied à l’alpage dès 8 ans
Patron d’une entreprise de génie civil à Evolène, Maurice Chevrier est aussi un commerçant de vaches d’Hérens bien connu des paysans de montagne du Valais. «C’était un père hors du commun. Son génie fut de nous induire le chemin sans jamais nous donner des ordres. Face à chaque difficulté, il prenait de la hauteur et nous apprenait à relativiser. Revers de la médaille: j’ai été rapidement très responsable et n’ai pas connu l’insouciance de l’enfance. À 8 ans, je préparais le repas pour toute la famille et l’amenais dans les champs, sac au dos.» C’est aussi dans l’entreprise paternelle qu’elle apprend ses premiers gestes RH. «Avec ma mère, nous préparions les salaires à chaque fin de mois. Je partais ensuite avec 100’000 francs dans un sac en plastique distribuer les paies aux ouvriers en main propre.» Sa mère, entrepreneuse elle aussi, ouvre un restaurant à Evolène en 1985. Un des premiers clients de l’établissement deviendra l’époux d’Éliane Gaspoz, décédé subitement en 2018.
Cadeau tombé du ciel
Lors de l’entretien qu’elle nous accorde dans son bureau de Sion, elle se place sous les portraits de ses deux fils: Valentin, 24 ans, chauffeur de camions et Florent, 21 ans, étudiant en microtechnique à l’EPFL. Son visage s’illumine: «Je me sens autant maman que DRH. Le congé maternité fut mon meilleur développement personnel. J’ai consacré un jour par semaine et tous mes week-ends à mes deux fils. Et mon mari a lui aussi réduit son temps de travail pour me relayer à la maison, il était de plus le cuisinier en chef et le responsable de l’économat.» Cette famille tant rêvée s’est faite attendre. Sa première grossesse, survenue quelques mois après son engagement à la BCVs est donc un cadeau tombé du ciel.
Politique et vaches d’Hérens
D’autres photos sont accrochées au mur de son bureau. Des images en noir blanc de son arrière-grand-mère, sa grand-mère et sa mère, assises dans un pâturage. Prises dans les années 1930 par de riches touristes anglais (qui les renvoyaient aux autochtones en cartes postales), ces images racontent la rudesse de la vie montagnarde: «J’ai parfois l’impression d’avoir côtoyé le Moyen-Âge. Ces femmes vivaient dans une extrême pauvreté.» Éliane Gaspoz parle le patois, sa langue du coeur, qu’elle utilise encore avec son frère l’ancien conseiller national valaisan Maurice Chevrier fils. Elle poursuit: «J’ai grandi dans une ambiance valaisanne plutôt cash. Nous parlions beaucoup de politique et de vaches d’Hérens. Je suis restée directe dans mon style de communication.»
École normale et psycho
Bonne élève, elle démarre en 1977 l’École normale de Sion. Durant cette première formation, elle réside chez les sœurs Ursulines. Elle choisit ensuite de poursuivre des études de psychologie à Fribourg. Elle consacrera son mémoire de licence aux porteurs du SIDA, après un séjour d’étude à Francfort. Mais le métier de psy n’est pas facile à assumer à l’époque. Elle souhaite rester dans les relations humaines mais dans un contexte économique.
Fiable de chez fiable
Hasard de la vie (?), elle croise Maxime Morand en sortant de la messe de Pâques à Evolène en 1989. DRH au Credit Suisse, il cherche justement une responsable des apprentis et des stagiaires. Il se souvient: «Je la connaissais de Fribourg où nous étudions ensemble, elle la psycho, moi la théologie. Elle était aussi sommelière au café de l’Ours en Basse Ville. Je l’ai engagée au Credit Suisse, car j’avais besoin d’une bosseuse. Elle était souriante et déterminée, fiable de chez fiable. Elle savait aussi livrer du sens. Si je prends une image footballistique, j’avais là une excellente gardienne de but (sourire)!» Il devient son mentor. Elle raconte: «Il me tirait vers le haut. Il m’a appris à prendre de la hauteur et de ne jamais me perdre dans les dédales d’un problème. Avec mon profil marqué, j’ai également dû apprendre à tolérer les autres manières de voir. Maxime m’a ouvert les yeux sur les différents fonctionnements de l’être humain. J’utilise encore aujourd’hui certains mots qu’il prononçait.»
Une phrase peut tout changer
Éliane Gaspoz monte en grade et devient Responsable RH pour la région Suisse Romande Nord Valais. En été 1993, la direction du Credit Suisse annonce sa fusion avec la Banque populaire suisse (BPS). S’ouvre une période de restructuration qui débouchera sur la suppression de plus de 2000 postes. Durant cette période, un futur dirigeant de la nouvelle banque téléphone à Éliane Gaspoz et, d’un ton autoritaire, exige dans l’heure la liste de tous les cadres de la région. Furieuse, elle s’exécute mais décide de quitter l’établissement. Elle dit: «Parfois dans la vie, une phrase peut tout changer».
Professionnalisation
Elle postule à la Banque cantonale du Valais qui cherche à redynamiser sa fonction RH. La nomination d’une jeune femme de 34 ans est surprenante dans le milieu des affaires bancaires valaisan. Certains sourient quand elle demande un congé maternité quelques mois plus tard. Mais c’est elle qui sourit aujourd’hui. En 25 ans, elle professionnalise l’écosystème RH de la BCVs: politique, règlement et processus RH. Elle met en place un nouveau système salarial, qu’elle certifie Equal Salary en 2013 (le 1er établissement bancaire à le faire en Suisse). Elle introduit aussi un programme de santé, un plan de relève et plusieurs formations techniques et managériales. Son commentaire? «J’ai toujours été dans l’opérationnel et au cœur de la stratégie. J’ai eu la chance d’avoir des dirigeants qui m’ont permis d’occuper un vrai rôle de DRH et j’ai aussi pu compter sur une équipe de rêve.»
CRQP, HR Swiss et Employeur Banque
Parallèlement, elle s’engage dans la communauté RH de Suisse romande. Elle siège aux comités du CRQP (aujourd’hui Cursus Formation à Lausanne) et de HR Swiss. Elle sera aussi experte aux examens du Brevet fédéral de spécialiste en ressources humaines. «Ces activités m’ont permis de découvrir de nouvelles personnes et de nouvelles idées. C’est essentiel afin de ne pas tourner en rond dans une activité». Bilingue français-allemand, elle sera aussi nommée au comité d’Employeur Banque, l’association qui défend les intérêts patronaux du milieu bancaire en Suisse.
Changement de vie
Fin mars 2022, elle quittera donc la BCVs. Elle souhaite commencer une petite activité de conseils RH. Depuis le début de l’année, elle enseigne les ressources humaines à la HES Kalaidos de Lausanne. «Je suis également passionnée par les hauts potentiels», glisse-t-elle. Entrer dans un Conseil d’administration et défendre l’importance des RH l’intéresse aussi. Derrière le visage souriant de son profil LinkedIn, se détachent la Dent Blanche et la Grande Dent du Veisivi, deux sommets qui tracent l’horizon du val d’Hérens. Elle ne s’installera pas pour autant dans son mayen près d’Arolla: «Je ne prends pas ma retraite, claque-t-elle, je change de vie!»
Bio express
1977: École normale à Sion.
1987: Licence en psychologie, Université de Fribourg.
1989: Responsable RH au Credit Suisse.
1996: DRH Banque cantonale du Valais.
Le question de Proust
Votre principal trait de caractère?
Affirmée.
Votre principal défaut?
J'ai parfois de la peine à laisser la place aux autres et à me taire.
Votre héros préféré dans l’histoire?
Mon héros dans la vie, c’était mon père.
Une réforme prioritaire?
Nuancer la mode de l’agilité qui parfois devient une tornade détruisant tout sur son passage.
Votre peintre favori?
Les impressionnistes. Ils pondèrent mon côté affirmé.
Ce que vous détestez par-dessus tout?
La maltraitante humaine.
Un plat?
La tarte tatin.