La recherche en actions

La managérialisation affecte l'engagement des employés publics

Les institutions étatiques se managérialisent de plus en plus. Une thèse en management public de l’IDHEAP (Université de Lausanne) montre que ce phénomène atténue l’engagement des employés publics.

Que représentent les employés publics dans l’imaginaire collectif? «Ronds de cuir» selon la célèbre formule de Georges Courteline, paresseux, privilégiés, pantouflards, désengagés. Les critiques sont multiples et ne datent pas d’aujourd’hui. Mais sont-elles toujours valables alors que les organisations publiques se sont beaucoup transformées au cours de 25 dernières années, en particulier sous l’impulsion du nouveau management public? Alors qu'elles sont devenues de plus en plus hybrides, fruit d'un savant mélange de valeurs et de principes de gestion publics et privés?

Quels impacts ces changements ont-ils exactement sur l’engagement au travail des employés publics? Il se trouve que la plupart des recherches sur cette question se sont limitées à l'engagement organisationnel, montrant effectivement que les employés publics ne sont pas très engagés envers leur organisation. Mais alors envers quoi s’engagent-ils? En fait, il existe dans la sphère de travail beaucoup d’éléments envers lesquels les employés sont susceptibles de s’engager durablement: entités, actions, personnes, idées, valeurs, etc., qu’on peut appeler «ancres d’engagement». C’est ce qu’a permis de découvrir une thèse de doctorat récemment achevée.

La recherche s’est également intéressée à la publicitude de ces ancres d’engagement, soit à leur caractère plus ou moins public; en d'autres termes, quelles sont leurs caractéristiques traditionnellement liées au secteur public et à l’État. Finalement, la thèse cherchait à savoir si des organisations publiques très managérialisées (voir encadré) favorisaient ou non l’engagement au travail.

Quel engagement public au travail aujourd’hui?

Les conclusions de ces travaux font ressortir 18 ancres d’engagement au travail, dont quatre présentent une forte publicitude:


•    Les Politiques publiques offrent aux employés publics la possibilité d'intégrer le cœur de métier de l'administration publique.
•    Le Service public permet de faire vivre les idéaux d'équité et de justice sociale.
•    L’Impact social manifeste le souhait d'occuper un emploi qui a du sens et une utilité concrète dans et pour la société.
•    Finalement, la possibilité de s’engager envers les Usagers-clients des services publics, lesquels sont in fine la raison d'être de toute action publique.

 

Dans les contextes fortement managérialisés, ces ancres d’engagement sont clairement moins saillantes en comparaison avec des contextes purement publics. Ce qui laisse songeur quant à l’impact des récentes réformes de l’administration publique. A bien des égards, ces initiatives de modernisation ont été nécessaires, mais elles semblent mener à une diminution de l'engagement au travail des employés publics. Or s’ils veulent gagner l’adhésion des employés, les décideurs devraient inscrire toute transformation du service public dans une réflexion globale intégrant l’engagement au travail.

 

La Suisse bonne élève en matière de nouveau management public

 

La managérialisation désigne le phénomène consistant à importer des idées, pratiques, principes et modèles du secteur privé dans le secteur public, afin - en théorie du moins - d’en améliorer la gestion. Ces pratiques se regroupent sous l'appellation générique de nouveau management public. Une ambition d'origine anglo-saxonne visant à débureaucratiser les organisations étatiques, et dont la Suisse s'est faite l'une des meilleures élèves dès les années 1990. Si les transformations du management public se sont souvent traduites par des réformes institutionnelles et structurelles, l'hybridation public-privé suscitée par la managérialisation a aussi affecté la gestion des ressources humaines publiques. Dans ce cadre, on a assisté à une sorte de privatisation des conditions de travail et du statut des employés publics, désormais plus proches du privé. Face à ces mutations, l'engagement au travail des employés publics envers l'organisation et la chose publique demande à être revisité.

 

 

Chroniques «La recherche en actions»

Les chroniques regroupées sous l’intitulé «La recherche en actions» sont rédigées par des enseignants et chercheurs liés aux programmes de formation continue MRHC (Management, Ressources Humaines et Carrière) issus du partenariat entre les 4 universités de Suisse Romande.

Pour toute information complémentaire : mrhc@unige.ch

Coordination des chroniques «La recherche en actions»: Nadine Bagué, responsable pédagogique des Programmes de Formation Continue en MRHC..

 

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Armand Brice Kouadio est docteur en administration publique et chargé de recherche à l'Institut de hautes études en administration publique de Lausanne (IDHEAP, Université de Lausanne). Il s’intéresse particulièrement à l'engagement au travail des employés publics, la gestion stratégique du personnel, ainsi que la valorisation du capital humain en entreprise.

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Texte: Yves Emery

Yves Emery est professeur ordinaire et responsable de l’unité Management public et gestion des ressources humaines à l’Institut de hautes études en administration publique de Lausanne (IDHEAP, Université de Lausanne). Membre de comités éditoriaux de plusieurs autres revues scientifiques, il est aussi consultant au sein de nombreux services publics au niveau suisse et international.

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