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«La politisation du dialogue social durcit le ton lors des négociations»

Sheba Corti est DRH du Département de l’environnement, des transports et de l’agriculture (DETA), à l’Etat de Genève. Elle a réalisé un Master RH sur l’impact de la Paix du travail sur le processus de négociation d’une CCT (convention collective de travail), aux Universités de Genève, Lausanne, Neuchatêl et Fribourg.

Si la paix du travail permet d’aborder une négociation dans de bonnes conditions, quels sont les ingrédients qui permettent d’aboutir à des résultats satisfaisants pour les deux camps ?

Sheba Corti: Il y a notamment le taux de syndicalisation, qui indique clairement au patronat, le risque potentiel de mobilisation du personnel par les associations syndicales, suite à un échec dans des négociations. Le taux de syndicalisation met aussi en lumière si les idées exprimées par les représentants syndicaux représentent l’ensemble des opinions des travailleurs de l’entreprise. Cet indicateur donne du poids au discours syndical et met donc une pression supplémentaire au patronat de trouver des moyens d’accéder aux différentes requêtes présentées pour éviter tout conflit social potentiel. Toutefois, pour que le taux de syndicalisation soit réellement un facteur d’influence sur le résultat d’une négociation, il doit être accompagné d’une force de cohésion à l’intérieur de l’association syndicale d’une part et, d’autre part, d’une volonté d’agir collectivement des travailleurs syndiqués. Enfin, le rapport de force entre les parties à la négociation peut être aussi influencé en fonction du secteur d’activité. Une menace de grève de la part des associations syndicales du monde des transports publics a des impacts différents sur la société qu’un arrêt de travail au sein des entreprises horlogères.
 

Votre travail démontre que tous les acteurs tiennent fortement à cette culture du dialogue. Le conseiller fédéral Johann Schneider Amann a récemment constaté un durcissement du dialogue social, notamment à cause des initiatives sur l’immigration de masse et sur un salaire minimum. Les temps sont-ils en train de changer en Suisse?

Ce durcissement se fait certes ressentir. Graduellement depuis les années 2000, plusieurs éléments ont été et sont susceptibles de menacer l’existence de ce dialogue social ou tout au moins d’en diminuer son impact. D’un point de vue patronal, il faut citer l’influence des crises économiques, de la culture néo-libérale avec une concurrence effrénée qui incitent notamment les associations patronales, selon les secteurs d’activités, à demander une déréglementation pour faire face à la concurrence accrue et obtenir une plus grande flexibilité économique. Pour faire face à ces défis, des industriels, à titre individuel, ont préféré sortir des associations patronales se soustrayant ainsi aux obligations contractuelles de conventions collectives de travail cadres. A cela s’ajoutent des initiatives de gauche et de droite qui touchent directement les aspects institutionnel et politique de la paix du travail en supprimant des acquis sociaux négociés ces cinquante dernières années grâce au dialogue social, notamment au niveau des assurances sociales de la prévoyance professionnelle ou encore de l’assurance chômage. De surcroît, ces dernières années, il y a eu une forte politisation de ce dialogue social, avec notamment les initiatives de gauche sur le salaire minimum ou la 6ème semaine de vacances. Cette politisation donne un signal fort de durcissement du ton dans les négociations. Cette attitude de repli et de dénonciation ne favorise pas l’échange consensuel constructif entre le patronat et syndicat autour d’une table, habituellement en vogue en Suisse.
 

De nombreux employés suisses ne sont pas encore couverts par une Convention collective de travail, sans que la paix du travail soit remise en cause. Comment interprétez-vous cette situation paradoxale?

Il y a une méconnaissance de la situation exacte probablement due à une incompréhension du contenu réel de la paix du travail. Ce concept de la paix du travail est un engagement pris par les parties à une convention collective de travail de s’abstenir de tout moyen de combat, quant aux matières réglées dans la convention uniquement (paix relative) ou sur tout aspect de la relation de travail même celui qui n’est pas réglé dans ladite convention (paix absolue). Concrètement, les collaborateurs d’une entreprise sans convention collective de travail ne sont pas tenus par ce principe et pourraient utiliser des moyens de lutte telle qu’une grève, ceci dit moyennant le respect des conditions constitutionnelles. Il y a une tendance à penser que la paix du travail s’applique à l’ensemble des relations contractuelles de travail et que la grève n’est pas permise sur le territoire helvétique. Ce manque de clarté explique peut-être cette confusion.
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Marc Benninger est le rédacteur en chef de la version française de HR Today depuis 2006.

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