L'administrateur
Dominique Freymond est administrateur de sociétés indépendant depuis 1997. Fin stratège, créateur de liens avec une posture de fou du roi, il a co-fondé en 2010 l'Académie des administrateurs (ACAD) à Lausanne. Ce printemps, il a publié un livre de 100 anecdotes sur les enjeux d'un conseil.
Photo: Olivier Vogelsang / disvoir.net pour HR Today
Depuis quelques mois, il a rangé son nœud papillon. Il aura 70 ans en 2024 et il essaie de lever le pied. Administrateur de sociétés indépendant depuis 1997, Dominique Alain Freymond siège encore dans une poignée de conseils, dont la Fondation du château de Grandson et la Commission du patrimoine culturel immobilier du canton de Vaud... mais pour le reste, gentleman, il laisse place à la relève. Au pic de sa carrière, il fut administrateur de La Poste, d’Allianz Suisse et de Solvaxis (informatique, aujourd’hui ProConcept). En tout, il a siégé dans une quarantaine de conseils.
Conseiller de 250 PME
Il a aussi monté une belle opération de conseils, Alderus Consulting, véhicule qui a accompagné plus de 250 PME. Là-aussi, il est en train de réduire la voilure. Le temps est venu de transmettre son immense savoir. En mai 2023, il a publié un livre (1) passionnant qui raconte en 100 anecdotes les enjeux d’un conseil d’administration. Il nous accueille un matin de septembre dans la salle du conseil d’une grande société industrielle fribourgeoise. Toujours aussi élégant, sourire rayonnant et jamais à court d’un bon mot, il nous accorde un entretien sur les préoccupations RH de conseil d’administration.
Un conseil fixe le cadre
Les sujets RH qui agitent les administrateurs de société sont nombreux. Dominique Freymond: «Un conseil va fixer le cadre, il ne se mêlera pas de la mise en œuvre. En termes de politique salariale, nous définissons le montant global des rémunérations, les augmentations annuelles et les règles concernant les parts variables, en se basant sur les benchmarks du marché. La fidélisation est un autre sujet RH clé: quelle sera la politique de formation ou les modalités des fringe benefits?»
Recrutement et gestion de la relève
Pour les recrutements, le conseil décide des grandes lignes: quels canaux utiliser pour sourcer les candidats? Faut-il recourir à un chasseur de tête ou pas? Est-ce qu’un assessment est nécessaire? La gestion de la relève est un autre sujet clé: «Le conseil doit s’assurer qu’un suppléant a été nommé à tous les postes clés». Il doit aussi veiller à l’équilibre entre les candidats externes (du sang neuf mais démotivant pour les personnes en interne qui attendent loyalement leur tour) et les candidats internes (avec le risque de s’enfermer dans la culture interne). Les administrateurs nomment aussi les membres de la direction. Dominique Freymond: «C’est une tâche délicate et de nombreux administrateurs manquent d’expérience au moment de recruter. Savoir nommer ou révoquer des directeurs opérationnels n’est pas donné à tout le monde.»
La composition du conseil: un Rubik’s cube
Au fil des ans, Dominique Freymond est aussi devenu un maître dans la composition délicate d’un conseil d’administration. Il a accompagné de nombreuses sociétés dans ce sens. Il explique: «Il s’agit de veiller à maintenir un équilibre entre les compétences et la diversité (les manières de penser, les genres, les âges et les tempéraments). La complémentarité des compétences et des personnalités fait le succès d’une entreprise. Une boîte IT dirigée uniquement par des ingénieurs n’ira pas loin. La posture des administrateurs est également déterminante: il faut associer un optimiste avec un grincheux, un généraliste avec un spécialiste. Un vrai Rubik’s cube», sourit-il.
Créer une bonne dynamique
Ensuite, la mayonnaise doit prendre. «La première séance est déterminante. Chacun doit se présenter. Une visite de l’entreprise permet de s’imprégner des lieux et de la culture. Je conseille aussi de ne pas négliger les moments informels, autour d’une assiette et d’une bonne bouteille par exemple.» Dans les PME, les conseils d’administration sont très souvent constitués par le propriétaire et ses proches. Dominique Freymond consacre un chapitre à ces présidents/patrons/propriétaires. Il met en garde: «Le business est devenu trop complexe aujourd’hui. Un seul homme ne peut pas tout maîtriser.»
Conseil consultatif
Un autre enjeu dans ces petites PME: le patron n’a souvent pas envie qu’un conseil se mêle de ses affaires. Il a peut-être nommé ses enfants à des postes clés ou a choisi d’optimiser sa fiscalité... «Dans ces cas-là, je leur conseille de créer un conseil consultatif. Ce sont des personnes qui amènent des informations complémentaires, des idées nouvelles mais sans responsabilité légale et sans prises de décision, pas besoin de PV non plus. Et une fois que la confiance est là, pourquoi ne pas créer un vrai conseil...»
Article 176a CO
Une fois qu’un administrateur est nommé, il a un devoir de diligence et de fidélité. Selon l’article 176 a CO, ses responsabilités sont intransmissibles et inaliénables. D’où l’importance de conclure une assurance D&O (Directors and Officers). Si par malheur l’entreprise devait faire faillite, c’est aux administrateurs de régler les cotisations sociales impayées. «Les administrateurs ont donc une responsabilité financière et de réputation», prévient Dominique Freymond.
Pas un long fleuve tranquille
Un administrateur indépendant doit aussi être capable de démissionner avec effet immédiat si la confiance n’est plus au rendez-vous. Dominique Freymond l’a fait à trois reprises durant sa carrière. Il raconte un de ces épisodes: «C’était une société avec trois groupes d’actionnaires. L’administrateur-délégué détenait un tiers des parts, il participait aux décisions, mais ne les mettait pas en œuvre sur le terrain. Après deux avertissements, j’ai donné ma démission. Cela fait partie du métier. Le mandat le plus court que j’ai tenu a duré 4 jours, le plus long 12 ans.»
L’ACAD
En 2010, alors qu’il est chargé de cours au CRPM de Lausanne (Centre romand de perfectionnement en management, aujourd’hui repris par Cursus Formation) – «je donnais un cours très opérationnel de gestion du changement pour des CEO» – le président Wolfgang Martz lui propose de lancer l’Académie des administrateurs de sociétés (ACAD). Dominique Freymond: «Le 1ère volée ne réunissait que des hommes. Aujourd’hui, nous sommes à parité. À ce jour, l’ACAD a formé plus de 700 administrateurs.» Le cursus propose plusieurs modules dont les fondamentaux d’un conseil, la stratégie, le processus M&A (fusion et acquisition) et le rôle du secrétaire de conseil. L’académie organise aussi une soirée spéciale pour les présidents de conseil et une rencontre annuelle des alumnis. Les associés fondateurs sont tous des gros bras de l’économie romande et des administrateurs de société: Alexandra Post Quillet (CFF, Schenk Vins à Rolle), Isabelle Amschwand (Trianon, CA Next Bank), Yann Vermeil (RealStone, ancien de la Finma), Tibère Adler (ex-Edipresse, Le Temps) et Jean-Albert Ferrez (BCVs, Téléverbier).
De Corrençon à Normal (Illinois)
Lui est originaire de la Broye vaudoise. L’aîné de cinq enfants, il naît à Corrençon au-dessus de Moudon sur une exploitation agricole tenue par son père. Le domaine produit des pommes de terre, du lait et du blé. Sa mère enseigne à l’école primaire du village. À force de porter des sacs de patates, le jeune Dominique développe des maux de dos. Après sa maturité fédérale, il obtient un baccalauréat américain lors d’un séjour d’un an aux États-Unis organisé par l’American Field Service à Normal (Illinois). Ce sera donc des études à l’université de Lausanne: biologie, physique et astronomie. Il se passionne pour l’exo-biologie (l’étude de la vie en dehors de la terre). Licence en poche, son rêve était d’étudier l’exo-biologie auprès du pape de la discipline Carl Sagan (1934-1996) à la Cornell University (de New York), mais il ne passe pas les admissions. Il trouve alors un job chez IBM, comme ingénieur commercial. À l’époque, un ordinateur coûte entre 1 et 5 millions de francs. Il se découvre un talent de vendeur et passe d’IBM à Unisys et à Tata. Le patron d’Unisys Europe le prend sous son aile et lui propose de devenir à la fois directeur général pour la Suisse et président du conseil d’administration.
Fou du roi
Ce sera son déclic. «J’ai toujours adoré la pensée stratégique. Le conseil d’administration est l’endroit clé pour construire une stratégie. J’aime aussi placer les bonnes personnes au bon endroit, je me considère comme un bâtisseur de ponts et j’aime prendre des responsabilités.» Il a toujours été un moteur. Avant ses études, il a fondé les Jeunesses radicales de Moudon et un club de recherches ufologiques. Il se positionne aussi comme un fou du roi. Celui qui pose avec bienveillance les questions qui dérangent. Cet esprit critique parsème les pages de son bouquin, qui fourmille aussi de bons conseils. Il sourit du compliment: «Mon intention était d’écrire un livre utile à la pratique».
(1) Dominique Alain Freymond: "Gouvernance d’entreprise - L’envers du décor en 100 anecdotes", éd. Château & Attinger, 2023, 279 pages
Bio express
- 1954: Naissance à Corrençon (VD)
- 1978: Master en sciences naturelles (UNIL)
- 2002: Administrateur, puis vice-président de La Poste Suisse
- 2010: Fonde l'ACAD avec Wolfgang Martz
- 2014: Diplômé de l'International Directors Programme (IDP6) INSEAD
- 2017: Fonde Alderus Consulting