L'agilité reconnecte la durabilité au sens et à l'impact concret
Une approche agile de la durabilité transforme ces valeurs en leviers d'action. Elle favorise aussi l'appropriation collective, renforce la cohérence entre stratégie et réalité quotidienne et réduit les risques psychosociaux.

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Les stratégies de durabilité suivent un schéma fréquent: deux ans pour prioriser et élaborer un plan d’action, une année pour le mettre en route, et au bout de six mois, le constat que tout est déjà dépassé. L’organisation doit alors avancer à contre-courant, sur des priorités figées, alors que d’autres enjeux sont devenus plus pressants.
Pour les collaborateurs·trices, la stratégie de durabilité reste abstraite, déconnectée de la culture interne et perçue comme une charge supplémentaire. Les équipes peinent à comprendre le sens des données collectées ou des changements exigés. La durabilité devient alors une contrainte plutôt qu’un moteur d’engagement. Elle finit par cristalliser des tensions.
Repenser la distribution des responsabilités
Dans une approche classique, les responsabilités sont distribuées en fonction des postes: les responsables de la chaîne d’approvisionnement doivent mobiliser les fournisseurs·euses, les RH doivent créer une grille salariale équitable, l’équipe marketing doit ajouter de la diversité dans les publicités.
Parfois, la personne chargée de la tâche est motivée par le sujet. C’est ce qui s’appelle évoluer dans sa zone «Sweet spot» (voir le graphique 1). Par exemple: une personne responsable de la cafétéria d’entreprise, végétarienne dans sa vie privée, est chargée d’augmenter la part de plats végétaux consommés dans son restaurant. Elle s’appropriera la mission et proposera probablement des assiettes plus savoureuses et convaincantes qu’un·e passionné·e de grillade carnée. Elle pourrait même se lancer dans d’autres initiatives afin que l’impact carbone des plats consommés baisse rapidement.
Mais cette convergence n’existe pas toujours. Imaginons un·e reponsable de la chaîne d’approvisionnement réfractaire au concept de durabilité. Il y a peu de risque que cette personne soit convaincante et arrive à mobiliser les fournisseurs·euses. On entre alors dans la «zone de Sisyphe», en référence au dieu condamné à pousser éternellement une pierre en haut d’une montagne, avant de la voir redescendre inlassablement de l’autre côté. Ici, le projet risque d’échouer faute d’adhésion réelle.
À l’inverse, une personne dans un poste similaire pourrait être profondément engagée sur la diversité et l’inclusion. Cette personne assumerait avec plaisir certaines responsabilités RH sur ce sujet. Son job s’étofferait ainsi de nouvelles tâches, avec la collecte des données sur l’égalité homme-femme par exemple, tout en gardant ses responsabilités logistiques.
En alignant les responsabilités avec les intérêts, la durabilité devient une source de sens plutôt qu’une charge supplémen- taire. Cela pourrait même devenir une opportunité d’acquérir de nouvelles compétences et de découvrir des collègues. Sans oublier que la durabilité nécessite également d’innover. L’intelligence collective se nourrit de ces compétences diverses et de ces intérêts personnels.
Reconnecter durabilité et engagement
L’agilité permet de capitaliser sur ce pouvoir mobilisateur de la durabilité. Lorsque la durabilité est abordée de façon agile, elle peut facilement répondre aux cinq critères du modèle de motivation MAGIC, développé par Tracy Maylett.
Sens (Meaning): relier chaque action à un objectif clair et mobilisateur. Quand les équipes comprennent pourquoi elles agissent et à quoi elles contribuent, la durabilité cesse d’être une obligation abstraite pour devenir une source d’énergie individuelle et collective.
Responsabilité (Accountability): en confiant les responsabilités aux personnes réellement concernées et motivées par le sujet, on renforce l’efficacité opérationnelle et l’adhésion. Les initiatives sont alors mieux portées, plus crédibles et plus durables.
Apprentissage (Growth): l’agilité ouvre la possibilité d’explorer de nouveaux rôles ou de développer des compétences au-delà de sa fonction principale. Ces projets sont souvent transversaux, combinant savoir-faire techniques et compétences relationnelles. Elles favorisent un apprentissage riche et valorisant.
Impact: l’objectif n’est pas de produire des rapports ou des présentations, mais des changements visibles et concrets. En privilégiant l’action sur le discours, on crée un cercle vertueux: les résultats obtenus renforcent la motivation à poursuivre l’effort.
Lien social (Connectness): l’agilité incite à casser les silos et à créer de nouvelles interactions au sein de l’organisation. Les collaboratrices et collaborateurs rencontrent des personnes d’autres équipes ou métiers, ce qui élargit leurs perspectives et renforce la cohésion collective.
La durabilité a ainsi le potentiel de redonner du sens au travail en renforçant à la fois la motivation individuelle et le lien collectif. L’agilité permet de relier l’action à l’impact concret, plutôt qu’à une stratégie abstraite ou à des discours éloignés du terrain.
Une approche agile de la durabilité
Le début de cet article met l’accent sur la dimension RH. En particulier sur la nécessite de repenser les responsabilités. Mais l’approche globale de la durabilité doit être plus agile. Le visuel ci-dessous présente les différentes étapes que nous proposons dans notre livre blanc.
Premièrement, une approche agile permet de recueillir rapidement des retours du terrain. Ces boucles de feedback précoces évitent que des frustrations ne se cristallisent. Or, c’est souvent le cas lorsqu’un premier projet va à l’encontre des pratiques existantes.
Deuxièmement, dans un monde en mutation permanente, s’engager sur une trajectoire figée à dix ans n’a plus de sens. Les priorités d’hier ne sont plus celles de demain. Les stratégies doivent pouvoir évoluer, au lieu de devenir des carcans qui freinent l’action. Cette approche privilégie l’action concrète à la planification infinie.
Finalement, une approche agile implique activement l’ensemble des équipes dans la définition de la stratégie. Ce processus favorise une véritable appropriation et renforce le sentiment de contribution. Lors de la mise en œuvre, cet engagement partagé se traduit par une motivation plus forte et une dynamique collective plus solide.
Repenser la durabilité pour en faire un moteur
Le mot «durabilité» déclenche aujourd’hui méfiance ou lassitude. Beaucoup l’associent à des objectifs flous, à des charges administratives ou à des plans imposés. Pourtant, à l’origine, il portait une énergie mobilisatrice et positive que chacun·e pouvait s’approprier. Pour renouer avec cette dimension, nous proposons de passer des mots aux actes: moins d’objectifs déclarés, plus d’expérimentations concrètes; moins de stratégies rigides, plus d’adaptabilité; moins de fardeaux, plus de leviers d’action partagés. Une approche agile de la durabilité réconcilie ambition stratégique et réalité opérationnelle. Elle reconnecte les individus à une mission porteuse de sens, tout en renforçant l’efficacité collective.
Cet article s’appuie sur un livre blanc disponible sur www.fablag.ch. L’IA a contribué à la mise en forme, puis l’article a été relu et validé par les auteurs.