Portrait

L’altruiste intéressé

Directeur de Nespresso Suisse, Pascal Hottinger est un des rares dirigeants
 qui ose parler de ses erreurs de management en public. Il assure que le respect et les feedbacks constructifs boostent la performance.

Pas besoin de poser de questions à Pascal Hottinger. Le directeur général de Nespresso Suisse est un as de la communication. Pendant les deux heures de l’entretien qu’il nous accorde dans son bureau de Paudex, son flot de paroles sera plus ou moins ininterrompu. Evidemment, il commence par nous proposer de déguster la nouveauté de la maison, une capsule de Cubanìa, «un café fort au goût robuste».
 
Tasse à la main, il se lance dans un exposé sur les efforts fournis par Nespresso pour garantir la qualité par un bon prix d’achat aux plus de 60 000 producteurs de café partenaires, notamment en investissant 500 millions de francs jusqu’en 2020, en collaboration avec plusieurs ONG (une partie de cet argent soutiendra par exemple la création d’un fonds de pension créé en collaboration avec le gouvernement et FairTraide pour les agriculteurs colombiens). Nommé directeur du marché suisse en 2008, après un début de carrière dans le marketing et la vente, Pascal Hottinger est un dirigeant atypique. Derrière son look de jeune tueur des salles de marché s’est révélé depuis quelques années un manager humain, capable de se remettre en question, et qui a su instaurer une culture d’entreprise encourageant la «bienveillance, l’élégance et la performance». Résultat: l’engagement des collaborateurs de Nespresso Suisse atteint un niveau très élevé.
 
Quand on lui demande de confirmer un chiffre, il botte en touche tout en nous assurant que «l’absentéisme et le turnover sont aussi très bas». Puis cette analyse: «Nous essayons de créer de la valeur partagée grâce à des valeurs partagées. C’est important pour nos collaborateurs de savoir que notre chaîne de valeurs inclut tous les acteurs, du petit producteur colombien, aux ouvriers qui travaillent dans notre centre de traitement de capsules usagées à Moudon (canton de Vaud, ndlr).» Le mot «bienveillance» revient à plusieurs reprises dans son discours. Et il concède sans détour que cet altruisme est aussi intéressé. «Si nos collaborateurs sont bien au travail, ils serviront mieux nos clients. Cela dit, instaurer une culture d’entreprise fondée sur la bienveillance est plus facile à dire qu’à faire.»
 

«Mon enthousiasme est parfois devenu dictatorial»

L’origine de ce beau cas d’école managérial est intimement liée à la trajectoire personnelle de Pascal Hottinger. «Je suis quelqu’un de très enthousiaste. Mais cet enthousiasme est parfois devenu dictatorial. En 2007, après avoir repris un poste de Key account manager international, j’ai fait un burn-out. Rien de grave, mais cela a été le déclencheur de mon évolution. Pendant le break de quatre semaines que j’ai pris à la suite de cet épuisement professionnel, j’ai compris que j’avais touché aux limites de mon hyperactivité. J’ai dû apprendre à mieux m’écouter et surtout à mieux écouter les autres. Plus tard, quand j’ai repris la direction de Nespresso Suisse en 2008, j’ai beaucoup échangé avec la DRH de l’époque, Sonia Studer (qui a entre-temps repris d’autres fonctions RH au sein du groupe Nestlé, ndlr). Je suis devenu beaucoup plus ouvert au feedback. J’ai bénéficié d’un coaching et travaillé à ne plus retomber dans mes vieux travers».
 
On lui demande combien de temps a duré ce travail sur lui-même? «Le coaching a duré quelques mois seulement, mais le travail sur soi-même est un exercice quotidien qui ne ne sera jamais fini. Je ne suis pas programmé pour être bienveillant 24 heures sur 24. Je me suis donc entouré de personnes qui osent me critiquer et nous avons mis en place une culture d’entreprise fondée sur le feedback bienveillant.»
 
On comprend que le sujet lui tient à cœur quand il bondit de son siège pour nous montrer avec fierté une petite maison en caoutchouc, où sont inscrites les valeurs et les comportements attendus des collaborateurs de Nespresso Suisse. En misant sur «la confiance, la transparence, le respect et l’humilité», Pascal Hottinger cherche à mettre à l’aise ses collaborateurs afin qu’ils osent les critiques constructives. «Cela dit, il ne faut pas confondre bienveillance et complaisance», s’échauffe-t-il. «Nous avons parfois dû nous séparer de managers très performants au niveau du business, mais dont les comportements étaient contraires à nos valeurs.» Il assure aussi que le développement et l’entretien de cette culture a pris du temps: «Il ne suffit pas d’envoyer tout le monde suivre un workshop de deux jours. L’application doit être homéopathique et quotidienne pour faire évoluer continuellement le corps social de l’entreprise.»

«Le vrai courage, c’est d’essayer de changer»

Il préconise aussi des formations sur l’art de donner du feedback. Pour les cadres, l’outil 360° est un bon moyen de commencer ce processus de changement, assure-t-il. «Mais attention à ne pas s’arrêter au bilan! Le vrai courage, c’est d’essayer de changer, semaine après semaine, étape par étape. Cela demande beaucoup d’humilité. Et c’est important d’être bien entouré.» Dans son cas, les proches qui lui donnent du feedback sont la DRH, Nathalie Warren, les autres membres du comité de direction, son assistante, ainsi que le Directeur Commercial International, à qui il rapporte. «J’apprécie également de me retrouver avec mes amis le week-end pour écouter de la bonne musique et déguster des bons plats. Ces moments de partage et de sincérité sont essentiels à mon équilibre.»
 
Mais après plus de six années passées à la direction de Nespresso Suisse, n’a-t-il pas envie de relever de nouveaux défis? «J’ai eu quelques opportunités en interne que j’ai pu décliner. Pour développer une culture d’entreprise avec un impact durable sur les résultats, il faut aussi savoir orienter son action sur le long terme.»
 
L’autre raison qui l’incite à prolonger son mandat est son attachement au Lavaux et au lac Léman. Né à Lutry en 1971, ses deux parents ont fait carrière à la Poste suisse. Très tôt, il développe une fascination pour le géant alimentaire de Vevey, «une entreprise à la fois très internationale et très suisse». A 22 ans, alors qu’il est en train d’effectuer son service militaire, il décroche son premier entretien d’embauche chez Nestlé. «Ma candidature n’a pas été retenue. Ils m’ont dit que je n’étais pas assez mûr», sourit-il. Après une licence en gestion de l’entreprise à HEC Lausanne, il démarre sa carrière chez British American Tabacco, avec une longue mission en Inde, qu’il parcourt de long en large. En 1999, il entre chez Nespresso, où il devient directeur des ventes et du marketing pour la Suisse. En 2004, il reprend la direction de Nespresso Allemagne et s’installe avec son épouse et sa fille à Düsseldorf. Ce seront ses années de «dictateur enthousiaste» qui lui permettront d’apprendre de ses erreurs. Il revient en Suisse fin 2005 comme Key Account Manager chez Nespresso International et sera nommé directeur de la filiale suisse trois ans plus tard. Aujourd’hui, il dirige plus de 700 personnes, réparties entre le siège de Paudex, un centre de relations clients à Sion, 23 boutiques Nespresso et une équipe commerciale répartie dans les principales villes suisses.
 
L’entretien touche à sa fin. On en profite pour lui poser une question critique. Au moment d’engager le personnel de leurs boutiques Nespresso, qui respirent le luxe et la qualité du service, y a-t-il des consignes spécifiques quant à l’esthétique physique des vendeuses et vendeurs? «Non, pas du tout. Ce serait complètement contraire à nos valeurs. Si vous avez eu l’impression que mes collègues travaillant en boutique sont physiquement séduisants, c’est aussi en partie grâce à l’atmosphère qui règne dans notre entreprise. Comme je vous l’ai dit, le respect de soi-même et de ses collègues engendre une certaine élégance qui favorise le respect des clients.» Pascal Hottinger ne donne aucun chiffre sur le résultat opérationnel de Nespresso Suisse. Selon une interview accordée au Handelsblatt en août 2014, le CEO de Nespresso International, Jean-Marc Duvoisin, indique que la société a réalisé un chiffre d’affaires de 4,25 milliards de francs. La même source indique que la part de marché de Nespresso en Europe serait de 30,5 pour cent en Europe de l’Ouest, un marché qui pesait en 2013 6,6 milliards de francs. Ce marché devrait croître à 7,4 milliards de francs en 2014.
 

 

Bio express
  • 1971 Naissance à Lutry (canton de Vaud)
  • 1992 HEC Lausanne
  • 1995 Brand manager chez BAT
  • 1999 Marketing & vente Nespresso Suisse
  • 2004 Directeur Nespresso Allemagne
  • 2008 Directeur Nespresso Suisse

 

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Marc Benninger est le rédacteur en chef de la version française de HR Today depuis 2006.

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