Stratégies d'expansion

L’art de manager un processus d’intégration culturel

Les différences culturelles peuvent constituer un obstacle majeur aux stratégies d’expansion des compagnies à l’étranger tout comme elles peuvent, au contraire, stimuler leur performance.

On observe une présence croissante des compagnies suisses sur les marchés étrangers (pensez notamment à l’acquisition au début de l’année du canadien J.L. Freeman par le groupe lucernois Emmi, ou de l’américain Russell Stover par Lindt & Sprüngli en 2014). Ces opérations ne touchent pas seulement les marchés des pays occidentaux, mais également ceux des pays émergents (le rachat du chinois Sun Alliance Insurance par Swiss Re en 2014). Dans le même temps, ces pays émergents investissent de plus en plus en Suisse. Parmi les cas récents, on mentionnera, entre autres, l’acquisition au début de l’année de Sofgen, société basée à Genève et spécialisée dans les logiciels bancaires par Tech Mahindra, entreprise indienne de services du numérique, de la BSI par la banque d’investissement BTG Pactual (Brésil) en 2014, ou de Swissmetal par le groupe chinois Baoshida en 2013.
 
Dès lors, le défi des cadres locaux en Suisse et des expatriés suisses à l’étranger consiste à créer, avec leurs partenaires étrangers, une culture organisationnelle prenant en compte les meilleurs aspects des cultures suisse et non-suisses. La recherche montre qu’après une fusion-acquisition, un processus réussi d’intégration des deux cultures peut déboucher sur un potentiel accru d’innovation, de transfert de connaissances et par conséquent de performance. Cela est d’autant plus probable quand les deux cultures sont très différentes, comme c’est le cas, par exemple, des cultures occidentales et chinoises.
 

Le management ambiculturel

On a donné le nom de «management ambiculturel» à la stratégie consistant à prendre le meilleur des pratiques managériales des deux cultures1. Ainsi, les éléments à retenir dans la culture chinoise sont l’esprit collectif, la vision à long terme, la fidélisation des employés, ainsi que la valorisation des seniors, de leur expérience et rôle en tant que mentors. Dans la culture occidentale, on appréciera la structure hiérarchique horizontale, la confiance et la marge de manœuvre accordées aux employés, le partage des connaissances et la circulation de l’information. Quant aux aspects négatifs – «loi de la jungle» et profit à court terme chez les Occidentaux, autoritarisme et culture du secret chez les Orientaux – il vaut mieux les écarter. On voit donc que ce ne sont pas les différences culturelles en soi qui sont déterminantes, mais le processus d’intégration culturelle, c’est-à-dire la manière dont on gère et tire parti de ces différences. Une intégration culturelle réussie dépend de la capacité de collaboration entre les managers des filiales de la société absorbante et de la société absorbée, mais aussi entre les filiales d’un côté, et le siège régional ou la société mère, de l’autre 2.
 

Quatre types de managers

Dans cette optique, l’«intelligence culturelle» (cultural intelligence) est indispensable pour le manager responsable d’équipes multiculturelles. Le manager avec un «quotient culturel» (CQ) élevé possède une bonne connaissance des us et coutumes, normes et conventions de l’autre culture. Il est conscient de l’existence de différences culturelles et sait s’adapter au contexte local. Dans les situations interculturelles, il adopte un comportement, ainsi qu’un langage verbal et non-verbal approprié. Enfin, il est poussé par la volonté d’apprendre et d’améliorer ses compétences interculturelles 3. Il va sans dire que le manager culturellement intelligent est le plus apte à mettre en place un management ambiculturel dans son organisation.
 
D’autres chercheurs parlent d’«état d’esprit global» (global mindset) 4. Ce concept, voisin de celui d’intelligence culturelle, traduit une ouverture d’esprit et la conscience de la diversité culturelle du monde ainsi que la faculté de s’adapter à différents environnements et cultures. Il implique des capacités de conceptualisation et de contextualisation. La conceptualisation consiste à façonner sa propre vision du monde, tandis que la contextualisation est le fait d’adapter cette vision du monde à un contexte local, à une situation concrète de distance culturelle. Ces deux types de capacités sont développés à des degrés divers chez les individus, ce qui résulte, en théorie, en quatre profils de managers 5.
 
Le manager «expatrié» est celui qui adopte une vision ethnocentrique et tente d’imposer sa conception du monde à la réalité locale. Le manager «national», au contraire, va essayer de changer sa vision du monde pour s’adapter au contexte local. Le manager «inadapté» (misfit) n’est clairement pas destiné à une carrière internationale vu qu’il n’arrive ni à conceptualiser ni à contextualiser. Enfin, le manager «global» pense globalement tout en adaptant son comportement aux spécificités locales. Les auteurs de l’étude ont mené une enquête auprès de 65 managers américains dans l’industrie textile. Les résultats montrent qu’en général, les personnes interrogées font preuve de davantage de capacités de conceptualisation que de contextualisation, c’est-à-dire qu’elle ont de la facilité à penser globalement, mais une moindre capacité à agir localement. Elles correspondent donc souvent au profil d’expatrié. On constate également que les managers les plus jeunes ont davantage un état d’esprit global que leurs aînés, de même que ceux qui ont déjà eu une expérience professionnelle à l’étranger.
 

Formations en management interculturel

Enfin, le fait d’avoir suivi une formation en management interculturel contribue aussi au développement d’un état d’esprit global. Les formations de ce type ont d’ailleurs un impact comparable à celui d’une expérience à l’étranger. Des chercheurs ont montré qu’à la fin d’un cours en
management interculturel, les participants ayant déjà travaillé à l’étranger par le passé n’obtenaient pas de meilleurs scores en intelligence culturelle que les autres alors que les différences entre les deux groupes étaient encore significatives en début de programme 6.
 
Ces programmes répondent à un réel besoin, du fait de l’augmentation du nombre des fusions-acquisitions transnationales en Suisse et de la gestion complexe des nouvelles entités résultant de ces opérations. Ils devraient par conséquent être mieux intégrés dans les enseignements universitaires de premier cycle ainsi que dans la formation continue des cadres. En Suisse, un nombre croissant de formations en leadership visent à développer ce type de compétences dont, entre autres, l’Université d’été sino-suisse organisée par la HEIG-VD. 
 
 
1 Chen, M. J., & Miller, D. (2010). West meets East: Toward an ambicultural approach to management. The Academy of Management Perspectives, 24(4), 17-24
2 Lupina-Wegener, A. A., & Schneider, S. C. (2014). The changing nature of intergroup dynamics in the develo- ping a shared identity: a longitudinal study of a merger of Mexican subsidiaries of European MNCs, EURAM. Valencia, Spain.
3 Earley, P. C., & Ang, S. (2003). Cultural intelligence: Individual interactions across cultures. Stanford University Press.
4 Gupta, A. K., & Govindarajan, V. (2002). Cultivating a global mindset. The Academy of Management Executive, 16(1), 116-126.
5 Par ex. Arora, A., Jaju, A., Kefalas, A. G., & Perenich,
T. (2004). An exploratory analysis of global managerial mindsets: a case of US textile and apparel industry. Journal of International Management, 10(3), 393-411.
6 Pless, N. M., Maak, T., & Stahl, G. K. (2011). Developing responsible global leaders through international service-learning programs: The Ulysses experience. Academy of Management Learning & Education, 10(2), 237-260.
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Mario Konishi est collaborateur scientifique. 

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Anna Lupina-Wegener est professeure de management international et de comportement organisationnel et directrice du Centre pour la culture et la créativité dans le management international à l'École de Gestion et Droit, ZHAW.

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