L’atout «femme»

L’entrepreneure neuchâteloise Diane Reinhard multiplie les projets pour mettre en valeur les femmes dans le tissu économique suisse: égalité salariale, validation des acquis et «féminisation des conseils d’administration».

Elle prendra le temps qu’il faudra. Et n’économisera pas son énergie pour arriver à ses fins. Diane Reinhard, 62 ans, entrepreneure, économiste spécialisée en contrôle de gestion, multiplie les initiatives pour donner aux femmes la place qu’elles méritent dans les entreprises suisses. Derrière son visage toujours souriant et son look authentique/femme d’affaires (le jour de l’interview elle porte des chaussures en peau de serpent très classe), elle dissimule une volonté d’acier. Car la tâche est herculéenne.
 
Malgré les investissements concédés par la Confédération (via le Bureau fédéral de l’égalité et le Secrétariat d’Etat à l’économie), la cause des femmes en entreprises stagne en Helvétie. L’écart salarial entre les deux sexes végète à 18 pour cent. Et le plafond de verre qui empêche les femmes d’accéder à des postes de direction reste un obstacle trop souvent infranchissable. Selon la dernière enquête de l’Office fédéral de la statistique, le temps partiel des femmes en comité de direction est de 45 pour cent alors qu’il n’est que de 8 pour cent chez les hommes du même niveau hiérarchique. Et ceci pour des raisons familiales avant tout. Pas de quoi décourager Diane Reinhard.
 

«Les femmes sous-estiment leurs compétences» 

L’air de rien, cette femme de réseau, passionnée d’innovation, a lancé plusieurs initiatives pour faire bouger les fronts. En 2012, elle a notamment mis sur pied un cycle de conférences pour lutter contre l’inégalité salariale en entreprise. En partenariat avec HR Today, elle aborde les sections HR Swiss de Romandie pour sensibiliser ses membres à ces questions d’équité salariale. Son discours est simple et direct: «A compétences égales, salaire égal. Les responsables RH sont des leviers puissants pour faire bouger les choses». Elle conseille notamment aux entreprises d’effectuer un diagnostic de leur politique salariale à l’aide de l’outil gratuit mis à disposition par la Confédération (Logib). Elle encourage également les femmes à mieux négocier leur salaire à l’embauche, car, dit-elle, «les femmes ont tendance à sous-estimer leurs compétences face à des hommes qui n’hésitent pas à y aller au bluff».
 
Son autre cheval de bataille est la validation des acquis des épouses de patrons de PME. Une armée silencieuse qui contribue énormément au bon déroulement des affaires. «Ces femmes assurent toute la gestion administrative, le back-office de l’entreprise, sans parler de l’intendance familiale. Il était temps que ces compétences soient reconnues», pointe Diane Reinhard. Pour arriver à ses fins, elle approche l’Union Suisse des Arts et Métiers (USAM) et met sur pied le premier Brevet fédéral de spécialiste en gestion de PME par validation des acquis. Pour 3000 francs, ces femmes de patrons de PME obtiennent un accompagnement en groupe durant trois week-ends et un coaching individuel d’une dizaine d’heures. Les premières à se lancer ont obtenu leur brevet en mai 2014. Malgré ce succès, Diane Reinhard a déjà ses yeux fixés sur un nouvel objectif: introduire plus de femmes dans les conseils d’administration*. Elle-même siège dans les conseils d’administration de Saint George Institute (conseils), Fairbrands (vestimentaire) et de sa propre société Board2win (conseils).
 
En collaboration avec Geneviève Bauhofer (Saint George Institut), elle lance en janvier 2014 le Cercle suisse des administratrices. L’objectif avoué est de féminiser les conseils d’administration, qui sont encore majoritairement peuplés de mâles quinquagénaires, avocats ou experts comptables. «De nombreux propriétaires d’entreprise nous ont assuré vouloir recruter plus de femmes dans leurs conseils. Mais ils se plaignaient aussi de ne pas savoir où aller les chercher», raconte Diane Reinhard. La doléance n’est pas tombée dans l’oreille d’une sourde. En partenariat avec le consultant François Gauchenot, Diane Reinhard et Geneviève Bauhofer planchent sur un outil de bilan de compétences, le «IRM administratrices», et constituent en quelques mois un pool de 100 administratrices à disposition des entreprises. Cette réactivité illustre bien l’atout «femme» que Diane Reinhard veut mettre en avant: pas de grands discours, mais des actions concrètes avec des résultats mesurables.
 

«Séparer les pouvoirs entre le conseil et le comité de direction». 

Sur le sujet de la gouvernance d’entreprise, elle est intarissable: «Les conseils d’administration suisses souffrent d’un manque de diversité. La pratique habituelle est de coopter un administrateur dans les réseaux personnels du dirigeant-propriétaire. Ce qui explique l’effet clonage: beaucoup d’avocats et d’experts comptables, très souvent des hommes. Cette pratique est risquée. Un conseil d’administration exerce la haute surveillance et la haute direction de l’entreprise, il sera tenu responsable en cas d’erreurs de gestion (le non paiement des assurances sociales par exemple, ndlr). Il faut donc, dans la mesure du possible, séparer les pouvoirs entre le conseil et le comité de direction.» 
 
Elle poursuit: «Les études montrent qu’une société est plus performante si sa gouvernance est assurée par un groupe de personnes d’horizons différents. Il faut des gens qui connaissent plusieurs secteurs d’activité, avec une diversité de métiers, d’âge et de genre. On oublie souvent que plus de la moitié des consommateurs sont des consommatrices. Et de par leur activité de mère, les femmes ont une vision qui porte sur le long terme. Elles savent mieux que quiconque que les décisions prises aujourd’hui devront être assumées par nos enfants dans trente ans.» Diane Reinhard sait également que si les sociétés commencent à recruter plus de femmes dans leur conseil d’administration, cela aura un effet sur la politique de recrutement de la société; sur l’égalité salariale; sur le plafond de verre et sur les postes à temps partiel pour les hommes dans les comités de direction… 
 
Diane Reinhard reprend son souffle. HR Today en profite pour oser une question critique. Comment évalue-t-elle la différence entre les hommes et les femmes? Ne sommes-nous pas avant tout des êtres humains? Elle réfléchit, avant de sourire: «Je suis mariée depuis 34 ans. Je sais par expérience que nous ne pensons pas de la même manière. Si on demandait aux femmes de construire des voitures, elles les imagineraient différemment. Nous avons un autre regard sur la vie.»
 

Logopédiste, cheffe des finances, politicienne et joueuse de golfe 

Le sien de regard a vu le jour à La Chaud-de-Fonds. Fille unique, son père est lithographe chez Helio-Courvoisier (imprimeur de timbres), sa mère tient un salon de coiffure important. «Ma maman a toujours travaillé. Petite, je devais l’aider avec les shampoings, la gestion des stocks et la comptabilité.» Forte tête, Diane Reinhard refuse pourtant de reprendre l’affaire. Elle préfère étudier la logopédie. Un métier qu’elle pratique pendant une dizaine d’années comme indépendante puis, à la naissance de ses enfants, en hôpital (traitement des personnes victimes d’attaque cérébrale ayant perdu la parole). «C’était très dur. Ces personnes étaient tellement désespérées qu’il fallait avoir un moral de fer pour les accompagner.» Son époux est médecin généraliste FMH à Couvet (canton de Neuchâtel). A la naissance du troisième enfant, elle cesse son activité de logopédiste et seconde son mari au cabinet. En parallèle, elle se lance en politique. Elle y apprend notamment que les connaissances financières et économiques sont indispensables et décide d’entreprendre des études d’économie. Conseillère générale, conseillère communale, députée (Parti socialiste), elle termine son parcours politique comme candidate au Conseil d’Etat neuchâtelois, sur la même liste que Bernard Soguel et Jean Studer. Elle arrive en cinquième position et assure avoir beaucoup appris pendant la campagne. 
 
Commence une troisième vie en tant qu’économiste, directrice finances et RH pour la Société industrielle du Doubs, puis au syndicat comedia. En 2001, professeure de finances à la HEG Arc de Neuchâtel, elle crée l’axe stratégique de recherche appliquée «femme et emploi» et initie une série de projets visant à booster les carrières féminines. En 2006, elle crée sa propre entreprise spécialisée en controlling, stratégie et gestion de projets internationaux, puis en 2014, Board2win dont le but est d’augmenter la part des femmes dans les conseils d’administration. Joueuse de golf, grand-mère depuis peu («la plus belle chose qui me soit arrivée»), elle consacre le reste de son temps à faire avancer l’atout «femme» dans les entreprises du pays. «J’ai décidé de prendre ma retraite en 2017 et d’avoir tout mis en place pour que la relève soit assurée. En trois ans, on accomplit beaucoup de choses», assure-t-elle, en éclatant de rire.
 

* Diane Reinhard vient de publier un Dossier HRM sur ce sujet: Plus de femmes dans les conseils d’administration. Augmenter la performance par des visions croisées et des décisions assurant la durabilité, éd. Jobindex Media ag, juin 2014, 48 pages.

 

Bio express

  • 1952 Naissance à La Chaud-de-Fonds 
  • 1975 Diplôme de logopédiste
  • 1995 Diplôme d’économiste, ESCA Neuchâtel 2006 Fonde Potentialyse, conseils d’entreprises
  • 2014 Fonde Board2win (gouvernance d´entreprises)

 

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Marc Benninger est le rédacteur en chef de la version française de HR Today depuis 2006.

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