L'atout senior
L'emploi de collaborateurs âgés représente un enjeu pour toujours davantage d'entreprises. Quels sont les facteurs décisifs pour que cela fonctionne bien?
Photo: Andrea Piacquadio / Pexels
Le recours aux travailleurs seniors ne cesse de gagner en importance en raison du vieillissement démographique - près de 25% de la population suisse aura plus de 65 ans d’ici à 2050 - et des besoins croissants de main-d'œuvre qualifiée. On compte d’ailleurs toujours davantage de personnes âgées prêtes à poursuivre une activité professionnelle: 18% des 65-74 ans étaient toujours en activité en 2021, soit une augmentation de 5% par rapport à 1991. La création de bonnes conditions pour l’emploi jusqu’à l’âge de la retraite et au-delà compte par ailleurs parmi les quatre champs d’action initiés par la Confédération pour combattre la pénurie de personnel qualifié.
Dans ce contexte, les entreprises ont tout intérêt à développer l’employabilité de leur personnel âgé et à favoriser une collaboration harmonieuse entre collaborateurs plus ou moins jeunes. Un sujet qui a fait l’objet d’une vaste enquête publiée il y a quelques semaines par la Haute école de Lucerne (HSLU). Cette deuxième édition du «baromètre des générations» a été menée auprès des employeurs et employés de 57 grandes organisations et de 206 petites et moyennes entreprises.
Majorité d’entreprises concernées
«La gestion des générations représente aujourd’hui une question importante pour 92% des grandes entreprises et 75% des PME interrogées par nos soins, explique Gabrielle Wanzenried, co-auteure de l’étude et professeure en finance et durabilité à la Haute Ecole d'Ingénierie et de Gestion du Canton de Vaud (HEIG-VD). Cette appréciation s’explique par le manque de main d’œuvre, davantage prononcé que lors de notre première étude en 2019. Nous notons par ailleurs que pour les organisations de grande taille, l’intérêt pour cette question est lié à l’augmentation de leur attractivité et de leur compétitivité, tandis que dans les PME il s’agit davantage d’éviter la perte des connaissances.»
Mais lorsque l’on regarde dans le détail les mesures prises, on remarque qu’il existe encore un large potentiel inexploité, souligne la chercheuse. «Notre étude remarque notamment que seul un tiers des personnes interrogées forment sciemment des équipes d'âge mixte.» Une situation qui s’explique par le fait que le manque de main d’œuvre ne se fait pas encore ressentir partout et qu’une politique de gestion des générations demande des ressources financières ou humaines qui ne sont pas toujours à disposition dans les structures plus petites. «Mais les entreprises doivent se rendre compte que la pénurie actuelle n’est que le début, et que cette problématique va continuer à s’accentuer dans le temps.»
«Je constate une toute autre attitude concernant l’employabilité des seniors, en comparaison à celle qui prévalait il y encore cinq ou dix ans, souligne pour sa part Costantino Serafini, responsable pour la Suisse romande du programme AvantAge. Cette structure, une initiative de l’association Pro Senectute, organise des séminaires aux en matière de planification et préparation à la retraite pour les personnes âgées de 45 à 65 ans et propose depuis cette année une offre d’accompagnement - destinée aux dirigeants d’entreprise et aux responsables des ressources humaines – pour le maintien de l’employabilité et la valorisation de leurs ressources seniors. «Dans certains secteurs, les DRH qui nous contactent sont affolés en raison des départs massifs à la retraite et du manque de main d’œuvre qui se profile derrière. Certaines entreprises peuvent compenser en développant massivement l’offre d’apprentissage, mais cela ne va pas suffire.»
L’étude menée par la HSLU indique par ailleurs qu’une part croissante de personnes âgées se dit être prête à travailler au-delà de l’âge de la retraite, pour autant que les conditions soient adaptées, par exemple concernant une flexibilité accrue en termes de lieu et d’horaires ou une réduction de leur taux d'occupation. «Les personnes interrogées travaillant dans des multinationales se sont davantage dites prêtes à continuer que celles actives dans des PME. Bien sûr, la réponse à cette question dépend aussi fortement du type d’emploi occupé et de sa non-pénibilité.»
Défi du maintien de l’employabilité
Environ 25% des grandes entreprises et 50% des PME interrogées par les chercheurs de la HSLU emploient déjà des personnes ayant atteint l'âge de la retraite. Mais seule une minorité d’employeurs embauchent délibérément ce type de collaborateurs. Concernant les organisations qui n’engagent pas de travailleurs seniors, les raisons le plus souvent évoquées concernent le manque de connaissances à niveau et les coûts en termes de charges sociales.
D’où l’importance du maintien de l'employabilité. «Il s’agit par exemple de proposer des formations aux seniors, là où dans le passé on avait tendance à considérer que les quinquagénaires n’en avaient plus besoin, explique Costantino Serafini. Mais attention, il faut que les efforts de formations soient adaptés au personnel plus âgé.»
L’expert souligne aussi l’intérêt de faire appel à une évaluation externe, par exemple en organisant une rencontre entre l'employé et un coach ou un psychologue du travail. «Ce dernier va pouvoir recueillir la situation et les souhaits de l’employé concernant les prochaines années de sa vie professionnelle, de manière à aboutir par exemple à une adaptation du cahier des charges, une offre de formation ou une révision du taux d’activité. Ces considérations sont ensuite communiquées à l’employeur qui ratifie et met en place le processus, avec la réalisation de la solution commune qui est ainsi 'win-win'.»
Autre approche pertinente: renforcer les liens entre les générations. «Aujourd’hui, le travailleur senior qui part à la retraite se retrouve souvent à devoir transmettre son savoir de manière expéditive et unilatérale, remarque Costantino Serafini. Nous plaidons au contraire pour le développement de ‘cross-mentoring’ à un horizon plus large, qui permet un meilleur transfert de connaissances entre jeunes et moins jeunes. Cela permet aussi au futur retraité d’affronter sa nouvelle vie avec ces connaissances qu’il a pu acquérir en échangeant avec le jeune.»
«Nous constatons que les nouvelles générations et les personnes âgées sont tout à fait ouvertes au transfert et au partage de connaissances, mais que les mesures prises par les entreprises sont encore limitées, complète Gabrielle Wanzenried, de la HEIG-VD. Pour que cela fonctionne, il s’agit de mettre en place une véritable politique de gestion des générations.»
Développer une culture d’entreprise propice
Par où commencer si l’on souhaite renforcer son attractivité auprès des travailleurs aux tempes grisonnantes? «La première chose à faire, c’est de réaliser un état des lieux et une analyse de la pyramide des âges de l’organisation, dit Costantino Serafini. Faire une projection à deux ou à cinq ans permet de mieux évaluer ses besoins et de réfléchir aux mesures à mettre en place. Il s’agit aussi d’intégrer le sujet dans la politique de gestion de santé en entreprise, étant selon nous aussi de la responsabilité de l’employeur, de manière à améliorer la période de transition entre emploi et retraite.»
«Le recours à des collaborateurs âgés représente une grande opportunité, mais il est essentiel d’ancrer cette vision dans la culture de l’entreprise, explique Gabrielle Wanzenried. L’âge est sujet à de nombreux préjugés, d’un côté comme de l’autre. Pour que des mesures fonctionnent, il faut qu’elles éclosent dans un environnement qui soit le plus exempt possible de discriminations.»