Le chaman d’entreprise
Après une première moitié de carrière dédiée au consulting, David Denis Hertz apprend à écouter son intuition. Il publie en 2016 «Profession chaman d’entreprise»* et se positionne aujourd’hui comme «un guetteur, un transmetteur et un guide».
Photo: © Olivier Vogelsang
Il est calme, souriant et d’agréable compagnie. Plutôt de petite taille, cheveux blanc-gris, David Denis Hertz est à l’image de ces vieux sages à qui on va demander conseil. Le type qui en a vu d’autres et qui ne se laissera pas impressionner par les histoires rocambolesques qu’on s’autoriserait à lui confier. Confortablement assis dans son bureau de la rue de la Mairie à Genève, il marque souvent un temps d’arrêt avant de prendre la parole. Comme s’il laissait monter en lui les réponses (simples) aux situations (complexes) qu’on lui expose. Comme si ce n’était pas vraiment lui qui parlait, mais une sagesse plus profonde, une voix intérieure, dont David Denis Hertz serait uniquement le porte-voix. Voici donc un chaman d’entreprise. Une espèce rare dans l’univers normé et normatif des organisations modernes, où règnent les dieux du chiffre et de la rationalité. Ce macrocosme de la performance, il le connaît bien. Consultant en restructuration dans un grand cabinet de conseils pendant 15 ans, il maîtrise les codes et les réalités du monde sans pitié de l’économie. Mais depuis douze ans, il propose une approche plus holistique. Plus connectée avec la vérité intérieure de ses acteurs.
Leadership conscient
Il s’apprête aujourd’hui à lancer un institut de développement du leadership conscient avec deux associés, Christian Buschbeck, expert en leadership, coach et formateur, et Jean-Philippe Jacques, spécialiste des techniques de la pleine conscience appliquées au monde du travail. David Denis Hertz: «L’idée derrière cet institut est d’accompagner les managers à développer une conscience humaniste pour prendre de meilleures décisions grâce à une approche plus systémique et holistique de l’entreprise. Seulement le leadership conscient permettra aux organisations de prospérer. C’est une exigence de la construction du futur, la parfaite nécessité humaine, économique et environnementale.» Idéalisme? «Pas du tout. Cette approche disruptive est au contraire en phase avec le monde d’aujourd’hui, où les enjeux environnementaux, le sens du travail et la bienveillance sont des sujets de moins en moins tabou en organisation».
Lui se considère proche du mouvement des créatifs culturels. Ce groupe de personnes a été mis en évidence par le sociologue Paul Ray et la psychologue Sherry Anderson, tous les deux Américains. Selon une enquête menée en 1999, les créatifs culturels formeraient 23% de la population américaine. A en croire Wikipedia, ces personnes veulent «favoriser le développement personnel et spirituel; remettre l’humain au cœur de la société; ils refusent les dégradations environnementales, notamment celles induites par l’exploitation des ressources naturelles et recherchent des solutions nouvelles aux problèmes personnels et sociaux». David Denis Hertz poursuit:«Les médias traditionnels parlent peu de cette force agissante qui est en train de changer le monde. L’écologie, l’alimentation, l’urbanisme... sur tous ces plans, nous vivons actuellement un point de bascule.»
La performance à l’envers
Lui agit depuis Genève. Son «mythe personnel» est de guider les managers vers des actions plus conscientes. Un exemple? «Un banquier est venu me voir, angoissé à l’idée de ne pas obtenir une promotion. Je lui ai demandé quelle différence il faisait entre le succès et le bonheur. Il n’a pas su me répondre. De ce questionnement a émergé un important travail sur luimême, ce qui a profondément changé sa vie.» En clair, David Denis Hertz guide ses clients vers une réflexion sur le pourquoi de leurs actions. On lui rétorque que l’entreprise veut avant tout de la performance, peu importe la nature profonde de ses employés... Il répond: «Je suis aussi dans une démarche de performance. Mais je la prends à l’envers. Car si vous savez qui vous êtes, vous choisirez une activité qui a du sens, donc votre bien-être sera plus grand et vous serez par conséquent plus performant.»
Son outil de prédilection est l’intuition. Il raconte dans son livre* comment il a appris à en tirer profit auprès de différents maîtres. Il explique: «Permettre aux personnes d’être en lien avec leur vraie nature implique de développer un accès vers quelque chose de plus grand, de manière plus globale, plus systémique, au-delà des cinq sens et de la pensée. La porte vers cet au-delà est l’intuition. L’intuition est une connexion à quelque chose de sacré.» Le mot Wakan – qui est aussi le nom de la société de conseil qu’il a fondée en 2006 – veut dire «sacré» en langue Lakota, une tribu amérindienne des Etats-Unis et du Canada.
Dépouillement personnel
Mais comment opère-t-il concrètement? «Pour recevoir des informations intuitives, il faut savoir poser les bonnes questions. Plus la question sera vague, plus la réponse sera vague.» Un exemple? «Avant d’engager un candidat, au lieu de demander ce qu’il y a de bon à l’engager, demandez plutôt ce que vous ne voyez pas chez cette personne et que vous devriez savoir avant de l’engager...» En plus de cet usage pratique au moment d’un recrutement, David Denis Hertz révèle aux managers comment utiliser leur intuition pour affiner leur connaissance de soi. Il dit: «Je ne suis pas dans le développement personnel, je suis dans le dépouillement personnel. Le but est d’enlever ce qui est inutile et parasitant. De se demander ce qui est important, vraiment important, dans nos missions, dans nos personnes.»
David Denis Hertz a surpris plusieurs de ses collègues quand il a commencé à développer son approche bienveillante du management, axée sur l’intuition. «Les cadres vont te cataloguer comme gentil, mou et bisounours», l’ont prévenu certains amis. Nous lui reposons la question aujourd’hui. Il sourit, marque un long temps de pause et répond: «Vaut-il mieux être bienveillant ou malveillant? L’entrepreneur, le dirigeant, le cadre sont semblables au chaman: leur mission est de veiller au bien-être de la communauté. Mon rôle est de les guider sur ce chemin. Est-ce une approche bisounours? Je ne le pense pas. Au contraire, j’estime plutôt contribuer à l’entreprise de façon très positive.»
Son parcours n’a pourtant pas été sans accroc. Dans son livre, il raconte comment il a dû affronter les moqueries et les trahisons. Mais son plus grand ennemi a sans doute été lui-même. «Cela m’a pris du temps pour oser accepter ma vraie nature. J’ai suivi des maîtres et accompagné des médiums pendant de longues années en me demandant où tout cela allait me mener. Il a fallu qu’un vieux sage né parmi les Amérindiens me botte les fesses pour que j’accepte enfin ma voie».
De PwC à Angeles Arrien
David Denis Hertz est né à Sierre, cadet d’une fratrie de trois garçons. Ses parents tiennent un grand magasin de confection au centre-ville. Après une école de commerce à Sierre et sa maturité à Sion, il s’expatrie à Genève pour poursuivre ses études à la faculté des sciences économiques. Il entre dans la vie active comme consultant. D’abord à la Société fiduciaire suisse, qui devient ensuite Coopers & Lybrand, puis PriceWaterhouseCoopers en 1998. Sa trajectoire est brillante. Bon dans les rapports humains, il excelle dans le conseil stratégique et les réorganisations. L’argent coule à flot mais il s’ennuie. Son intérêt pour le développement personnel et le coaching se cristallise en 1998, quand il apprend la création du premier institut de coaching à Genève (IDC Coaching). Il fera partie de la première volée en 1998. En 2000, il s’associe avec un ami et lance sa propre société de conseil, H&C Leadership & People Development. «Les affaires étaient bonnes mais j’ai vite réalisé que je n’avais rien changé dans le fond. Nous faisions toujours du conseil stratégique et des réorganisations alors qu’au fond de moi, j’avais envie de prendre soin des managers que j’accompagnais», se souvient-il.
«Nous sommes tous uniques»
En parallèle à ses activités, il s’intéresse à plusieurs techniques de développement de conscience. Durant ces années, il rencontre Ronald W. Jue, qui le forme à l’approche par l’intuition. David Denis Hertz participe également à des ateliers d’Angeles Arrien, anthropologue américaine qui a écrit le bestseller «Four-Fold Way: Walking the Paths of the Warrior, Teacher, Healer and Visionary», qui est devenu sa bible. «J’ai rencontré plus d’une vingtaine de maîtres tout au long de mon parcours. A chaque fois, j’ai beaucoup appris sur moimême et j’ai pu intégrer dans ma pratique une technique ou un nouvel outil», résume-t-il. Son chemin à lui reste pourtant singulier. Pour illustrer cette vérité, il cite volontiers le philosophe autrichien Martin Buber: «Nous sommes tous uniques, il ne sert à rien de copier ses maîtres. Eux ont déjà accompli leur œuvre.»