Le diplomate
Directeur des ressources humaines de l’Union Bancaire Privée depuis 6 ans, Edouard Comment est une figure de la communauté RH romande. D’humeur toujours égale, il allie la bonhommie de son Jura natal à une capacité d’adaptation à toute épreuve.
Edouard Comment: "Dans mon esprit, je n'ai jamais rien renié. J'ai toujours rajouté. J'ai cette particularité d'avoir fait sept métiers dans douze entreprises." Photos: Pierre-Yves Massot/arkive.ch
Il évolue dans un univers aux codes rigoureux avec l’aisance d’un cafetier qui vient serrer la main à sa clientèle. Très vite, il vous demandera comment vous allez, en vous tenant le bras de sa main rassurante. Au même instant, vous serez saisi par son sourire vrai. Edouard Comment, DRH du groupe Union Bancaire Privée (UBP) – 1250 collaborateurs dans le monde – n’a pourtant pas la tâche facile. Arrivé dans cet établissement bancaire juste avant la crise financière de 2008/2009, il a vécu la baisse de sa masse sous gestion de 130 à 60 milliards de francs. S’en suivirent restructuration, licenciements et nouvelles acquisitions. Puis la lente mue du système bancaire helvétique, avec la contraction du secret bancaire, la pression internationale et les nouvelles réglementations de la FINMA. Il corrobore: «Les récentes décisions du Conseil fédéral nous concernent directement, et nous suivons attentivement les discussions en cours, notamment sur l’option de l’échange automatique d’information qui devrait devenir un standard reconnu sur le plan international. Par ailleurs, il s’agit également de régler le passé et ce processus va prendre du temps.»
Et depuis la crise, le management n’a jamais eu autant besoin des RH, assure-t-il: licenciements, réorientations, out- placement et accompagnement des collaborateurs restés en place. «On oublie très souvent les collaborateurs restant après un plan de restructuration. Nous leur avons préparé une formation adaptée sur les nouveaux défis de la banque et sur la culture d’entreprise. Cette formation a eu un grand succès.» Depuis 2008, le métier de banquier est devenu beaucoup plus technique. «Nos 350 gestionnaires de fortune ont dû compléter leurs connaissances, en termes de cross boarding notamment (connaître le détail des législations des pays de leurs clients, ndlr). Nous avons mis en place des formations à cet égard et notre dispositif d’évaluation annuelle des collaborateurs a été renforcé. Le niveau de connaissance sur les questions réglementaires a désormais un effet sur le bonus de fin d’année», détaille Edouard Comment.
Autre effet de la crise: le processus de recrutement des nouveaux gérants est encore plus rigoureux. Les portefeuilles des clients qu’ils amènent avec eux font l’objet de «due diligence» et on assiste également à une augmentation des recrutements de profils juridiques (avocats, auditeurs, spécialistes en compliance). «Cette juridiciarisation du métier de banquier coûte cher. C’est pourquoi nous allons assister à une redistribution des cartes dans le secteur. Les établissements avec une masse sous gestion en dessous de 15 milliards sont condamnés, à terme, à disparaître», pronostique Edouard Comment. En 2012, l’UBP a d’ailleurs acquis trois établissements: ABN Amro Swiss, Nexar Capital Group (un hedge fund) et une partie de la clientèle de Banco Santander Suisse. Ces opérations ont permis d’augmenter la masse sous gestion à plus de 80 milliards de francs, soit plus de 20 milliards depuis la crise.
Créer du lien avec la famille de Picciotto
Il ne cache pas avoir vécu le crash des marchés boursiers de 2008 «difficilement». «Nous avons la chance d’être une entreprise familiale. Au creux de la vague, les propriétaires nous ont démontré leur confiance et leur soutien.» Et comment fait-on pour construire une relation de confiance avec une famille si puissante? «C’est un univers particulier. On apprend très vite qu’il y a un patron au sommet et que c’est lui le décideur final. Avec l’avantage de ne pas tourner en rond quand il faut trancher sur un sujet. J’ai ainsi créé une relation de confiance avec Guy de Picciotto (actuel CEO de la banque, ndlr). Mon objectif est à la fois de défendre les intérêts de la banque et d’être un porte-parole des préoccupations des employés. Certes, je suis à l’écoute des employés mais en gardant à l’esprit les enjeux de la banque.»
Sa posture est plutôt celle du partenaire stratégique. Il est d’ailleurs membre de la direction générale de l’UBP. Et il comprend les préoccupations d’un CEO. Il a lui-même dirigé le géant du travail temporaire Adecco Suisse pendant trois ans. Il dit: «Un CEO a plusieurs défis majeurs: augmenter le chiffre d’affaires; limiter les coûts; augmenter les marges et maximiser les profits, mais aussi garder et développer des équipes en- gagées et performantes. Le DRH apportera sa valeur ajoutée en fonctionnant proche du comité exécutif et du CEO en particulier.»
Les moments les plus difficiles qu’il a dû endurer à l’UBP sont les réductions d’effectifs. «Quand il faut licencier quelqu’un qui dysfonctionne ou qui n’atteint pas ses objectifs, c’est une chose. Mais quand vous devez vous séparer d’un collaborateur dévoué, qui est avec vous depuis quinze ans, car il y a une logique de réduction des charges, c’est plus difficile.» Un autre enjeu est la responsabilisation de l’encadrement. «Ce sont eux les premiers gestionnaires RH. Mais c’est ce qu’ils aiment le moins dans leur job.» Lui au contraire ne se plaint jamais. Son ami Maxime Morand, qui a aussi été DRH chez l’UBP, confie: «Edouard est d’humeur toujours égale. Il est très amical et tonique. Je l’ai connu quand il était formateur de cadres. C’est un job qui ne pardonne pas. Et c’est quelqu’un qui s’adapte à toutes les situations.» Mais comment fait-il pour garder sa ligne? Edouard Comment: «Dans mon esprit, je n’ai jamais rien renié. J’ai toujours rajouté. J’ai cette particularité d’avoir fait sept métiers dans douze entreprises.»
Il quitte la maison à douze ans
Fils d’un couple d’aubergistes du Cheval Blanc de Courgenay (canton du Jura), il a un frère «qui, au contraire de moi, est entré à La Poste à quinze ans pour ne plus en ressortir (rires)» et une sœur, réceptionniste dans une banque genevoise. Durant son enfance, il voit peu ses parents qui travaillent beaucoup et est envoyé à douze ans dans un internat, «La Gouglera» (canton de Fribourg). «L’instituteur du village avait dit à mes parents que j’avais du potentiel. Ces derniers ont fait beaucoup de sacrifices pour que je puisse avoir une bonne éducation. Mais c’était dur de quitter la maison à 12 ans». Résilient, il dit avoir appris durant ces années d’internat à entrer dans un groupe et à faire des choix. Quand il rentre enfin chez lui, son père lui trouve une place d’apprentissage de micro mécanicien chez Tornos . «A l’époque, on ne contredisait pas les instructions du paternel», glisse-t-il.
Ce sera le début d’une longue carrière. Après un passage chez Omega, il entre chez Migros Genève comme responsable des apprentis. Il y restera dix ans. «Quelle magnifique entreprise!», s’exclame-t-il aujourd’hui. «Le niveau d’engagement et d’enthousiasme est inversement proportionnel au niveau des rémunérations.» Après avoir dirigé le centre de formation de Migros Genève, c’est d’ailleurs l’actuel directeur général Guy Vibourel qui reprendra le flambeau. Il bifurque vers la formation de cadres. Puis les expériences s’enchaînent: Adia Interim (travail temporaire), DRH chez Givaudan, CEO chez Adecco et en- fin vice-président Europe chez Lee Hecht Harrisson. Skieur invétéré, Edouard Comment a développé une passion pour le backgammon. Il participe chaque année aux championnats du monde à Monaco. «Cela m’a appris à réfléchir et contrebalancer mes émotions et ma spontanéité», sourit-il, diplomate.
Bio express
- 1951 Naissance à Delémont (Jura)
- 1999 CEO d’Adecco Suisse
- 1977 Entre chez Migros Genève
- 2007 DRH de l’Union Bancaire Privée